Vendée Globe : combien de temps les skippers mettent ils à récupérer de leur tour du monde à la voile ?

"On ne revient pas indemne d'un voyage de trois mois en solitaire autour du monde" c'est le Dr Chauve qui le dit. Le médecin du Vendée Globe qui suit les skippers depuis la création de la course mythique nous a expliqué ce à quoi ils doivent s'attendre.

"Proportionnellement au nombre de skippers, il y a eu moins de blessés que d’habitude. Je n’ai pas eu beaucoup de cas à traiter. Je crois que les skippers sont des gens qui se préparent beaucoup plus qu’avant." Un premier bilan que le Dr Chauve, médecin du Vendée Globe faisait il y a quelques jours concernant l'édition 2020-2021.

Mais, même si le retour se fait sans trop de bobos, il faudra tout de même prendre le temps de remettre les choses à l'endroit dans un corps qui a vécu une telle épreuve. Cela peut prendre jusqu'à 6 mois selon le médecin.

"Effectivement, on ne revient pas d’un voyage de trois mois en solitaire autour du monde sans conséquences" constate Jean-Yves Chauve. On pourrait croire qu'une telle épreuve muscle le corps. Pas forcément. Et notamment pour les membres inférieurs. 

 

"les concurrents ont perdu du muscle"

"Dans un bateau, finalement, on marche très peu, explique le Dr Chauve. Un aller-retour sur le bateau ça fait 30 mètres à peu près, ça ne fait pas grand-chose. On est peu debout aussi, parce que quand on est debout on est déséquilibré par le bateau donc on est beaucoup assis, parfois même à genou pour faire des manœuvres quand les conditions sont très mauvaises. Donc, ça veut dire qu’on a une fonte musculaire au niveau des jambes. On constate souvent à l’arrivée que les concurrents ont perdu du muscle. Parfois ils ont du mal à remarcher, ils vont vite se fatiguer. Ça revient au bout de quelques jours mais on a quand même une amyotrophie, une perte musculaire au niveau des jambes."

Ce que confirme Arnaud Boissières que nous avons pu joindre. Le skipper de "La Mie Câline Artisans Artipôle" qui en est à son quatrième Vendée Globe se souvient de quelques faiblesses dans les membres inférieurs. "On a les jambes un peu molles" dit-il.

Certains font du renforcement musculaire avant le départ pour compenser cette fonte. Des skippers ont prévu de faire de la gymnastique tous les jours pendant la course, comme les astronautes dans l’ISS.

"Isabelle Joschke (MACSF) avait installé dans son cockpit un pédalier de vélo, nous dit Jean-Yves Chauve. Elle pédalait les winchs (équipements pour hisser et border les voiles) avec les jambes. Ça tonifie les membres inférieurs et elle remplace la force des biceps avec les cuisses qui valent bien les biceps d’un homme."

 

Charlie Dalin qui a passé le premier la ligne d'arrivée le 28 janvier, dit se sentir encore très fatigué. "J'ai marché 300 mètres après l'arrivée, raconte-t-il en riant, je me suis rendu compte que pendant près de trois mois je n'avais jamais marché plus de 18 mètres. Pour mes premières sorties à vélo, mes performances habituelles ne seront surement pas au rendez-vous" 

Le skipper d'Apivia dit avoir pris trois kilos. "Je suis un cas plutôt rare" s'amuse-t-il. Il pense que la perte musculaire dans les membres inférieurs a été compensée par un gain sur les muscles du haut du corps. Et puis le régime alimentaire aussi. "On a besoin de calories dans le sud pour se protéger du froid."

Dans ce tour du monde, le corps est soumis à rude épreuve du fait des changement brusques de météo.  "On vit des changements climatiques énormes, souligne Arnaud Boissières, on part, il fait froid, on retrouve la chaleur à l'équateur puis le grand froid dans le sud, on retrouve le chaud au Brésil et là, vers les Açores, c'est plus frais." Mais il dit ne pas en souffrir, alors qu'il s'attend à son retour à attraper un  rhume, comme à chaque fois.

"C’est la problématique des défenses immunitaires, explique Jean-Yves Chauve. Quand on est trois mois isolé dans un endroit où il n’y a pas de virus, ils n’ont pas de raison de s’y développer, notre système de défense se met un peu en vacances. On constate souvent à l’arrivée  des problèmes de rhinopharyngites, de rhumes."

 

Un ou deux mois pour retrouver un sommeil normal

Les skippers devront aussi retrouver un sommeil normal. Une vraie nuit de repos et pas des cycles d'une heure et demi entrecoupés de vérifications diverses sur le bateau pour voir si tout va bien. Lorsque l'état de la mer ou du voilier génère un gros stress, certains ne dorment que par cycles de 20 à 25 minutes. "Dans ces conditions, on ne tient que trois ou quatre jours, explique Jean-Yves Chauve parce qu'on élimine la phase de rêve qui est importante car elle permet d’éliminer le stress. Une fois à terre, les skippers vont rester dans le schéma du cycle d’1h30 à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Pour retrouver un sommeil normal, ça demande parfois un ou deux mois."

