Depuis l'automne, les fortes pluies marquent la fin de deux années de sécheresse. Dans les Pays de la Loire, c'est aussi le retour des inondations, dont la fréquence et l'ampleur augmentent sous l'effet du dérèglement climatique et de la forte artificialisation des sols.
Elles ont repris leur aspect hivernal : le long des routes et des cours d'eau, les prairies inondées des basses-terres semblables à des grands lacs, dont dépassent quelques arbres. Après deux ans de sécheresse, la pluie qui tombe régulièrement depuis l'automne permet aux nappes phréatiques de se recharger.
Les cartes comparatives publiées par le BRGM, organisme chargé notamment du suivi des eaux souterraines, montrent le retour de niveaux très élevés pour l'ensemble des Pays de la Loire.
Une situation qui contraste avec celle de l'hiver 2022-2023, très sec avec une période de 32 jours sans pluies, un record absolu d'absence de précipitations.
Dans son rapport sur la gestion de la sécheresse, Sophie Brocas, préfète coordinatrice du bassin Loire-Bretagne notait qu'au printemps 2023, 75 % des nappes restaient sous les normales mensuelles. Pour les cours d'eau, les déficits pouvaient atteindre jusqu'à 80 % de leurs débits moyens.
Le retour du risque inondations
Si le retour des pluies lève, temporairement, les inquiétudes qui pesaient sur l'alimentation en eau potable, la forte pluviométrie marque aussi la réapparition du risque d'inondations et de submersion marine. Au mois d'octobre, le centre-ville de Pornic a vu le niveau d'eau monter de 60 centimètres, sous l'effet conjugué de la tempête Céline et d'un fort coefficient de marée.
Moins impressionnantes, mais plus fréquentes, les fortes pluies provoquent aussi de très nombreuses "petites" inondations : à Nort-sur-Erdre, le 5 janvier dernier, l'eau est ainsi montée en quelques heures dans cinq maisons de la commune.
Un littoral et des cours d'eau très artificialisés
Dans son premier rapport, le GIEC Pays de la Loire pointait la forte vulnérabilité du territoire aux risques d'inondation et submersion : faible relief, importance des cours d'eau et des marais qui couvrent 13 % du territoire se conjuguent avec une forte artificialisation.
Avec près de 15 % du territoire urbanisé, notamment près des fleuves et des zones côtières, notre région se trouve au 4ᵉ rang national en termes de surfaces artificialisées.
Cette urbanisation intensifie à la fois le ruissellement en cas de fortes pluies, et le déficit de recharge des eaux souterraines dans les périodes de sécheresse.
De fait, le GIEC régional constate déjà le doublement du nombre de catastrophes naturelles ces 20 dernières années, "passant de 3 660 entre 1980 et 1999 à 6 701 pour la période 2000-2019".
Pour les inondations, le risque se concentre particulièrement sur la zone littorale et autour des cours d'eau, comme le montre notre carte du nombre d'arrêtés catastrophe naturelle liés à ces dernières depuis 1982.
La région de Saumur, plus exposée au risque
Parmi les cercles bleus, le secteur de Saumur saute aux yeux : avec 411 arrêtés de catastrophe naturelle pour inondations depuis 1982, le secteur apparaît comme le plus touché de l'ensemble du grand ouest.
Traversée par deux bras de Loire et par la rivière Thouet, Saumur a connu plusieurs inondations majeures au XIXe siècle, avec inondations du Val d'Authion et du centre-ville en 1846, 1856 et 1866. Pendant trois décennies, l'eau atteignait 6 à 7 mètres avec une régularité de métronome.
En décembre 1982, la ville a également connu une grande crue, plus de 6 mètres enregistrés, mais sans dommages majeurs.
Épisodes cévenols et crues océaniques
Ces phénomènes fréquents s'expliquent notamment par l'influence de la Méditerranée sur les hauts bassins de la Loire, qui peuvent connaître des crues violentes dites "cévenoles", susceptibles de se conjuguer avec des crues océaniques.
Un phénomène amplifié par la confluence avec la Vienne en amont de Montsoreau, dans un secteur où les pentes rendent la rivière plus réactive en cas de fortes pluies.
Au sud de la Loire, la rivière Thouet connaît également un régime torrentiel, qui a conduit à l'édification d'ouvrages de protection depuis la fin du XVIIIe siècle.
