C'est la 11ᵉ étape de la tournée mondiale et locale, comme l'appelle Yannick Jaulin. Cet artiste atypique est un conteur, comédien et chanteur qui fait vivre sur scène son patois vendéen maternel. Concert, causerie, repas partagé, une soirée ancrée dans le terroir. Il se produisait ce vendredi soir 19 juillet à Vouillé-les-Marais. Rencontre...
"J'ai d'abord commencé en faisant du rock dans les années 80. La musique a toujours accompagné ma démarche de conteur." Yannick Jaulin est un artiste accessible, à la voix souriante et au contact facile.
J'ai toujours considéré que la parole était d'abord musicale, qu'elle était proche de la chanson
Yannick JaulinConteur, chanteur, comédien
Il aime "jardiner la langue."
Il faut donner la possibilité au patois de dire les émotions et non pas se cantonner à un truc d'en dessous la ceinture, un truc du bon vieux temps, de bons sens paysan, de baudinerie quoi !
Yannick JaulinConteur, chanteur, comédien
Pour ce saltimbanque passionné et passionnant, la Vendée, c'est un retour aux sources. "Vouillé-les-Marais, c'est l'endroit où j'ai fait mon premier et mon dernier travail salarié. J'ai été embauché ici comme animateur cantonal, directeur d'un village vacances qui n'existe plus. J'ai été recruté alors que j'étais dans le Connemara. Un CDI, au téléphone, alors que j'étais en Irlande, il ne m'avait jamais vu. Formidable, non ?", s'amuse l'artiste.
"Ça ne peut plus se faire aujourd'hui ça ! ", ajoute-t-il.
Et à l'époque les réunions avec les élus locaux, il les fait en patois. "J'étais encore dans une démarche très militante, parce que je venais vraiment d'un mouvement d'éducation populaire, où cette idée de la langue, c'était le retour à l'émancipation, retrouver une identité profonde", raconte Yannick Jaulin.
Je pense qu'on a été coupé d'une partie de nous-mêmes. Et les gens ici, en abandonnant leur langue, ont abandonné aussi un héritage culturel qui les a fait apparaître aux yeux des autres comme des espèces d'arriérés, culs terreux.
Yannick JaulinConteur, chanteur, comédien
"Se remettre en paix avec son héritage culturel"
"Mais quand on perd la moitié de sa culture, c'est comme quand on demande à un Africain ou un Maghrébin de se couper de sa culture complète pour ne pas apparaître comme un abruti ou un mec qui n'a pas tous les codes. Donc pour moi, c'était extrêmement important de donner aux gens, revenant en plus d'Irlande, où le gaélique avait tellement de mal à se réimplanter. Les gens étaient devenus décolonisés, le gaélique, pour eux, était la langue des perdants. Aujourd'hui, nous aussi, on est pareil".
Reprendre sa langue ancienne, c'est se remettre en paix avec cet héritage, et reprendre conscience de la valeur de cet héritage culturel.
Yannick JaulinConteur, chanteur, comédien
Pour l'artiste, les gens ont pris la sale habitude de dévaloriser leur héritage culturel.
"lls ne regardent plus la beauté, la valeur, par exemple ici, les marais communaux. C'est une expérience extraordinaire, puisque c'étaient des terres communes, où celui qui n'était pas propriétaire pouvait aller mettre ses bêtes avec celles des autres. Et on sait aujourd'hui qu'au niveau vétérinaire, par exemple, le mélange des différents types de bêtes est une espèce de pansement formidable qui préserve des contaminations."
En individualisant les gens, en individualisant les fermes, on les rend dépendantes de tous ceux qui profitent du système agricole pour exploiter
Yannick JaulinConteur, chanteur, comédien
"Une forme de fierté"
Mais chanter et jouer en patois, cela a-t-il encore un impact en 2024 ?
"Ils viennent avec un a priori en disant d'abord, oh, je ne vais pas comprendre. Moi, je leur dis pendant le concert, quand vous allez voir un concert en anglais, personne ne se pose la question de la compréhension, personne. Parce qu'on fait de la représentation de soi, on va voir la langue du dominant", explique le chanteur.
