Fin de la pêche dans le golfe de Gascogne, la décision émane du conseil d'État à la demande de plusieurs ONG pour éviter la capture accidentelle des dauphins. Le 22 janvier prochain, certains navires, comme les fileyeurs, devront rester à quai. Des conséquences économiques pour toute la filière.
Aux Sables d'Olonne, dans la nuit noire, seules les lumières blafardes de l'avant-dernière criée éclairent le port. La date fatidique approche et les visages fatigués par le froid et un contexte économique en berne en disent long sur la crise sans fin que traverse la profession.
Une filière pêche qui sombre inexorablement. Dans quelques jours, plus de caisses débarquées dans la nuit, remplies de bars, de soles. Les navires qui utilisent des filets en surface, devront rester à quai. Un arrêt brutal de quatre semaines. Il va falloir tenir bon, encaisser le coup pendant quatre longues semaines.
Lundi 22 janvier, il n'y aura que des petits ligneurs et quelques chalutiers qui viendront décharger. Il y aura peu de monde. "60 % de bateaux en moins" confirme Benjamin Hennequin, président de l'Union des mareyeurs vendéens.
"Ça implique beaucoup moins de volume sous criée", explique-t-il.
On court à la catastrophe. Ça va être des marchés perdus très rapidement, au niveau international, la France va dégringoler
Benjamin HennequinPrésident de l'Union des Mareyeurs de Vendée
"Nous n'aurons plus de matière première pour travailler"
"En termes d’image pour le mareyage, c'est vraiment très mauvais. Bon nombre d'entreprises sont aujourd'hui en très grande difficulté", se désole le président de l'union des mareyeurs.
C'est rajouter de la misère à la misère
Benjamin HennequinPrésident de l'Union des Mareyeurs de Vendée
"C'est un peu comme si demain, on interdisait aux boulangers d'utiliser la farine pour faire le pain. Nous n'aurons plus de matière première pour travailler".
Son entreprise compte 23 salariés. "Aujourd'hui, on ne sait pas vers quoi on va. Nous n'avons aucun interlocuteur. On nous parle d'un ministre peut être dans dix prochains jours, mais on n'en sait rien. Nous sommes complétement laissés pour compte".
"Ici, lundi prochain, il n'y aura presque plus de poisson. Que va-t-on faire de nos salariés ?
Benjamin HennequinPrésident de l'Union des Mareyeurs de Vendée
20 à 30 % des entreprises étaient en déficit en 2022.
"Il va falloir s'attendre à des fermetures, c'est certain. On va perdre tout un savoir-faire. C'est aussi donner à des entreprises étrangères toute la place. On va encore perdre nos métiers, notre valeur ajoutée et ce qu'on sait faire depuis 50 ans, 60 ans", constate Benjamin Hennequin.
On laisse la pêche française complétement sombrer
Benjamin HennequinPrésident de l'Union des Mareyeurs de Vendée
"Sans poisson, pas de vente, pas de marché, pas de chiffre d'affaires"
La sole à elle seule représente 50 à 60 % des ventes en cette période. 4 semaines d'interdiction, ce sont 3 millions d'euros de chiffre d'affaires perdu. Diane Sabourault est à la tête d'une toute petite entreprise aux Sables d'Olonne. Elle n'emploie qu'un seul employé,
"Le chômage partiel, si on y a droit, je ne pourrai pas en profiter. Oui, c'est compliqué, sans poisson, pas de vente, pas de marché, pas de chiffre d'affaires, même si on n'a qu'un seul employé à payer ! "
"Nous n'avons pas trop de données sur les bateaux qui vont pouvoir continuer à sortir. On espère qu'ils ramèneront suffisamment de poissons".
Forcément les prix vont être plus chers. Nos clients vont aller acheter ailleurs. Est-ce qu'on retrouvera nos marchés dans un mois ?
Diane sabouraultMareyeuse aux Sables d'Olonne
"Nous n'avons aucun retour politique. Les marins eux ont une information sur les compensations qu'ils vont toucher, nous rien ! C'est au final très inquiétant. Ne pas savoir, c'est pire que tout. "
Oui je suis en colère. Ce ne sont pas les marins qui sont à l'origine des échouages de dauphins.
Diane sabouraultMareyeuse aux Sables d'Olonne
Elle a pris la plume pour écrire à l'ONG Sea Sheperd. "Je leur ai demandé pourquoi il y avait tant de cétacés aussi près de nos côtes depuis quelques années. Je leur ai dit qu'il fallait s'intéresser à cette question-là. Les pêcheurs n'aiment pas capturer un dauphin mort dans leurs filets ".
