Pour Marlène Tardif, jeune infirmière de 28 ans à l’époque, ce poste à la résidence Saint-François, un EHPAD d’Angers, est son premier emploi. Lorsque le confinement est décrété, le 17 mars 2020, elle va vivre des semaines humainement très éprouvantes.
Ce dont Marlène Tardif se souvient, c’est d’abord d’un grand flou. En février 2020, on ne sait pas encore si ce coronavirus est une maladie grave ou pas. Marlène est alors une toute jeune infirmière, à peine sortie de sa formation à l'IFSI, l'Institut de Formation en Soins Infirmiers de La Flèche, dans la Sarthe.
Marlène, 28 ans, est dans son premier emploi, à la résidence Saint-François, un EHPAD d'Angers, lorsque le coronavirus arrive.
"Il y avait tellement de sons de cloches différents, se souvient la jeune femme qui fait partie d’une équipe de quatre infirmières pour 80 résidents. On entendait que c’était une petite grippe, d'autres disaient qu’il fallait qu'on fasse attention. Parfois ce n'était pas très grave et puis finalement on nous dit que c'est très grave, qu'il y a beaucoup de morts, qu'il faut tout fermer, se protéger. Ça a été une période vraiment particulière."
Si Marlène porte déjà un masque au travail, c'est parce qu'elle a un rhume. "La directrice de l’établissement nous a dit que ce serait peut-être bien qu'on commence à en porter tous", se remémore la jeune femme.
17 mars 2020, le confinement est déclaré
A l'arrivée du confinement, le compagnon de Marlène qui est entre deux contrats, se retrouve sans emploi. Il donnera un peu de son temps pour des menus travaux à l'EHPAD. Marlène, elle, donne beaucoup à son travail où elle se sent active, utile.
A la résidence Saint-François, l’organisation des journées est complètement chamboulée. Plus question pour les résidents de prendre les repas en commun dans la salle à manger.
"On faisait beaucoup d'heures, dit Marlène. A ce moment-là, on faisait des week-ends supplémentaires. On restait plus longtemps l'après-midi s'il fallait aider. On essayait de s'entraider au maximum parce que, avec le confinement, les résidents restaient tous en chambre et ça nous a rajouté une charge de travail importante. Ça a été toute une réorganisation".
Ça a été toute une réorganisation
Marlène TardifInfirmière
"Il fallait passer dans chaque chambre par exemple pour distribuer les médicaments et les plateaux repas midi et soir, alors que, normalement, ça se fait en salle à manger, explique encore la jeune femme, il fallait aussi organiser le lien avec les familles qui n’avaient plus le droit de venir, mettre en place des liaisons Skype et beaucoup d'appels téléphoniques à gérer."
Un roulement des cadres pour aider à servir les plateaux
La réorganisation impacte tous les services et chacun participe à l’effort. Jusqu’aux cadres qui viennent donner un coup de main dans les étages.
"Il y a eu une mise en place d’un roulement des cadres pour aider à servir les plateaux dans les chambres, se souvient Marlène. 80 plateaux à distribuer matin midi et soir. Ça demandait une organisation importante de la part des cuisiniers et de tout le monde."
"Confiner les résidents dans leur chambre, sans visite, c’était inhumain. Sur le moment voilà, on suivait les recommandations qui nous étaient imposées. On ne réfléchissait plus."
Marlène TardifInfirmière
Et puis il y a eu les premiers décès de cette période très, peut-être trop, cadrée. Des décès, il y en a bien sûr dans les EHPAD qui sont des lieux où l'on termine sa vie. Mais là, les façons de faire n'avaient plus rien à voir avec ce que connaissaient le personnel et les familles.
Et cela a laissé un souvenir traumatisant à la jeune infirmière.
"Il fallait mettre les personnes dans des housses mortuaires, sans toilette"
Si aucun cas covid n’a été identifié officiellement pendant le confinement à l'EHPAD Saint-François, tout décès était suspect et considéré comme lié à la maladie potentiellement mortelle.
