En quatre ans, trois festivals de musiques actuelles ont purement et simplement disparu du paysage ligérien, un autre a rendu les décibels avant même sa première édition, tous sont aujourd'hui plus ou moins obligés de se repenser. Pourquoi, comment ? Réponses ici...
C'est l'un des premiers festivals ligériens à avoir jeté l'éponge au cours de ces cinq dernières années, Rock' Estuaire à Cordemais, près de Nantes, un petit tour en 2015 et puis s'en va ! L'affiche de la deuxième édition, en 2016, promet pourtant d'être belle. Sinsemilia, Luke, Les Ramoneurs de Menhirs, Billy the Kick, Aaron ou encore Shake Shake Go doivent s'y produire mais les organisateurs annulent tout huit jours avant l'événement. En cause ? Les faibles ventes de la billetterie !
"C'est un jour difficile pour les amateurs de rock du Pays de la Loire...", expliquent les organisateurs dans un communiqué posté le 2 juin 2016 sur leur compte Facebook. "Malgré l'élan de soutien autour du Festival Rock'Estuaire, les ventes de la billetterie ne permettent pas aujourd'hui de couvrir les frais liés à l'organisation. Nous n'avons d'autres choix que d'annuler la seconde édition de ce Festival 100% bénévoles".
La passion n'a pas suffi - les organisateurs de Rock' Estuaire
De passion, pourtant, Bruno Fouchard et Emmanuel Riailland n'en manquent pas, ni les dizaines de bénévoles qui se mobilisent à leurs côtés.
Malgré les années passées, Bruno Fouchard garde aujourd'hui encore une certaine amertume de cette aventure avortée. "Avec Rock'Estuaire, nous voulions proposer une offre différente avec des artistes que l'on ne retrouvait pas dans les différents autres festivals, nous voulions faire découvrir le rock à des familles. Le public d'aujourd'hui a tellement d'offres de festivals différents qu'il choisit principalement d'aller vers les gros festivals avec des artistes de renom. Le public d'aujourd'hui est difficile. Cette année, je suis allé à La Nuit de l'Erdre principalement pour Editors, je trouvais que c'était un bon choix de programmation et là seulement 100 ou 200 personnes devant la scène. Et oui, ça ne passe pas en radio".
"Donner vie à nos utopies"
Deux ans plus tard, en octobre 2018, c'est au tour des organisateurs de Couvre Feu (Corsept puis Frossay, dans le sud Loire) de sonner la fin des festivités. Juste au lendemain d'une 16e édition ayant réuni une cinquantaine de groupes et artistes tels que Thomas Fersen, Suprême NTM, Ultra Vomit, Matmatah, Zenzile ou encore Panda Dub.
Dans un communiqué pour le moins amer, lui-aussi, les organisateurs déclarent : "N’ayant plus les moyens de donner vie à nos utopies, c’est avec une profonde tristesse que nous avons dû nous résoudre à mettre fin à notre association et qu’une procédure de liquidation judiciaire a été mise en place".
Couvre Feu a réuni en seize éditions 400 000 spectateurs, plus de 500 artistes, parmi lesquels Les Ogres de Barback, Tagada Jones ou The Offspring, mais aussi des centaines de bénévoles, des techniciens venus de toute la France, des moments d’exception comme le concert de Manu Chao dans le parc du Pointeau à Saint-Brévin ou encore l’expérience de l’itinérance en 2016…
Et de s’expliquer : "Bien que nous soyons conscients que les embouteillages de 2017, la présence démesurée des forces de l’ordre aux abords du festival, l’incompréhension du projet itinérant en 2016, les polémiques malveillantes et mal informées suite au départ de Corsept, ont eu un réel impact sur le Festival Couvre Feu, l’heure n’est plus à l’analyse des raisons de la situation. Quand on est organisateurs de festival culturel, on ne peut supporter d’être injuriés ou menacés parce que l’État décide de mobiliser 200 gendarmes pour contrôler des personnes venant faire la fête ou parce qu’on déplace un événement de 15 km…"
Certains festivals sont annulés après une ou plusieurs éditions, d'autres avant même d'exister. C'est le cas du festival Champs Libres à Saint-Molf, en Loire-Atlantique. Sa première édition doit se jouer durant l'été 2018 et sa première édition bis en 2019. Ni l'une, ni l'autre ne voient le jour. Responsable ? Le niveau de ventes de billets mais pas que...
