Où se cache le requin-taupe ? Menacé d’extinction avant l’interdiction de sa pêche, des biologistes marins ont découvert son sanctuaire

Largement capturé jusqu’en 2009 par les pêcheurs de l’île d’Yeu mais paradoxalement peu étudié, le requin-taupe commence à livrer quelques-uns de ses secrets. Notamment depuis qu’une colonie s’est établie dans les eaux du Trégor à proximité de la réserve naturelle de l’archipel des Sept-Îles, en Bretagne.

Un cousin du requin blanc, sans danger pour l'homme

Le requin blanc de sinistre réputation est son proche cousin. Même silhouette, des dents acérées, un aileron proéminent et une taille imposante. La comparaison s’arrête au seuil de la menace pour l’homme : aucune attaque de requin-taupe n’a jamais été répertoriée dans l’histoire. C’est un migrateur des eaux froides qui ne se rencontre qu’en Atlantique Nord ou Pacifique Sud. Il ne mord que pour se nourrir de poissons, mais il peut charger s’il se sent menacé.

La pêche au requin-taupe, l'évolution d'une tradition

Peu observé dans son milieu naturel, il est pourtant bien connu des pêcheurs professionnels ou des amateurs de pêche au gros, mais aussi des poissonniers et des consommateurs. Sur les étals, on le trouve sous l’appellation "Veau de mer" ou "Maraîche".

C’est à ce titre que les histoires du requin-taupe et de l’île d’Yeu sont intimement liées. À l’aide de nombreuses images d’archives, Stéphane Granzotto auteur du documentaire "L’énigme du requin-taupe" rappelle combien cette pêche s’était imposée au fil des ans pour prendre le relais de celle du thon, emblématique de l’île.

Alain Voisin, pêcheur depuis la fin des années 80 et fils de pêcheur, se souvient de prises fabuleuses, allant jusqu’à 30 tonnes de poisson ramenées au port après une campagne de 15 jours. Alors que la pêche au thon déclinait dans les années 90, les bateaux islais qui constituaient la flotte thonière la plus importante de France se voyaient un avenir avec le requin-taupe.

Devant la caméra de Stéphane Granzotto, Alain Voisin explique la technique : une ligne dotée de 240 hameçons et leurs appâts, permettant de capturer une trentaine de poissons d’environ 70 kilos.

Tournées à bord, les archives nous révèlent un temps où rien ne venait contrarier l’exploitation d’une apparente abondance. Tirés de l’eau sans ménagement avec des crochets, balancés en cale où ils sont recouverts de glace, les requins-taupes s’entassent par dizaines.

Une espèce sous surveillance

Biologiste, cheffe de mission scientifique de l’association Des Requins et des Hommes, Armelle Jung a embarqué en 2008 pour suivre les campagnes de pêche au départ de Port-Joinville. Elle est alors missionnée par le Comité National des Pêches pour délivrer des préconisations face à la surpêche qui menace la survie de l’espèce, ou en termes plus économiques, le renouvellement du stock.

À bord du bateau d’Alain Voisin, durant des semaines, la scientifique décompte le nombre de captures, prend note des lieux où les requins-taupes sont pêchés, mesure la taille des individus, dénombre mâles et femelles.

Les dangers de la surpêche

Son rapport conclut à la nécessité de bannir les captures de petite taille, mais aussi de taille plus imposante, car il s’agit des femelles en capacité de se reproduire.

Armelle Jung recommande donc une poursuite de la pêche au requin-taupe avec restrictions. Les pouvoirs publics opteront en 2009 pour une interdiction totale, au grand désarroi des pêcheurs de l’île d’Yeu, pour qui la mesure signe l’arrêt de la pêche hauturière et la fin d’une histoire.

Exceptionnelle présence de requins-taupes en Bretagne

Quelques années plus tard, en 2015, Armelle Jung est contactée par un plongeur. Passionné de requins, ayant effectué des plongées dans les mers du monde entier, Didier Brémont vient de faire une rencontre inédite dans les eaux bretonnes : un requin-taupe.

Une première pour celui qui a plongé avec toutes sortes d’espèces de squales, car le requin-taupe si connu des pêcheurs de l’île d’Yeu est très difficile à observer dans son milieu. Son comportement à proximité d’un plongeur n’a même été jamais documenté à l’époque. Et voilà que le discret requin croise son chemin à deux encablures de chez lui !

Armelle Jung accompagnée de deux étudiants biologistes marins vient alors plonger sur zone. Pendant une heure, elle observera 5 femelles de plus de deux mètres aller et venir. Elle qui n’avait vu que des requins-taupes morts au fond d’une cale peut enfin les découvrir, évoluer en liberté.

Dès lors, avec son association Des Requins et des Hommes qui intervient pour la protection des squales, notamment dans les eaux africaines et d’Amérique du Sud, Armelle Jung et ses équipes n’auront de cesse de se concentrer sur ce sanctuaire breton.

Un sanctuaire breton : la réserve naturelle des Sept-Îles

Puisqu’on en sait peu sur l’animal, il faut créer un protocole, que le documentaire détaille par le menu. Stéphane Granzotto a raison de parler d’énigme au sujet du requin-taupe, chaque observation amenant un nouveau lot de questions.

En tête de ces interrogations, la raison de cette concentration à proximité de la réserve naturelle des Sept-Îles. Ce joyau de biodiversité concentre déjà 10 % de la population des oiseaux marins nicheurs en France, et la première colonie de reproduction de phoques gris. Nul doute que la protection maximale dont jouissent les espèces sur et autour de l’archipel fasse de son aire marine un espace accueillant pour le requin-taupe.

D’autant que, comme le rappelle Pascal Provost conservateur de la réserve naturelle des Sept-Îles, 70 % des requins de toutes espèces de la planète ont disparu ces 50 dernières années.

Le mystère des requins-taupes femelles

Les observations des équipes de Des Requins et des Hommes ont rapidement conclu à la présence exclusive de requins-taupes femelles. Viennent-elles donner ici naissance à leurs petits ? L’hypothèse n’est pas encore vérifiée. Plus de 150 individus ont été répertoriés depuis trois ans, et les biologistes mettent déjà en lumière des associations qui perdurent d’année en année, laissant supposer une forme de vie sociale.

Il faudra encore de nombreuses années et des centaines de plongées pour affiner nos connaissances encore fragmentaires du requin-taupe. Sa présence et sa concentration en Bretagne, unique au monde, est une chance inouïe en même temps qu’un risque : celui d’attirer un tourisme irrespectueux, potentielle menace pour cette espèce fragile, encore loin d’avoir dévoilé tous ses secrets.

durée de la vidéo : 00h01mn02s
extrait documentaire "L'énigme du requin-taupe" ©Stéphane Granzotto/Nomade Productions/France Télévisions

"L’énigme du requin taupe", un documentaire de Stéphane Granzotto

Une coproduction Nomade Productions / France Télévisions

Diffusion jeudi 12 septembre à 22 h 50

Rediffusions à 9 h 35 vendredi 13, mardi 17, mercredi 25 septembre et jeudi 10 octobre

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