"La gestion des décès a été très compliquée pour moi, avoue Marlène. Il fallait mettre les personnes dans des housses mortuaires, telle quelle, sans toilette. Fermer la housse. Ça a été très difficile à vivre. Et avec le recul, maintenant, je m’opposerais à cette décision-là. Mais voilà, c’était le protocole", se souvient encore avec émotion Marlène.
Pendant le confinement, la réglementation était claire... et cruelle. Les familles n'avaient pas accès à leur proche.
Cependant, pour les fins de vie, à la résidence Saint-François, on autorisait les familles à venir.
Tout un équipement de cosmonaute
"Les visites se faisaient avec tout un équipement de cosmonaute, raconte Marlène Tardif. Charlotte, masque, surblouse, gants, surchaussures."
Un équipement que les familles trouvaient devant la chambre et dont elles se débarrassaient, avant de sortir, dans un sac spécial, type déchets cliniques.
"On faisait ça nous aussi dès qu'il y avait la moindre suspicion de covid, précise l'infirmière. Ça nous a ajouté beaucoup de travail, de s'habiller et se déshabiller à chaque chambre. Et il y avait les prises de constantes (tension, température, pouls). On avait la tête dans le guidon, on faisait. C’était en mode un peu robot."
Les nouvelles mesures imposées, les changements dans les protocoles, arrivaient la veille pour le lendemain. Ce qui ajoutait des difficultés à des journées déjà bien denses.
"Ils ne se battaient plus pour vivre"
Des syndromes dépressifs chez les résidents, des syndromes de glissement, Marlène en a vu beaucoup.
"C’était humainement difficile de voir tous ces résidents confinés dans leur chambre, sans visite, se souvient Marlène. Pour se protéger d’une maladie certes mortelle mais les conséquences psychologiques pour les résidents ont été très compliquées. Il y a eu une vague de décès importante non liée au covid mais des personnes qui ne se battaient plus pour vivre."
Les applaudissements, ça nous permettait de tenir.
Marlène TardiInfirmière
Mais Marlène garde aussi le souvenir d'une énorme vague de solidarité. Il y a eu des renforts, une infirmière à la retraite, des étudiants, qui sont venus bénévolement.
"Ça a soudé un peu tout le monde, sourit la jeune femme. En fait, on était tous dans le même bateau. On allait au travail, on se sentait utile, on était applaudi à 20h par les gens du quartier donc c'est vrai qu'on se sentait vraiment utile à ce moment-là. A la fin de la journée, d’entendre ces applaudissements, ça nous mettait du baume au cœur. Ça nous permettait de tenir."
Plus de travail encore après
Et puis le confinement s'est arrêté et les applaudissements ont cessé. Lorsque le fonctionnement habituel a repris, le covid est entré dans l’établissement en 2021, il y a eu des malades, des étages à isoler, plus de travail, des personnels absents et plus aucun renfort.
"Le contrecoup a été plus difficile à vivre que la période elle-même, avoue Marlène. Quelques mois après, quand les mesures se sont un peu assouplies, que les visites ont repris et qu’on a pris du recul par rapport à ce qui s’était passé."
Une sorte de décompensation sans doute pour l'infirmière qui a donné toute son énergie dans les soins aux résidents pendant le confinement. Et après aussi.
Les héros de la santé qu'on applaudissait début 2020 ont le sentiment d'être retombés dans la normalité... et l'oubli.
Les dates de la crise covid dans les EHPAD
- 12 mars 2020 : le ministre de la santé, Olivier Veran, annonce l'interdiction "jusqu'à nouvel ordre" des visites extérieures. Ainsi que les sorties individuelles ou collectives. (Les visites étaient déjà encadrées de puis le 7 mars, une personne maximum par visite, interdiction des visites pour les personnes mineures et pour les personnes symptomatiques).
- 20 avril 2020 : reprise progressive des visites mais de façon très encadrée, notamment sous certaines conditions de nombre (pas plus de deux personnes en chambre)
- Janvier 2021 : premières vaccinations