"C’est avec beaucoup de tristesse et déception que nous annonçons l’annulation de la première BIS édition du Festival Champs Libres. Toutes les équipes ont mis beaucoup d’énergie à mettre en place cette première BIS édition, mais à moins de 2 semaines de l’ouverture, le niveau des ventes, associé à un contexte économique global difficile dans le secteur des festivals, et un investissement partiel de certains membres de notre bureau, ne nous permettent pas de faire un événement digne de ce nom".
Et rien n'y fait, pas même les petits mensonges...
Nous avons tenté un coup de bluff sur nos réseaux sociaux en indiquant que plus de 72% des billets pour le festival étaient vendus - les organisateurs de Champs Libres
"Nous pensions que cela allait déclencher d’avantage de ventes, ce qui ne s’est malheureusement pas produit". Les 3 Fromages, No One Is Innocent, Bouskidou... ne se produiront jamais à Saint-Molf, à moins d'une première édition ter en 2020.
Et ce n'est pas fini. La liste s'allonge encore cette année avec le City Trucks Festival dont la quatrième édition devait se tenir du 30 août au 1er septembre, trois soirées de concerts et une affiche alléchante réunissant Radio Elvis, Charlie Winston, KO KO MO, Sinsemilia, Orelsan, No One is Innocent, Skip the Use, Elmer Food Beat ou encore Two Door Cinema Club.
À un mois de l'ouverture, le couperet tombe avec toujours les mêmes regrets .
C’est avec une immense tristesse, la gorge nouée et le coeur déchiré que nous devons annoncer la fin du city trucks festival pour des raisons financières - les organisateurs de City Trucks
"Par projection par rapport aux ventes des années antérieures nous connaissons actuellement un manque de 40% du chiffre d’affaires de la billetterie. La trésorerie actuelle du festival rend totalement impossible d’assumer le paiement des engagements. La poursuite de l’activité du festival augmenterait gravement le passif qui est en train de naître. Afin d’éviter d’aggraver la situation financière du festival, il est urgent de renoncer à l’édition 2019 du City Trucks Festival et de le placer sous protection du tribunal dans le cadre d’une procédure collective afin de garantir les droits de chacun".
Des multinationales qui font monter la concurrence
Au-delà des problèmes de billetterie systématiquement évoqués, les festivals en France doivent aujourd'hui repenser leur modèle économique s'ils veulent faire face à la hausse des dépenses liées à la sécurité, à la baisse des subventions et du pouvoir d'achat, mais aussi à l'arrivée des mastodontes de l'organisation de concerts et festivals que sont Live Nation ou AEG.
En rachetant des festivals (Main Square...) ou en les important (Donwload, Lollapalooza...), ces multinationales feraient monter la concurrence et grimper les cachets des artistes. Martine Robert, journaliste aux Echos, expose clairement cette problématique dans cette vidéo postée en juin 2018...
Alors, comment les festivals peuvent-ils survivre à ce contexte difficile et envisager l'avenir avec sérénité ? En proposant une programmation de niche comme le Hellfest ou au contraire en ratissant le plus largement possible comme Poupet ? En travaillant l'accueil du festivalier au risque de transformer les sites en parc d'attractions ? En développant un objectif solidaire comme Les 3 Eléphants, une approche éthique comme Au Foin de la rue ? En faisant un peu tout ça en même temps ?
