Étienne Davodeau élabore depuis maintenant une trentaine d'années une œuvre sensible et bienveillante, explorant l'intime, le quotidien, l'ordinaire. Après Le Droit du sol, une bande dessinée documentaire, l'auteur angevin revient à la fiction avec Loire, un voyage au cœur des sentiments humains et une ode à la nature...
L'art de la promesse. Qu'on ait affaire à un roman ou à une bande dessinée, la couverture est la première chose que l'on voit, une sorte de bande-annonce, un teaser, une promesse de ce qu'on lira, de ce qu'on vivra, au fil des pages. Et en ce sens, la couverture du nouvel album d'Etienne Davodeau est singulière. Aucun personnage, ou plutôt si, la Loire, un personnage à part entière, son personnage principal.
Et il serait plus juste de dire ou d'écrire Loire, sans article défini, comme le nom d'une personne. C'est le titre de l'album, c'est son idée aussi.
Une idée qui a germé dans l'esprit de l'auteur à la lumière des auditions du parlement de Loire, une démarche territoriale à la croisée des arts, des sciences et des droits de la nature qui "tente d'envisager la personnalisation juridique des éléments de la nature…", explique-t-il. "Dit autrement, et résumé à grands traits, il s'agirait de donner à des éléments de la nature des droits plus ou moins comparables à ceux d'une personne humaine pour qu'ils puissent se défendre".
Plutôt que de se lancer dans une adaptation pure et simple et forcément rêche de ces auditions, Etienne Davodeau a opté pour une fiction, une "porte d'entrée au grand public", qui se déroule bien évidemment au bord de la Loire.
Louis, personnage un peu lunaire, est invité un beau jour chez Agathe avec qui il a partagé un moment de vie il y a plusieurs années, presqu'une éternité. Pourquoi cette invitation subite ? Peu importe, Louis est heureux de la retrouver, de retrouver cette maison dans laquelle il a vécu et de retrouver par la même occasion ce fleuve dont les humeurs ont rythmé sa jeunesse.
Pas de dîner en amoureux pour les anciens amants, Louis n'est pas seul au rendez-vous. Jalil, Suzanne et Nicolas, qui ont eux-mêmes vécu dans cette maison, sont également là. Sans Agathe ! Agathe ne viendra pas. Agathe est morte et a souhaité réunir ses morceaux de vie une dernière fois. "Je crois qu'elle l'envisageait comme un moment sans tristesse, une sorte de petite fête en son honneur", dit la nouvelle propriétaire des lieux chargée d'exécuter ses dernières volontés.
Drôles de volontés ! À quoi bon réunir des personnes qui ne se connaissent pas ou peuvent même avoir développé quelques inimitiés, certes émoussées avec le temps ? Peut-être pour que le temps s'arrête justement, un moment, que chacun profite de la vie, des autres, respire la nature et contemple ce fleuve qui n'a rien de tranquille…
Dans son livre précédent, Le Droit du sol, Etienne Davodeau nous interrogeait déjà, en mode documentaire et militant, sur notre rapport à la nature et en l'occurrence notre rapport au sol, à la terre, il le fait ici avec une fiction aussi subtile que nécessaire autour de ce fleuve omniprésent, vivant, sauvage, qui modèle les paysages et l'activité humaine.
La Loire a-t-elle une âme ? Peut-être, et si vous tendez bien l'oreille, vous pourriez même l'entendre parler et penser sous la plume sensible et les pinceaux délicats d'Etienne Davodeau. Et rien que pour ça, Loire mérite toute notre attention.
Loire, d'Étienne Davodeau. Futuropolis. 20€