Les établissements d'hébergement pour personnes âgées se préparent au pire. Le but est de faire obstacle au covid-19 pour qu’il ne pénètre pas dans ces lieux où vivent ceux qui sont les plus exposés au virus.
A la résidence Béthanie, aux Achards en Vendée, les locataires sont 108 et ils ont en moyenne 89 ans. L’établissement est totalement fermé au public depuis le 11 mars. Pas de visite de famille encore moins d’amis. Et depuis le 18 mars, tout le monde est confiné dans les chambres.
Le personnel s’est organisé pour que chacun puisse toutefois faire une promenade dans le parc pendant 45 minutes, une fois par jour.
"La coupure avec la famille a été très difficile..."
« On sent un poids sur nos épaules, témoigne Estelle Guédon, la directrice. La coupure avec la famille a été très difficile, il y a eu beaucoup de colère au début. Vous allez nous faire mourir disaient certains résidents. Maintenant, ils commencent à accepter la situation. »L’établissement dispose heureusement d’un ordinateur avec un grand écran. Un rendez-vous est fixé régulièrement avec la famille de chaque résident pour une liaison par Skype.
Comme il n’y a plus de facteur, les familles transmettent leur courrier par mail avec parfois des dessins envoyés par des petits-enfants.
La note d’humour vient étonnamment des quelques personnes âgées désorientées qui se fichent bien des consignes et parviennent de temps à temps à passer les barrières du parc. On les ramène, ça met un peu de légèreté dans cette ambiance lourde . « On ne peut quand même pas les enfermer à clef ! » fait remarquer Estelle.
Attention aux états dépressifs
Si le confinement a pour effet bénéfique de limiter les chutes, il oblige néanmoins le personnel à être extrêmement vigilant. On surveille plus encore ceux qui développaient déjà auparavant des états dépressifs.Pour alléger un peu l’atmosphère, il a été décidé de diffuser de la musique dans les couloirs. Dans les chambres, on fait du dessin, des mandalas et il y a beaucoup de coups de téléphones pour garder le contact avec la famille.
Les consignes d’hygiène, les gestes barrières sont appliqués avec une grande rigueur. Les poignées de porte, les interrupteurs, les mains courantes sont désinfectés deux à trois fois par jour. Mais le port du masque par les personnels pose un problème auquel on n’avait pas pensé : les résidents malentendants ne peuvent plus lire sur les lèvres.
Estelle sait qu’elle peut compter sur son personnel pour vivre au mieux ces contraintes et ce qui se prépare.
« Ça se passe bien dit-elle, j’ai la chance d’avoir une équipe très présente. Pour certains, il faudra en plus le soir à la maison assurer pour les devoirs des enfants. »
Mais il a fallu aussi préparer les équipes au scénario le plus sombre. L’entrée du covid-19 dans l’établissement. Il faut être prêt pour accompagner ces décès qui se feront dans les chambres, au mieux sous sédation."Des fois, on craque..."
« On entend bien que l’hôpital ne peut pas être relai mais on doit pouvoir mourir dans des conditions dignes » insiste cette directrice.
Un accompagnement psychologique des personnels a été mis en place avec un numéro spécial.
"on demande d’avoir des moyens dignes de ce nom..."
Mickaël Wambergue est président régional de la Fédération des Associations de Directeurs d’Etablissements et Services pour Personnes Agées.« On est tous mobilisé pour faire face à la vague qui va nous arriver, dit-il. L’environnement contraint, on l’a toute l’année, on demande d’avoir des moyens dignes de ce nom depuis longtemps. En France, vous avez en moyenne dans les EHPAD, 60 salariés pour 100 résidents. En Pays de la Loire, on en a seulement 50. »
Un chiffre qu’il compare à ce qu’il a pu voir dans les pays nordiques et notamment au Danemark. « Là-bas, dit-il, on est à un salarié pour un résident ».
Ce qui se prépare est l’occasion pour lui de remettre sur la table le manque de considération des pouvoirs publics pour ce secteur.
Lui aussi rend hommage à son personnel. Il est le directeur d’un EHPAD qui porte le doux nom de « Fleurs des Champs » à La Planche, en Loire-Atlantique.
« Les plus inquiets dit-il à propos de ses résidents, sont ceux qui regardent trop les chaînes d’info. Mais de manière générale, ils me surprennent. Ils disent qu’ils ont connu pire avec la guerre. »
Comme ses collègues d'autres établissements, il a mis en place des sessions Skype, des envois de photos, de vidéos par mail ou d'autres réseaux avec les familles.
« Une petite fille qui était à la maternité avec sa maman a envoyé à sa grand-mère la photo de la dernière née de la famille. » raconte-t-il.
Et comme les plus anciens ne maîtrisent pas les outils numériques, le personnel aide les résidents à utiliser l’ordinateur pour communiquer par courriel avec les enfants.
"On a aussi un beau jardin avec une fontaine, précise Mickaël, les promenades se font en individuel ou par groupe de deux ou trois mais bien espacés. »
Ces contraintes bousculent l’organisation de l’établissement alors tout le monde s’y met. Ainsi, l’agent de maintenance vient lui aussi accompagner des résidents dans le parc. Pour les repas en chambre (ils ne peuvent plus être servis en salle), le personnel administratif donne un coup de main.
« Dans les moments comme ceux-là fait remarquer ce directeur, on voit la richesse des personnels. »
Mickaël espère comme ses collègues qu’il n’y aura pas de cas de covid-19 dans son établissement.
« On a la chance de voir la vague arriver avec un décalage par rapport à l’est dit-il. On a pu se préparer. »
"Pour le moment, il n'y a pas d'absentéisme..."
Dans la résidence pour personnes âgées de Nantes « La Chézalière », Catherine Hermant, la directrice, a réussi à trouver du renfort pour les semaines à venir.« Pour le moment, dit-elle, il n’y a pas d’absentéisme, les personnels sont là. On a quand même embauché. Il faut préserver les résidents et les personnels. On aura peut-être un déficit financier en fin d’année, on ne se pose pas la question pour le moment. »
Catherine sait que dans d’autres établissements, il y a eu des défections dues à la panique de certains personnels.
A La Chézalière, chaque jour à 14h, il y a une réunion avec les personnels où sont évoquées toutes les questions même les questions d'organisation personnelle et on essaye d’y apporter des réponses.
Ainsi, lorsque les transports en commun ont décidé de ne plus assurer les dessertes après 20h, il a fallu trouver des solutions pour ceux dont le service se prolongeait jusqu’à 21h. « On a raccompagné le personnel ! »
La question que tous se posent, c’est combien de temps ça va durer. Est-ce que le personnel va tenir ? Le pic d’épidémie est prévu pour début avril.