Le Hellfest (15e édition en juin 2020 à Clisson), voilà bien un festival qui aujourd'hui encore, avec ses 14 éditions au compteur, laisse sans voix pas mal d'organisateurs en France et au-delà. 180 000 festivaliers sur 3 jours, des pass à plus de 200 euros vendus en moins de 2 heures sans que la programmation soit dévoilée, une bienveillance légendaire sur le site, une réussite incontestée...
Ben Barbaud peut être un homme heureux et l'afficher.
On est béni des dieux depuis six ans avec ce temps extraordinaire qui nous accompagne année après année - Ben Barbaud en ouverture de sa traditionnelle conférence de presse le 23 juin dernier.
Une météo favorable, certes, mais qui n'explique pas tout.
La musique ne fait pas tout
Le Hellfest a beau être "une grosse machine, le plus gros festival de France en terme de chiffre d'affaires avec plus de 27 millions d'euros", comme le souligne Ben Barbaud, il n'en reste pas moins géré par une association loi 1901 et par des passionnés de la première heure. Ceci explique peut-être cela.
Avec un effet de niche, le metal, et un investissement lourd accordé à l'accueil du festivalier qui déambule dans un décor à la Mad Max avec des structures lourdes dont certaines restent désormais à l'année sur le site. Plus qu'un festival de musique, le Hellfest est une expérience martèlent les organisateurs. Et ils ont certainement raison ! La musique ne fait pas tout au grand dam des fans de la première heure qui s'effraient de voir le festival leur échapper.
Et côté finances ? Avec seulement 1% de subventions publiques, 25 000 euros attribués par le département de la Loire-Atlantique selon Ben Barbaud, le Hellfest ne connaît pas la règle des trois tiers qui régissait jusqu'ici nombre de festivals (1/3 recette commerciales, 1/3 mécénat, 1/3 subventions publiques).
Pour le boss du festival de musiques extrêmes, c'est le mécénat qui est l'avenir des festivals. "On a développé des conditions d'accueil VIP dignes d'un stade...", explique le boss du Hellfest à nos confrères du Parisien. "Et les places s'arrachent. On pourrait doubler la capacité tellement on a de demandes".
À côté des mastodontes comme le Hellfest, les festivals plus modestes font le dos rond ou tentent de trouver d'autres voies... avec quelques inquiétudes.
"Privilégier la découverte et l'ambiance"
Pour Steven Jourdan, administrateur et programmateur du festival Terra Incognita (9e édition les 23 et 24 août à Carelles, en Mayenne), "l'important est de privilégier la découverte et l'ambiance. Avec 2 000/2 500 festivaliers par édition, nous n'avons pas les mêmes problématiques que les gros festivals. Ici, 95% des festivaliers viennent sans connaître les groupes programmés, ce qui les attire avant tout c'est l'ambiance, la convivialité, le prix modéré du billet. Une année sur deux ou trois, le festival est en déséquilibre mais nous n'avons pas souhaité répercuter la hausse des cachets artistiques et les surcoûts liés à la sécurité sur le prix des entrées. Aujourd'hui, nous sommes autofinancés à 93%, grâce à la billetterie, le bar et le mécénat qui représente à lui-seul 25% de notre budget.
L'avenir ? D'une manière générale, un poil pessimiste, on espère que les petits festivals pourront s'en sortir face aux gros qui seront de plus en plus gros... - Steven Jourdan, Terra Incognita
Même son de cloche du côté de l'association Pick Up Production organisatrice du festival Hip Opsession (16e édition, nouveau format en deux temps, les 11 et 12/10 et en février à Rezé/Nantes). Pierrick Vially, en charge de la coordination et de la programmation de l'activité hip hop évoque une tendance assez dramatique.
