Le rapport de la Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Église a évalué à 330 000 le nombre d’enfants abusés ou violés par des prêtres et des religieux depuis l’après-guerre. Derrière ce chiffre sidérant, des vies brisées, des personnes qui aujourd’hui réclament des comptes.
Marie-Pierre et Raymonde contemplent les ruines de l’école religieuse qu’elles ont fréquentée à Loctudy, Jean-Pierre et Gérard perdent leurs regards dans la photo en noir et blanc d’une vingtaine de prêtres en soutane qui posent devant leur école de Chavagnes-en-Paillers.
Un autre Jean-Pierre regarde la photo du garçon de 10 ans qu’il était et qu’il trouve triste. Pour elles, pour eux, le passé est omniprésent, mais il ne passe pas. Le temps les a figés dans l’enfance, laissant leurs vies brisées à jamais par les abus sexuels et les viols commis par des prêtres pédophiles, salies par le silence de l’Église qui savait.
Comment réparer ? Peut-on réparer ?
Ces questions sont au cœur du documentaire de Bernadette Sauvaget et Olivier Lamour, justement intitulé "Le Prix d’une Vie".
Oui, comment évaluer le préjudice des actes pédocriminels dont ils ont été victimes et pour les séquelles qu’ils ont occasionnées dans leurs vies d’adultes ?
À chaque témoignage et en dépit de leurs silhouettes de septuagénaires aux cheveux blanchis, ce sont bien des enfants que l’on entend, et dont la voix se brise. Sans exception, le traumatisme a été dévastateur.
Car ce qu’ils racontent devant la caméra est d’une violence, d’une perversité, d’une cruauté inimaginables. Tout comme l’attitude des institutions religieuses, diocèse, évêques, église de France dont l’inaction complice durant des années a concouru à produire 330 000 victimes, selon le rapport de la Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Église (CIASE) présidée par Jean-Marc Sauvé et rendu public le 5 octobre 2021.
Pour nous faire mesurer ce "prix d’une vie", Bernadette Sauvaget et Olivier Lamour ont accompagné durant plusieurs mois en Vendée, en Loire-Atlantique et dans le Finistère les investigations de la Commission Reconnaissance et Réparation (CRR) menées par le juriste Antoine Garapon. La Commission qui peut être saisie par toute personne victime s’est donné pour mission de "reconnaître la blessure, réparer la personne". Et au bout du compte, évaluer l’indemnisation que pourra recevoir chacune et chacun. Pour l’Église, cela se chiffrera en dizaines de millions d’euros.
La libération par la parole
Ancien élève du Petit Séminaire de Chavagnes-en-Paillers, Jean-Pierre Sautreau est une personnalité centrale dans ce processus que raconte le documentaire. En juin 2019, il a fondé le Collectif 85 qui regroupe les victimes d’abus sexuels dans l’Église de Vendée.
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Jean-Pierre SautreauFondateur du "Collectif 85"
L’année précédente, il avait publié son témoignage d’enfant abusé par son confesseur dans un récit intitulé "Une croix sur l’enfance" (Geste Éditions). C’est une déflagration. À chaque réunion où il vient parler de son livre, des inconnus, septuagénaires comme lui, se lèvent, prennent la parole, sanglotent, racontent pour la première fois ce qui leur est arrivé.
"Le livre s’est avéré être une porte d’entrée à la parole. Une victime a le sentiment qu’elle ne sera comprise que par une autre victime", résume Jean-Pierre Sautreau.
Influente auprès des familles de la Vendée rurale, l’Église n’a aucune peine dans l’après-guerre à "recruter" de jeunes garçons, au prétexte de percevoir en eux une vocation sacerdotale. "On a dit aux familles vendéennes qu’il fallait développer l’Église catholique, qu’il fallait des bras pour former des enseignants, faire des missions en Afrique, ordonner des prêtres" explique Jean-Pierre. Mais dans les faits, comme le confie Gérard Billaud la voix étranglée, "l’enfer a commencé".
Pas question ici de transcrire par écrit les témoignages qui se complètent tout au long du documentaire : ils doivent être entendus, par respect pour le courage de celles et ceux qui ont accepté devant la caméra de mettre en mots l’horreur vécue, jusque dans la salle de classe.
Le prix du silence ?
Quand le film aborde la question de la réparation financière, le doute nous saisit en même temps que les victimes : quel que soit le chiffrage, 60 000 euros pour les cas les plus graves, l’argent peut-il effectivement réparer ces blessures-là ? Ne faut-il pas y voir comme Gérard le prix d’achat du silence pour solde de tout compte ?
Pour fixer l’indemnité, les victimes sont invitées à s’auto-évaluer dans une gradation de 1 à 7. Sur les faits d’abord : gravité, durée, fréquence, puis sur le préjudice subi dans leur vie familiale, affective, sexuelle, professionnelle.
Dans cet exercice délicat, il faut toute la diplomatie et le sens du dialogue d’Antoine Garapon pour calmer la colère que ressent Jean-Pierre Fourny : comment ne pas cocher la note la plus haute, sauf à minimiser lui-même le mal qu’on lui a fait ? Ancien élève chez les frères de Saint-Gabriel à Issé (Loire-Atlantique) il a été abusé par un véritable prédateur, Gabriel Girard. Ce dernier a ensuite été déplacé à Loctudy où ont croisé sa route pour leur malheur Marie-Pierre, Raymonde et de nombreuses autres fillettes.
"On m’a attribué le maximum, mais c’est le minimum pour ce qu’on a subi" juge sobrement l’une d’entre elles, Ghislaine, enfant-martyr de Loctudy qui a fait une tentative de suicide à 10 ans et dit "être morte ce jour-là ".
La voie est étroite pour permettre la reconnaissance et la réparation des victimes de la pédocriminalité dans l’Église, elle ne laisse visiblement pas de place au pardon.
"Le Prix d'une Vie", un documentaire de Bernadette Sauvaget et Olivier Lamour.
Une production La Compagnie des Phares et Balises, avec la participation de France 3 Pays de la Loire et France Télévisions.
Diffusion sur France 3 Pays de la Loire jeudi 30 novembre à 22 h 50.
Diffusion dans Infrarouge sur France 2 le mardi 5 décembre en 2ᵉ partie de soirée.
Rediffusions à 9 h 10 sur France 3 Pays de la Loire les 6 et 18 décembre.
► À voir en replay sur france.tv dans notre collection La France en Vrai à partir du 6 décembre.
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