Il est décédé sans être jugé. Le prêtre aurait fait environ 170 victimes dans diverses institutions de l'ouest où il avait été nommé. Il était passé notamment par Issé, dans le nord de la Loire-Atlantique. Trois arbres y ont été plantés, en soutien aux victimes du prêtre pédophile et une plaque y a été dévoilée.
Le parcours de cet homme est jalonné de victimes.
Selon la Commisssion indépendante dénommée "Commission Reconnaissance Réparation", Gabriel Girard aurait fait 170 victimes au fil des postes qu'il a occupés pendant ses 30 années de carrière.
"La trajectoire de nos vies en a été bouleversée" disent ses victimes.
Entre 1941 et 1972, dénombre la CRR, Gabriel Girard a occupé 14 postes d'enseignant, tous dans l'ouest de la France, principalement en Pays de la Loire mais aussi en Bretagne.
"Il s’adonne alors pleinement à son obsession"
Dans un communiqué, les victimes du frère Gabriel Girard, des écoles d'Issé (Loire Atlantique) et de Loctudy (Finistère) reviennent sur le parcours criminel du prêtre-enseignant.
Pour les élèves de l'école Saint-Louis d'Issé, cela commence en 1965 :
"Gabriel Girard a 42 ans, témoignent les victimes. C’est un être plein d’entrain, séduisant, il arrive avec, dans son cartable, des méthodes d’enseignement novatrices. Ses élèves sont des petits garçons de 7, 8 et 9 ans. Très vite, ces petits seront sous le joug de ce prédateur sexuel. Un par un, méthodiquement. Chacun est appelé au bureau de l’instituteur sous couvert de corrections de devoirs. Il s’adonne alors pleinement à son obsession, méthodiquement. En invoquant le petit Jésus ou autres références religieuses. Il nous agresse sexuellement en toute impunité. C’est un grand secret entre lui et les petits, si le secret est dévoilé l’enfer nous est promis. Colérique, il manie fort bien l’art de nous terroriser sans en avoir l’air."
Du Finistère à la Vendée
Gabriel Girard est resté quatre ans à Issé puis est parti pour Loctudy, dans le Finistère, où les agressions et viols se sont poursuivis.
En 1972, suite à une plainte, il est renvoyé, fera un séjour en clinique psychiatrique et terminera sa vie dans une maison de retraite avant de décéder dans un accident de la route.
Avant Issé, Gabriel Girard était passé par d'autres villes, Le Perrier, Chantonnay, Saint-Laurent-sur-Sèvre, La Motte Achard en Vendée mais aussi Nantes, Saint- Philbert-de-Grand-Lieu, Saint-Sébastien-sur-Loire, Vieillevigne, en Loire-Atlantique ou encore Pont-L'Abbé dans le Finistère et La Ferté-Bernard dans la Sarthe.
Gabriel Girard n'a jamais été jugé, les faits étant prescrits, mais les victimes, elles, ont été rongées pendant des années par la honte et la culpabilité. Seule une trentaine ont osé parler pour dénoncer.
Rassemblement à Issé pour ne pas oublier
Ce samedi 10 juin 2023, 150 personnes ont souhaité se rassembler à Issé, pour évoquer les crimes commis par le religieux.
Victimes, proches, représentants de l'Eglise catholique, de la Confrérie des Frères Gabriel dont faisait partie Gabriel Girard, d'associations, élus s'étaient donnés rendez-vous dans la salle des fêtes de la commune. Un cortège a ensuite rejoint le calvaire où avaient été plantés trois oliviers en soutien à toutes les victimes. Une plaque évoquant "tous les écoliers reconnus victimes de pédophilie à l'école Saint-Louis entre 1965 et 1968" a également été dévoilée.
Un sadopédocriminel
Dans une atmosphère très lourde, face à des visages graves, en larmes pour certains, Jean-Pierre Fourny, une soixantaine d'année, responsable du collectif isséen, a été l'un des premiers à prendre la parole. Il a croisé le chemin du criminel juste après le cours préparatoire, c'était en 1966.
"Ce n'était seulement un pédocriminel, c'était aussi un sadopédocriminel. Il nous frappait énormément. C'était des raclées. Après, il nous rappelait pour nous consoler, nous mettre entre ses jambes et aller à des actes de masturbation."