"C'est un phénomène que l'on observe plutôt en montagne, mais dans le secteur, il y a de fortes pentes. La pluie descend plus vite et peut faire déborder le Thouet", explique Eve Baradel, chargée de mission en prévention des risque pour la communauté d'agglomération.
Le Saumurois se trouve aussi sur une nappe phréatique affleurante, susceptible de remonter lors d'épisodes pluvieux. En raison de la topographie, il y a aussi un certain nombre d'inondations par ruissellement.
Pour la ville de Saumur, un plan communal de sauvegarde analysait en 2009 le risque et les mesures de prévention. Il doit être revu, car le programme d'action et de prévention des inondations, validé l'an dernier par la communauté d'agglomération, intègre les travaux réalisés sur les ouvrages de protection.
"Depuis deux ans, le niveau de sûreté de la digue de l'Authion a été amélioré, passant d'un risque de crue quinquennal à une évaluation du risque tous les 70 ans", précise Eric Mousserion, vice-président de la communauté d'agglomération, en charge de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations.
Principal ouvrage de protection, la levée de l'Authion couvre 80 kilomètres, entre Langeais dans l'Indre et Loire, jusqu'aux Ponts-de-Cé dans le Maine-et-Loire. La digue a fait l'objet de travaux réguliers depuis plus de vingt ans. Actuellement, c'est le secteur des Rosiers-sur-Loire qui est en réfection, pour 6 millions d'euros : trois kilomètres de béton doivent y être mélangés à la terre de la digue, afin de prévenir les entrées d'eau et les risques de rupture.
Sur la ville de Saumur, 400 000 euros de travaux ont été réalisés sur les digues qui protègent le centre-ville, et deux millions de travaux sont prévus pour les années à venir.
Entre la levée de l'Authion, les digues du centre-ville et le remblai de Saint-Hilaire, près de 87 000 personnes sont protégées, à des degrés divers.Il reste cependant des zones rouges, comme à Saumur, le quartier dit " entre les ponts " qui regroupe les îles d'Offard et Millocheau ainsi que les quartiers situés en rive sud.
Dépourvus de toute protection, ils se situent dans une zone de grand débit. En cas de crue similaire à celle de 1856 qui avait atteint 7 mètres de hauteur, près de 2 000 logements seraient touchés, estimait le plan communal de sauvegarde établi en 2009.
Vivre avec les crues
C'est pour cela que le PAPI prévoit aussi des actions de sensibilisation au risque. "L'objectif est de faire prendre conscience aux riverains des inondations qui ont pu se produire dans le passé, et qui sont susceptibles de revenir", précise Eric Mousserion.
A Saumur, l'automne dernier, les enfants ont ainsi réalisé des peintures sur les arbres pour modéliser la crue de 1856, et une balade urbaine a également été organisée sur le sujet.
Sur la commune d'Allones, c'est un théâtre-débat, intitulé Les Pieds dans l'eau, qui abordait sur un mode humoristique les mesures de prévention face au risque d'inondations.
Dans les zones concernées, les riverains sont invités à se tenir informés, et à aménager chez eux une zone de survie et de stockage hors de l'eau.
En cas d'alerte, les pouvoirs publics recommandent de constituer une trousse d'urgence, avec les papiers essentiels, des vêtements chauds, du matériel de couchage, de l'eau, des médicaments...
Quand l'eau est là, couper le gaz et l'électricité, puis monter dans la zone de survie. Si vous avez besoin d'aide, accrocher un linge blanc à la fenêtre. Ne pas prendre sa voiture, pour éviter de se trouver coincé par la montée des eaux. Ne pas tenter de franchir une zone inondée, même si elle est peu profonde. Il faut attendre l'ordre d'évacuation, puis emprunter les itinéraires recommandés.
Réduire le risque inondation
Si le dérèglement climatique affecte le régime et la régularité des précipitations, aggravant les phénomènes de sécheresse et d'inondation, on peut réduire l'impact des phénomènes extrêmes.
Restauration des zones humides et des cours d'eau, désimperméabilisation des sols, réimplantation de haies bocagères, végétalisation des bassins versants font partie des solutions fondées sur la nature que préconisent les scientifiques du GIEC Pays de la Loire dans leur second rapport, consacré aux moyens d'action.
Comme les agriculteurs se trouvent en première ligne, le GIEC régional préconise d'accélérer leur formation, tout en leur apportant un appui à la fois social et financier, en développant notamment le paiement pour services environnementaux.
