Sergei Amoev, 19 ans, a été arrêté à son domicile à Saint-Nazaire, mercredi 23 septembre, puis expulsé vers la Géorgie. Son professeur principal au lycée professionnel André Boulloche, témoigne.
"Je sais que Sergeï ne reviendra pas" s'émeut Mohamed Kismi professeur au lycée professionnel André Boulloche à Saint-Nazaire. De son élève, il avait suivi le parcours avec attention. Ce professeur d’informatique dresse alors le portrait d’un jeune garçon "intéressé et investi", qui a le plus progressé parmi ses élèves, malgré sa situation personnelle.Alors, c’est la gorge serrée et la voix tremblante, que Mohamed Kismi parle de l’expulsion de Sergeï, alors en situation irrégulière, qui a eu lieu quelques jours plus tôt. "Je ne m’y attendais pas".
"S’il avait eu cours ce jour-là, il serait encore en France"
Âgé de 19 ans, Sergeï Amoev, d’origine géorgienne, vivait avec sa sœur et ses deux parents à Saint-Nazaire depuis leur demande d'asile en 2018. Dans la matinée du mercredi 23 septembre, le jeune homme est arrêté avec sa mère à son domicile.Ils sont ensuite transférés dans un centre de rétention à Rennes avant d’être expulsés, le lendemain, pour Tbilissi, en Géorgie. D’après son professeur, qui a pu avoir des nouvelles, sa sœur était au lycée au moment de l’arrestation et se cache avec son père.
"A chaque fois que je retourne en classe, je vois sa place vide. Je vois cet élève."
"Si Sergeï avait eu cours ce jour-là, il serait encore en France" regrette Mohamed Kismi. L’annonce brutale de son expulsion est d’autant plus difficile pour celui qui était son professeur principal, car "la veille, il faisait ses lettres de motivation et son CV pour sa formation professionnelle de novembre". "C’est quelqu’un qui ne demandait qu’à apprendre."
Droit d'asile refusé en 2019
L'enseignant, membre de l'association Uni.e.s contre l'immigration jetable (UCIJ) était très engagé auprès de son élève et de sa famille. Il y a un an, en décembre, les Amoev devaient quitter le HLM qu'ils occupaient en attendant que leur demande d'asile soit traitée.Celle-ci avait finalement était refusée, leur laissant deux semaines pour quitter les lieux. L'UCIJ s'était mobilisé pour leur retrouver un logement.
Ce mercredi, les militants du collectif s'étaient de nouveau rassemblés en soutien devant l'hôtel de police de la ville. Mais les derniers recours permettant à la famille Amoev de rester n'ayant abouti à rien, l'expulsion du territoire n'était, malheureusement, plus qu'une question de temps.
Un véritable traumatisme pour l’ensemble du lycée
Depuis quelques jours, l’émotion a pris le dessus dans les salles de cours et des professeurs du lycée André Boulloche. Mohamed Kismi dit vivre avec ses collègues "une situation comparable à un deuil".Au sein des classes, la direction a mis en place la présence d’une infirmière. "J'ai moi-même, demandé au niveau du rectorat une assistance sociale ou s'il y a, une aide psychologique" confie le professeur. "A chaque fois que je retourne en classe, je vois sa place vide. Je vois cet élève."Sa semaine est consacrée à la préparation des cours, mais pas seulement. L'enseignant écrit aux médias pour exprimer l'injustice ressentie par lui et ses collègues. "Je ne pense qu'à ça de la journée". Il s’inquiète, d’autant plus, de voir le scénario se répéter. L’établissement accueille de plus en plus de jeunes issus de l’immigration et en situation irrégulière.
"Ces élèves, dit-il, ils auront 18 dans un ou deux mois… Qu’est-ce qu’il va se passer ? Demain, ça sera un autre ?". Dans un communiqué, il pose la question : "Nos classes, vont-elles être vidées progressivement de ces jeunes qui n’aspirent qu’à la réussite scolaire et à une vie sereine en France ?"Aujourd'hui, cet homme, qui vit en France depuis 41 ans, est dégoûté. "On fait tout ce qu'on peut pour qu'ils soient insérés dans la société, et dès qu'ils ont 18 ans, on leur dit 'dégagez, il n'y a rien à voir !' Ça me rend malade." Sa tristesse et sa colère le poussent à utiliser des mots durs vis-à-vis de sa profession. "On est inutile".