Il n'y a pas que pour les salariés que la réforme des retraites représente un défi. L'allongement des carrières devra être géré aussi par les entreprises, mais sont-elles vraiment en capacité de s'adapter ?
Pas facile d'avoir des réponses quand on interroge des entreprises sur leurs capacités à adapter les postes de travail ou les missions au vieillissement de leurs salariés.
Comment gèrent-elles aujourd'hui les carrières, les tâches, en fonction de l'âge ? Et le font-elles d'ailleurs ? Dans les cortèges des manifestations de janvier, on entendait souvent ces réflexions désabusées de salariés approchant ou ayant dépassé la soixantaine à qui on demande la même implication qu'à leurs cadets de trente ans. Alors que, physiquement ou mentalement, ils ne se sentent plus capables de supporter de telles charges, de telles journées ou de telles doses de stress.
Beaucoup envisageraient plus sereinement un éventuel allongement de carrière s'il y avait, pour accompagner cette réforme, une vraie réflexion sur l'adaptation des exigences de leur employeur à leur âge, leur état de santé.
"Ce sera certainement un défi"
Interrogé sur la question, le groupe vendéen Bénéteau, leader mondial dans l'industrie nautique et européen dans le secteur de l'habitat de loisir voit bien remonter des inquiétudes de la part de salariés qui sont en poste, pour certains, depuis plus de 35 voire 40 ans.
"Même si la grosse majorité de nos salariés part en carrière longue (60 ans), indique-t-on chez Bénéteau, c’est une question très importante et ce sera certainement un défi car nos postes sont à forte valeur ajoutée de transformation de type "artisanaux". Ils nécessitent des postures contraignantes, à genou, accroupis, et des manutentions pour beaucoup d’entre eux, qu’il est parfois difficile de maintenir avec l’âge."
Même si la grosse majorité des salariés part en carrière longue, dans cette entreprise qui emploie 7500 personnes dans le monde, on assure avoir bien conscience de ce défi. 18% des effectifs a plus de 55 ans.
"La GEPP ( gestion des emplois et parcours professionnels) est donc un outil important à renforcer pour anticiper l’organisation des fins de carrière, précise-t-on chez Bénéteau. Nous travaillons au cas par cas avec les personnes concernées. Nous savons nous adapter, entre autres, aux restrictions médicales."
Ce grand groupe aux multiples métiers a aussi l'avantage de pouvoir proposer des évolutions de carrière et dit prévoir aussi un "axe sur la transmission dans l'aménagement de fin de carrière des seniors."
"Il ne faut pas obérer le coût que cela peut représenter"
Chez Claas qui emploie environ 700 personnes au Mans pour la production de machines agricoles, la proportion de plus de 55 ans est quasi équivalente (16%).
Un accord d'entreprise prévoit des congés supplémentaires dans les deux ans avant la retraite, la règle des congés d'ancienneté, nous dit-on, y est plus favorable que dans la convention collective.
Pour l'adaptation des postes de travail, l'entreprise dit avoir mis en place " un transfert, dans certains cas, du salarié vers un poste moins sollicitant physiquement."
Mais à la condition qu’il y ait "un besoin opérationnel". Pas de poste à pourvoir, pas d'évolution envisageable vers le poste.
Claas précise cependant que le groupe a investi 40M€ en trois ans pour rénover son usine mancelle et, à cette occasion, a amélioré l'ergonomie des postes de travail, ce qui a bénéficié à tous les salariés, âgés ou jeunes.
"Nous poursuivrons nos efforts sur le sujet même s’il ne faut pas obérer le coût que cela peut représenter dans certains cas", tient-on à préciser.
"Est-ce qu'on aura les moyens d'adapter leur poste ?"
Car oui, adapter les postes de travail à un salariat plus âgé a un coût.
Si, dans les grandes entreprises, ce coût est absorbable, pour les unités plus modestes, il peut vite être un frein à l'investissement.
"Ce qui nous inquiète dans le rapport de l'âge légal de départ à la retraite, déclare Olivier Morin, président de la Confédération des Petites et Moyennes Entreprises en Pays de la Loire, c'est finalement : est-ce que nos salariés seront en capacité de travailler toujours dans les mêmes conditions, est-ce qu'on aura toujours les moyens, nous, d'adapter leur poste ?"
Combien de chefs d'entreprises seront contraints de se séparer d'un salarié pour inaptitude ? Et ce, malgré les efforts qu'il aura fournis pour adapter le poste de travail ?
"Quelque soit l'adaptation du poste qu'il (le chef d'entreprise) a pu faire, la préservation des conditions de travail qu'il a pu mettre en place, finalement, toute cette usure que le salarié a connu tout au long de sa carrière et bien c'est le dernier employeur qui va payer. Donc ça refroidit pour employer un senior !"
Car, fait remarquer Olivier Morin "un licenciement pour inaptitude médicale coûte très cher aux entreprises. C’est le double de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement".
Pour ce représentant du monde des PME et des TPE (très petites entreprises), ce coût devrait être partagé collectivement par les entreprises. Il faudrait, selon lui, trouver une solution pour mutualiser cette indemnisation.
Risque d'augmentation des licenciements
Un effet pervers de l'allongement des carrières pourrait-être une augmentation des procédures de ruptures conventionnelles, ou au pire des licenciements disciplinaires.
En revanche, pense Olivier Morin, dans les secteurs en tension, des chefs d'entreprise apprécieront cet allongement des carrières.
"Si je peux garder mes salariés plus longtemps compte tenu de la difficulté à recruter, ça va bien m’aller" lui ont fait remonter certains de ses collègues dirigeants.
D'une entreprise à l'autre, une situation différente
Selon Le Dr Véronique Mennestrier, médecin inspecteur régional du travail en Pays de la Loire, toutes les entreprises ne sont pas au même niveau d'avancement dans cette problématique.
Elle se souvient avoir eu dans ses dossiers, lorsqu'elle était en Île-de-France, un grand groupe hôtelier qui avait mis en place un aménagement pour les femmes de ménage. À partir de 55 ans, elles avaient moins de chambres à faire.
"C'est très disparate, constate Véronique Mennestrier. Certaines entreprises étaient depuis très longtemps dans les starting-blocks, d'autres pas du tout. Celles qui ont déjà travaillé sur leur GPEC, (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences), sont prêtes à le faire évoluer."
Mais Véronique Mennestrier avoue que cette réforme inquiète beaucoup de monde.