"Quand on vient écouter une langue minorée, on se dit, oh, est-ce qu'on va comprendre d'abord, puis est-ce que ça a une valeur ? Et quand ils voient que c'est une langue d'émotion, que c'est une langue qui transmet, qui se passe dans la vie d'un humain aujourd'hui, tout d'un coup, il y a une forme de fierté."
Le spectacle précédent de yannick Jaulin et sa bande de troubadours, s'appelait "Ma langue maternelle va mourir".
Aujourd'hui, nous sommes à un moment de bascule. Si ceux qui possèdent des éléments de cette langue ne transmettent pas, alors c'est fini !
Yannick JaulinConteur, chanteur, comédien
Ces langues anciennes auraient dû disparaître depuis 1880, avec le début de l'école laïque obligatoire, et d'une école qui était absolument répressive vis-à-vis des langues, avec le dogme d'une langue unique en France. On ne sauvera pas les langues. Mais, si on pouvait sauver un peu de cette singularité qui rend les gens fiers d'eux-mêmes et de là d'où ils viennent. Je trouve que
C'est un acte militant pour moi, c'est vraiment un acte politique de redevenir propriétaire de soi-même
Yannick JaulinConteur, chanteur, comédien
Chaque étape de la tournée champêtre commence par une causerie. Ce vendredi soir, le thème était les marais communaux. Un lien avec le village de l'eau et la problématique des bassines agricoles qui mobilisent des milliers de personnes ce week-end ?
"Je ne sais pas s'il y a un lien, en tout cas moi mardi, j'y étais au village de l'eau", s'enthousiasme l'artiste.
Oui, pour moi, c'est un acte très militant, très politique de venir en milieu rural
Yannick JaulinConteur, chanteur, comédien
"L'abandon de ces territoires, ce regard méprisant, cette campagne qui se rabousine, qui se ferme sur l'œil, qui vote aux extrêmes. Arrêtons de dire, nous, on va aller les voir, nous, on le fait. Et on vient en étant à la hauteur. Avec une grande scène, avec un gros tracteur, avec un spectacle de qualité parce qu'on veut que les gens soient fiers de leur pays. Venir chez eux c'est aussi une façon de dire, on reprend notre destin. Pour les bassines, c'est pareil, ce sont aussi des gens qui disent ; on a envie d'être maître de notre destin et de ne pas rester passif devant l'agro-industrie et devant des intérêts qui dépassent les liens du territoire."
"Ici, on vote à 59 % RN. Et je comprends ce vote, le sentiment d'abandon, le sentiment de délaissement du milieu rural, la disparition des services publics, la fin de l'économie rurale, liée à l'agriculture, a fait que ces villages sont remplis de gens totalement isolés, de plus en plus isolés, on n'y fait plus communauté", poursuit Yannick Jaulin.
"Donc, faire des événements comme ça, regardez cette table de banquet, je ne sais pas si elle sera remplie, mais rien que de l'avoir préparée, c'est magnifique. Rien que d'avoir eu cette ambition de rassembler des gens pour un soir, dans ce lieu, pour faire ensemble..."
"Le spectacle est un prétexte, je m'en fous finalement. C'est pour faire quelque chose de commun. Le grand enjeu des générations qui vont vivre aujourd'hui, ça va être ces communautés à rebâtir, à reconstruire, pour qu'on ne disparaisse pas dans une haine individuelle", conclut l'artiste aux mots justes.
Le reportage d'Éléonore Duplay, Damien Raveleau et Carole Mijeon
Prochaines et dernières dates de la tournée mondiale et locale
Le 21 juillet à 18 h 30
Association Conches et Rigoles, place de la mairie, Saint-Hilaire-la-Palud (79 |
Le 22 juillet à 18 h 30
Association A la Motte, La Motte Aubert, Saint-Saturnin-du-Bois (17)
Le 24 juillet à 18 h 30
Sur le port, Mornac-sur-Seudre (17)
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