Ce que confirme Charlie Dalin qui constate un dérèglement. "Je me réveille la nuit, dit-il. Je suis fatigué toute la journée. Il avait connu ces sensations aussi après une solitaire du Figaro. "Mais dans le Vendée Globe, on navigue dans des zones compliquées, c'est un effort constant pendant 80 jours."

Le skipper estime qu'il lui faudra 6 à 8 mois pour se remettre de l'épreuve. Même si son ostéopathe ne pensait pas le retrouver en si bon état.

 

Et puis, au delà des séquelles physiques, les skippers devront aussi gérer l'atterrissage. C'est la fin d'une aventure qui aura nécessité plusieurs années de préparation. Il n'y a pas que la course elle-même, même si ces mois passés en solitaire ont forcément laissé des traces.

"Ça peut être compliqué parce qu’on a vécu des choses qui sont exceptionnelles, reconnaît le Dr Chauve en parlant de ces aventuriers de l'extrême, et retrouver le quotidien, les contraintes du quotidien, la fadeur des habitudes, c’est quelque chose qu’il faut assumer. Finalement le Vendée Globe, c’est une retraite active où on a le temps de faire un bilan sur sa vie, peut-être de se projeter sur une autre vie et ça peut donner envie d’y revenir (de repartir en course) parce qu’il n’y a peut-être que là-bas, dans le grand sud, qu'on peut retrouver un dialogue avec soi-même. On n’a pas le temps ni la possibilité de le vivre à terre."

Arnaud Boissières dit avoir évité ces moments de déprime qui touchent souvent les vendéeglobeurs en se jetant rapidement dans un nouveau projet qu'il a imaginé avant même son départ. 

Charlie Dalin a entendu parler de ce "Vendée Blues". "J'ai la chance qu'avec Apivia (son sponsor) , mon projet continue. J'ai un contrat de deux ans." Il va donc préparer la prochaine Jacques Vabre puis la Route du Rhum pour laquelle ce sera sa première participation. "Je peux me concentrer la-dessus, dit-il, après avoir mangé et dormi Vendée Globe pendant des années."

 

"Des ruptures peuvent arriver"

Il peut y avoir aussi des séquelles sur le plan familial. Car la compagne ou le compagnon s'est également investi à fond dans la course. Va-t-elle (il) continuer à avoir sa place après ?

"On oublie de parler des compagnes, fait remarquer Jean-Yves Chauve. Elles sont importantes dans la préparation, le soutien, sans avoir la gloire. Il y aura des remises en question. Il faut qu’elle soit très amoureuse pour se consacrer à la passion de l’autre. Des ruptures peuvent arriver."

Pour le médecin, les femmes skippers du Vendée Globe ne vivraient pas ce retour et la suite de la même manière. "Il y a moins de projets de carrière chez les femmes, dit-il. Elles ont moins de choses à prouver aux autres. Les mecs ont un ego plus développé. Pour les femmes, c’est une aventure personnelle. C’est plus le côté humain que le côté performance. Beaucoup de concurrentes sont parties ensuite dans des projets écologiques, liés au milieu dans lequel elles ont vécu pendant trois mois." Et de citer les cas de Catherine Chabot qui est depuis 2002, engagée dans la préservation de la mer et du littoral. Ellen Mac Arthur via sa fondation œuvre pour l'économie circulaire ou encore Isabelle Autissier qui s'est engagée avec le WWF France... 

 

"se laisser balloter à droite à gauche"

"Dans l'instant présent, nous a confié Boissières qui est en plein milieu de l'Atlantique entre le sud du Portugal et la Floride, j'ai envie de rentrer à la maison, me mettre sur le canapé, récupérer mes deux enfants. Mais ce n'est pas ce qui va se passer." Arnaud sait qu'à son arrivée, il va être accaparé par les médias, les partenaires, les amis. Et ce n'est pas vraiment un problème. "Faut accepter de partager avec ceux qui ont préparé avec toi, dit-il, avec le public qui t'a soutenu." Le skipper aux quatre Vendée Globe conseille à ses amis concurrents de se laisser balloter à droite à gauche à l'arrivée. 

"On a des moyens de communication modernes sur le bateau, fait remarquer Charlie Dalin, On n'est pas totalement coupé du monde." Ce qui atténue sans doute le choc du retour parmi les hommes. La surprise, ça a été plutôt de voir combien Oscar, son fils de deux ans et demi, avait changé en trois mois.

"Quand t'as la chance de finir, dit Arnaud Boissières, un sourire dans la voix, c'est plutôt agréable et c'est un soulagement pour la famille. Mon père ne vit pas pendant ces trois mois et ma mère vit un calvaire !" 

Arnaud Boissières estime qu'il lui faudra trois semaines pour se remettre physiquement de l'épreuve. Au fait, il espère arriver le 10 février, à la Saint-Arnaud.

 

 

 

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