"Ce n'est pas en mettant les bateaux à l'arrêt pendant un mois que l'on va résoudre le problème. D'après les scientifiques, le nombre d'individus en mer n'a pas baissé depuis 10 ans", ajoute-t-elle.
"Les Espagnols, les Anglais, les Danois vont venir poser leurs filets chez nous et nous, on va les regarder. Nos clients vont acheter à l'étranger."
On nous parle souveraineté alimentaire, on nous a demandé de travailler pendant le Covid pour nourrir la population. Elle est où aujourd'hui la souveraineté ?
Diane SabouraultMareyeuse aux Sables d'Olonne
"Les gens veulent bosser"
Qui dit manque d'approvisionnement de certaines espèces dit hausse des prix, mais aussi mesures de chômage partiel. La Criée des Sables d'Olonne emploie 45 personnes chargées notamment de trier la marchandise.
On est une profession passion. Les gens n'ont pas envie d'être payés à rester chez eux. Ils ont envie de bosser
Sylvain RavonResponsable de la Criée des Sables d'Olonne
La période de fermeture annoncée tombe mal, c'est le moment du passage des soles. "Environ 25 % du tonnage annuel. Sur les Sables d'Olonne, c'est la première espèce en valeur. Elle représente 9 millions d'euros sur une année", précise Sylvain Ravon.
"C'est un petit poisson qui demande énorme de personnel, surtout pour le tri, la mise en ligne et la vente. Est-ce que la main d'œuvre reprendra quand l'activité reprendra ? Je n'en sais rien", avoue-t-il.
Le danger, c'est que lorsque les bateaux reprendront la mer, à terre, il n'y aura plus personne pour s'occuper des poissons
Sylvain RavonResponsable de la criée des Sables d'Olonne
José Jouneau a la mine des mauvais jours. Pour lui l'avenir est bien sombre, l'horizon maussade.
On a perdu le textile, on a perdu le charbonnage, on a perdu notre industrie lourde, on est en train de perdre l'agriculture et là, on va perdre la pêche
José JouneauPrésident du comité régional des pêches des Pays de la Loire
"Cette mesure inadmissible arrive dans un moment où on a eu des taxes et des quotas totalement catastrophiques. Nous avons eu, nous aussi, trois années extrêmement difficiles avec l'augmentation du coût de l'énergie, le prix du gasoil et la covid". L'accumulation a le gout de l'arête qui coince au fond du gosier.
Selon le président du comité régional des pêches, les déficits sont lourds ; de 50 à 70 000 euros de perte par navire. D'après ses estimations, entre 40 à 50 % de la filière ne s'en remettra pas.
Les navires étrangers finalement contraints
"Alors que la décision du Conseil d’État prévoyait que ces mesures ne s’appliquent qu’aux navires de pêche battant pavillon français, le gouvernement a notifié à la Commission européenne, ainsi qu’aux États membres concernés, sa décision d’activer une mesure d’urgence prévue au règlement européen relatif à la politique commune de la pêche, afin d’étendre cette interdiction à l’ensemble des navires pratiquant les activités concernées par les fermetures spatio-temporelles", indique ce jeudi 18 janvier un communiqué du ministère de la Transition écologique.
"À partir du 22 janvier, ce sont donc l’ensemble des navires, français et battant pavillon étranger, qui seront concernés par l’interdiction de pratiquer certaines pêches considérées comme à risque pour les cétacés pour une durée d’un mois", ajoute le ministère.
L’élargissement à l’ensemble des flottes européennes est une mesure d’équité pour nos pêcheurs et de protection de la biodiversité et de l’environnement, prise dans le cadre du droit de l’Union européenne.
Communiqué du ministère de la Transition écologique
Christophe Béchu s’entretiendra dans le courant de la journée avec Olivier Le Nézet, président du Comité national des pêches maritimes.
Le Gouvernement affirme "tout mettre en œuvre pour que les dossiers d’aide complets soient payés le plus rapidement possible. Dans l’attente des versements, il invite "les banques à jouer pleinement et activement leur rôle dans le soutien des trésoreries des entreprises concernées. "
Dans le golfe de Gascogne, près de 600 bateaux seraient impactés par ces mesures censées protéger les dauphins.
Et le monde de la pêche craint pire encore : que les ONG qui réclamaient quatre mois d'interdiction obtiennent gain de cause.
Avec Vincent Raynal et Frédéric Grunchec
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