En effet, lorsqu'un agriculteur accepte de recréer des méandres sur ses parcelles, il contribue à préserver les écosystèmes, à atténuer les effets du changement climatique, et participe au bien-être de la population.
Recréer des méandres
À Saint-Gildas-des-Bois, les éleveurs de la ferme de la Chataigneraie n'ont pas attendu les compensations financières pour se lancer. En 2020, Jean Guitton et ses deux associés ont accepté que le syndicat de bassin versant du Brivet vienne recréer des méandres sur le ruisseau qui traverse une de leurs parcelles.
Comme beaucoup de cours d'eau, ce dernier suivait en effet un tracé rectiligne depuis l'époque du remembrement, quand les pouvoirs publics avaient encouragé l'arrachage des haies, le regoupement des parcelles, et le drainage des terres. L'objectif était alors que les tracteurs puissent passer partout, pour une agriculture mécanisée capable d'exporter.
Si la mise au pas des ruisseaux avait permis d'obtenir des terres sèches qu'on pouvait travailler toute l'année, elle avait aussi conduit à un apauvrissement du milieu aquatique, et chamboulé les équilibres naturels.
Jean Guitton se souvient : "Quand j'entends mon grand-père en parler, il me disait que quand il pleuvait ici, sur la tête du bassin versant, les marais étaient inondés trois ou quatre jours après. Aujourd'hui, quand il pleut en tête de bassin versant, parfois, il suffit de 24 heures pour que l'autre côté de la communauté de communes inonde."
Avec ses méandres, le ruisseau qui traverse cette parcelle de bocage commence à retrouver les signes d'une vie aquatique. "Mais les travaux ne datent que de quatre ans. On a mis trente ou quarante ans à détruire ces milieux, et il faudra du temps pour qu'ils récupèrent", tempère Guillaume Panhelleux, directeur du Syndicat du Bassin Versant du Brivet.
En hiver, le ruisseau déborde allègrement sur la prairie, où des plantes aquatiques côtoient désormais les brins d'herbe. Dans le même temps, il alimente les nappes souterraines, qui permettent d'éviter les assecs en été, et de conserver de la végétation quand les parcelles drainées des alentours jaunissent sous l'effet du manque d'eau.
Un chantier de longue haleine
Pour le syndicat de bassin versant du Brivet, la renaturation des cours d'eau est un vaste chantier, dont les effets ne se constateront pas à grande échelle avant au moins plusieurs décennies. Chaque année, dix à quinze kilomètres de ruisseau retrouvent leurs méandres. "C'est un objectif ambitieux, précise Guillaume Panhelleux, directeur du Syndicat du Bassin Versant du Brivet. Le coût des travaux annuels se situe entre 500 000 et un million d'euros." Sans oublier les agriculteurs et les propriétaires qu'il faut convaincre d'accepter les contraintes de ces chantiers.
Pour la ferme de la Châtaigneraie, l'exploitation de la parcelle renaturée est devenue plus technique. Moins simple à entretenir, le pâturage y est aussi moins nutritif, même si les vaches se sentent bien dans cet espace plus frais et plus humide en plein été.
Pour Jean Guitton, la proposition du GIEC régional, qui préconise une rémunération des services environnementaux aurait du sens : "Ce serait avant tout la reconnaissance qu'il y a un coût sociétal, et que l'eau est un bien commun. Si on avait de la reconnaissance sociale et économique, çela nous permettrait de maintenir beaucoup plus facilement des espaces de prairie naturelle, et ce serait très favorable pour les questions de stockage de l'eau, des inondations, des sécheresses."
Des sécheresses également plus fréquentes
Car, outre les inondations, le déréglement climatique accentue la fréquence des sécheresses. Selon le rapport du GIEC régional, notre région compte en moyenne 24 jours de sécheresse par an, contre 17 jours sur la période de référence (1976-2005).
D'ici 2050, la durée des sécheresses estivales pourrait atteindre 27 jours.
Dans son second rapport, le GIEC régional évoque des mesures pour atténuer les effets des phénomènes extrêmes, mais il donne surtout des pistes pour réduire les émissions de CO2. Si rien n'est engagé, le réchauffement atteindra 3° à 4° d'ici la fin du siècle, et, soulignent les experts, "c'est désormais une certitude, chaque dixième de degré supplémentaire provoque son lot de catastrophe".
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