Après cela, Jean-Pierre ne voulait plus aller à l'école, fuguait dans la campagne. Mais sa rébellion lui a peut-être permis de parler, de dénoncer plus tôt que les autres. La course à pied, dit-il, l'a calmé. Et puis, en 2019, il y a eu l'affaire Barbarin à Lyon, la commission indépendante sur les abus sexuels dans l'église qui a enquêté et amassé les témoignages. Jean-Pierre en a entendu parler.
"On en prend plein la figure"
"Tous ces événements, dit-il, je les prenais en pleine figure. À chaque fois, on en prend plein la figure, les larmes au yeux. J'ai dit, il faut que j'y aille (témoigner). Et le fait d'y être allé, ça a permis d'entraîner les autres. Moi, je ne crois plus en Dieu mais, est-ce qu'il n'y avait pas, quelque part, des gens là-haut qui m'ont chargé de cette mission."
"On croit que la parole, ça libère, mais non. D'abord, la parole ça fait violence parce que toute la mémoire remonte."
Véronique MargonPrésidente de la Conférence des religieux et religieuses de France
Un témoignage confirmé par Antoine Garapon, Président de la commission nationale de réparation et de reconnaissance, présent à Issé, avec des mots tout aussi glaçants.
"C'était, dit-il, parlant de Gabriel Girard, un homme qui était à la fois charismatique, qui fascinait les parents et qui, à la fois, abusait les enfants en classe. C'était quand même très rare. Il les terrorisait. Il mêlait une ambiance de violence physique et d'agressions sexuelles avec un comportement qui cherchait à impressionner les enfants... Il avait des vipères dans sa classe. Un personnage étrange, à la fois fascinant et diabolique. Certaines victimes ont pu parler et sont là aujourd'hui. D'autres n'ont pas pu parler et restent aujourd'hui enfermées dans le silence."
Pour lui, cette affaire est exemplaire de ce qu'ont été les prédations sexuelles et d'une époque où le silence régnait sur ces pratiques criminelles.
"Ça devait lui apporter une excitation supplémentaire"
Michelle Le Reun-Gaigné, elle, a été victime du prêtre pédocriminel dans les années 1969/70, à Loctudy. Elle se souvient que lors de corrections de devoir, les enfants étaient appelés à son bureau et contraints à le caresser. Michelle parle même d'actes de viol. Pendant ce temps, les autres enfants de la classe avaient ordre de se concentrer sur leurs devoirs et de ne pas lever la tête.
"Le faire devant les autres élèves, ça devait apporter une excitation supplémentaire à son vice" raconte Michelle qui précise que la congrégation dont le religieux faisait partie était au courant des déviances du prêtre mais n'a rien fait pour y mettre fin.
Pus tard, Michelle a dépassé le traumatisme en quittant Loctudy. Et en retrouvant, dit-elle "l'anonymat".
► Voir le reportage de Céline Dupeyrat, Bertrand Tang et Valérie Brut.
Présente à Issé lors de cette journée, Véronique Margon, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France, parle de "grands délinquants sexuels qui se sont faufilés au gré des petits séminaires, des écoles de Frères, dans l'enseignement ou ce genre de tâche et qui ont pu sévir au mépris de tout, en toute impunité. Parce que, autour, personne n'a rien vu ou n'a rien voulu voir, aveuglé par un schéma mental qui est que les religieux ne peuvent pas faire ça. On est dans les décennies qui sont des décennies noires."
L'évêque de Nantes présent
"Je me sens tout à fait solidaire des victimes dans leur combat pour cette reconnaissance, a déclaré l'évêque de Nantes, Monseigneur Laurent Percerou. Comme évêque, je me sens responsable de ce qui s'est passé au sens où l'Eglise catholique c'est une famille. On porte le poids des souffrances et il nous appartient de réparer les membres de la famille qui ont été abimés, touchés dans leur humanité."
Lors de sa prise de parole, Jean-Pierre Fourny a tenu à s'adresser à sa mère, 95 ans, présente, elle aussi, recroquevillée dans son fauteuil roulant, effondrée. Jean-Pierre a voulu dire publiquement à sa maman qu'il ne lui en voulait pas. Lorsqu'il était enfant, traumatisé par les agressions qu'il subissait de la part de Gabriel Girard, Jean-Pierre était devenu coléreux, pénible pour toute la famille. Une famille qui ne comprenait pas ce qu'il vivait. Alors Jean-Pierre a pris la parole pour dire à sa maman qu'il ne lui en a jamais voulu et qu'il la considère, elle aussi, comme une victime de Gabriel Girard.
Olivier Quentin avec Céline Dupeyrat