La Région qui subventionne des écoles hors contrat, une affaire en quatre actes

D'après Anticor44, le procureur de la République de Nantes a ouvert une enquête concernant des subventions versées par la Région à des écoles privées et hors contrat à Angers et au Mans. Cela à la suite d'un signalement de l’association qui pointe un possible détournement de fonds publics et une prise illégale d’intérêts. On fait le point.

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"Combiner, jour après jour, au sein d’une véritable communauté de vie d’adultes et d’enfants, un enseignement, une éducation et un attachement à la culture française", c'est ainsi qu'Espérance banlieues résume son projet pédagogique sur son site web.

Ce réseau d'écoles traditionalistes hors contrat compte dix-sept établissements en France. Deux d'entre eux sont en Pays de la Loire : Le Gouvernail à Angers et Jules Verne au Mans. Il s'agit d'écoles maternelles et élémentaires, la première a ouvert ses portes en 2017 et la seconde en 2019.

En mars 2024, Anticor44 a fait un signalement auprès du procureur de la République de Nantes en mars 2024, "concernant le vote de subventions litigieuses du Conseil régional des Pays de la Loire" à l'égard de ces deux écoles.

Une enquête préliminaire a été ouverte, informe désormais l'association anticorruption.

Mais ce n'est pas la première fois que ces écoles font parler d'elles. Retour sur une affaire en quatre actes.

2020, le premier syndicat enseignant (FSU) alerte

Novembre 2020, Christelle Morançais annonçait sur son compte Tweeter un "partenariat inédit" entre la Région et le réseau Espérance banlieue. "Cela pour prévenir le décrochage des jeunes des quartiers sensibles, dès le plus jeune âge", avait ainsi précisé la présidente du Conseil régional. À la clef, une subvention de 50 000 euros pour les deux établissements ligériens.

Un soutien financier qui n'était pas au goût de la FSU72, le considérant comme "indécent" et "irresponsable". "L’argument avancé de lutte contre le décrochage scolaire laisse entendre qu’il n’y aurait aucune solution dans le public. Ce n’est pas vrai", déplorait ainsi Eric Demougin, secrétaire départementale du syndicat, à nos confrères du Maine Libre.

Une annonce qui a également créé des remous du côté des blocs d'opposition de la Région. Les socialistes et les écologistes dénonçaient alors une situation problématique. Notamment parce que la Région a la compétence des lycées et non celle des écoles primaires.

Dans un communiqué, les élus pointaient aussi un "problème au regard du projet pédagogique et des méthodes employées au sein de ces écoles, adossées à une morale traditionaliste."

2021, le groupe écologiste saisi le préfet 

Novembre 2021, près d'un an après l'annonce de Christelle Morançais, le bloc écologiste saisissait le préfet de région. "Contrôle de légalité du soutien du Conseil régional des Pays de la Loire au réseau Espérance Banlieue", est-il indiqué dans l'objet de la lettre.

Ce mois-là, la commission permanente du Conseil régional des Pays de la Loire a voté en faveur d'une une subvention de fonctionnement d’un montant total de 50 000 € à Espérance Banlieue pour la participation au financement de leurs deux écoles ligériennes, pour l’année scolaire 2021-2022.

Aux yeux des écologistes, cela semblait litigieux pour trois raisons. D'abord, parce que la Région n'a pas les gestions des écoles comme compétences. Ensuite, parce que le rattachement de cette subvention aux politiques de lutte contre le décrochage scolaire leur paraît injustifié en tant qu'elle vise les jeunes de 16 à 25 ans. Enfin, parce que le financement des écoles privées hors contrat par le ministère de l’Éducation Nationale ou par une collectivité locale n’est pas prévu.

"On a dû relancer la préfecture pour avoir une réponse", précise Lucie Etonno, présidente du groupe L’écologie ensemble, joint par téléphone. Le préfet leur répondra, le 14 juin 2022, que "si la Région peut attribuer des aides à caractère social pour les élèves au titre des activités extra-scolaires, elle ne peut pas attribuer de subventions aux activités scolaires privées, hors contrat."

2022, Matthieu Orphelin saisi le procureur de la République

Février 2022, Matthieu Orphelin, alors député écologiste du Maine-et-Loire, annonçait saisir le procureur de la République."Pour que toute la lumière soit faite sur cette affaire", indiquait-il dans un communiqué.

L'élu disait avoir des "soupçons de conflit d’intérêts autour d’Espérance banlieues".

Une sortie faisant suite à une révélation du journal La Topette. Dans un article, le trimestriel informait que Roch Brancour (LR), vice-président du Conseil régional, faisait partie des membres fondateurs de l’association Le Gouvernail en 2017, à l'origine de l'école angevine.

Dès lors, le fait que l'élu ait voté une subvention du Conseil régional à Espérance Banlieues lors d’une commission permanente de la Région pose question. N'ayant jamais été "adhérent actif" du réseau, "il n’y avait donc aucune raison pour que je m’abstienne ou ne prenne pas part au vote", avait-il estimé auprès de la Topette.

Cette saisine de Matthieu Orphelin n'aurait pas eu de suite.

2024, signalement d'Anticor

Le 26 mars 2024, l'affaire ressurgit. La branche Loire-Atlantique de l'association anticorruption Anticor effectue un signalement au procureur de la République de Nantes. "Cela après des mois de travail et d'épluchages des délibérations du Conseil régional", souligne Alain Guillevic, référent Anticor 44.

D’après l'association, la majorité de Christelle Morançais aurait contourné l’interdiction de financement du privé et d’établissements autres que les lycées en accordant lesdites subventions au titre du combat pour l’emploi, de la formation, du décrochage scolaire et de l’insertion professionnelle.

Autant de motifs qui apparaissent inappropriés puisque les élèves accueillis dans ces écoles sont très jeunes. Ils ne sont donc pas concernés par le décrochage ou l’emploi. Anticor y voit là un possible détournement de fonds publics.

Les liens d’intérêts relevés pour cet élu auraient dû l’obliger à ne pas prendre part aux votes

Anticor

"Le plus interpellant dans tout ça, c'est le cas de Roch Brancour", appuie Alain Guillevic. En effet, l'association confirme les révélations de La Topette en notant que Roch Brancour aurait participé au vote de deux des subventions litigieuses (en 2020 et 2021), alors même qu'il est impliqué dans la création de l’école Le Gouvernail.

Les liens d’intérêts relevés pour cet élu auraient dû l’obliger à ne pas prendre part aux votes, estime Anticor, qui pointe là un potentiel délit de prise illégale d’intérêts.

Selon l'association, son signalement a conduit le parquet de Nantes à ouvrir une enquête préliminaire à la fin du mois d’août dernier.

Retrouvez ce reportage de Jérémy Armand, Gwenaël Rihet et Nicolas Guilaud, réalisé en 2021

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