"Beaucoup de festivals et associations disparaissent ces derniers temps au profit de l’arrivée d’énormes festivals portés par les grands industriels de la consommation culturelle et/ou par des élus en manque de grande vitrine événementielle. Face à la globalisation qui voit certaines entreprises détenir des lieux, des festivals, des management/booking d’artistes et parfois même les réseaux de billetterie dans une gestion à 360°, l’heure n’est pas à la réjouissance. Les prix augmentent à tous les niveaux à cause de ce marché qui a muté. Je pense que les festivals bénéficiant d’une bonne ancienneté, bonne image, d’une originalité particulière et d’un ancrage local intelligent continueront d’exister grâce aux soutiens du public et des partenaires. Mais ils peuvent parfois être amené à revoir leurs ambitions à la baisse. les festivals plus récents et encore fragiles doivent sans cesse innover pour exister".
Il faut avoir une vision à moyen/long terme pour anticiper la suite de nos événements, rester innovants et dégager une certaine singularité - Pierrick Vially, Hip Opsession
"C’est aujourd’hui davantage "l’expérience vécue sur un festival" qui prend le pas sur la "programmation artistique", car celle-ci répond maintenant trop aux logiques de marché. La mode est aujourd’hui à la consommation rapide et à la non-fidélisation. De plus en plus d’organisateurs pensent des événements éphémères, à court terme et remettent en doute la longévité de leurs propositions pour aller vers plus d’instantanéité. Peut-être que la survie des organisations passera par là, mais au sein de Pick Up Production nous croyons toujours en l’ancienneté et à l’histoire de Hip Opsession, tout en faisant évoluer celui-ci tant dans sa forme que dans sa programmation pour rester dans l’air du temps".
Une recette miracle ?
"Il n y a pas de recettes miracles...", selon François Gabory, président du Chainon Manquant (28e édition du 17 au 22 septembre à Laval) et du réseau Chainon…,
Les festivals fonctionnent grâce à leur identité et leur qualité d'accueil et de programmation - François Gabory, président du Chainon Manquant
"Il faut toujours essayer d'éviter le gigantisme, car à force de voir grand on perd l'intérêt de ce que pourquoi ce festival est né. Ces organisations, souvent bénévoles au départ, sont des aventures humaines et collectives. Si cette énergie collective n'est plus là ...il faut arrêter. Une énorme tête d'affiche ne peut se soustraire à l'esprit d'un festival, c'est un leurre de croire que les publics ne se déplacent que pour les artistes. Non c'est un tout. Il vaut mieux une affiche artistique raisonnable et peu coûteuse mais qui permet de conserver un « esprit » festival, plutôt que d'énormes têtes d'affiches qui nécessitent des dépenses colossales en accueil et qui obligent à une rentabilité économique".
Du haut de ses 28 ans, le Chainon Manquant n'a peut-être pas trouvé la recette miracle mais installé dans le paysage ligérien un rendez-vous de caractère, sans têtes d'affiches. "Sa programmation est nourrie de découvertes et d'artistes émergents, c'est ce qui fait son identité et la spécificité de ce festival".
Bruno Fouchard, fondateur de feu-Rock'Estuaire, s'inquiète :
J'ai peur qu'il ne reste que les gros festivals avec toujours les mêmes artistes et rien d'autre
"C'est un peu la même chose que pour l'artisanat et les grandes surfaces, au public de savoir ce qu'il souhaite vraiment. Car pour moi, le principal responsable de cette situation, c'est le public".
Public, organisateurs, artistes, bénévoles... Tous responsables, tous éco-responsables. C'est le nouvel enjeu de demain, l'éco-responsabilité, avec des implications environnementales, sociales et économiques.
Favoriser les circuits courts, impliquer les populations locales, développer les énergies vertes et le tri sélectif, favoriser le covoiturage... Faire vivre aujourd'hui un festival, c'est faire vivre des valeurs, une philosophie. Promouvoir la musique ok mais avec une approche écologiquement saine, socialement équitable et économiquement viable. On en reparle bientôt ?