Alors que les députés ont voté la PMA pour toutes, un collectif d'anti-PMA annonce une mobilisation pour le week-end du 1er décembre. Pour donner corps à ce que vivent les familles, nous avons rencontré Stéphanie, maman d’une petite fille, qui s'est battue pour faire reconnaître ses droits.
En arrivant chez Stéphanie, dans cette petite rue à sens unique, perdue entre deux artères de la ville, on sent immédiatement que l’on va pénétrer un appartement typiquement bruxellois. Salon devant, jardin derrière, et au milieu les pièces en enfilade et l’ambiance chaleureuse. Il faut enlever ses chaussures "si ça ne vous dérange pas, ma fille joue sur le parquet", annonce d'emblée la jeune femme. Sa fille, qu’elle vient de déposer à la crèche après un passage chez le médecin, c’est Juliette, deux ans tout rond.
En s’asseyant sur le canapé, on aperçoit les jouets de la petite, son chariot de marche, et aussi les jeux d’activité et de motricité. Sa maman, après avoir déposé un café sur la table basse, y ajoute près d’elle un paquet de mouchoirs, comme pour annoncer ce qu’elle va nous raconter. Stéphanie est une maman sociale, qui s'est battue depuis la séparation avec sa compagne, pour être reconnue comme mère adoptive de Juliette.
L’histoire de Stéphanie et de son ex-compagne est tristement commune : deux personnes qui s’aiment et décident d’avoir un enfant ensemble, puis se quittent. Mais comme tous les couples de femmes qui ont un enfant par procréation médicalement assistée, il n’existe pas de statut juridique pour celle qui n’a pas porté l’enfant.
Un projet à deux
Quand elles décident d’élever un enfant, Stéphanie et son ex-compagne travaillent et habitent à Bruxelles. Le choix de leur lieu de vie n’a aucun lien avec les mamans des bébés Thalys : “La Belgique était un endroit où on pouvait s’installer, avec une expérience d’expat’ mais pas trop loin de nos familles respectives”. C’est un heureux hasard donc, car la Belgique est un des 10 pays européens qui autorise la PMA aux couples de femmes.Le projet mûrit, elles passent par des recherches sur Internet ou des associations actives à Bruxelles. Mais certains protocoles les freinent.
“On avait entendu parler d’entretiens avec des psychologues, c’était vraiment une étape par laquelle on ne voulait pas passer.”
Stéphanie martèle : “Ça nous paraissait aberrant de devoir se justifier auprès d’un spécialiste de notre désir d’enfant.”
Alors quand sa gynécologue, au détour d’une conversation, lui explique qu’elle accompagne des PMA, les deux jeunes femmes se lancent. Reste à choisir qui, de l’une ou de l’autre, portera leur enfant. “Ça s’est décidé très facilement”, sourit la jeune femme en saisissant son café : “Mon ex-compagne est plus âgée que moi, et notre projet était simple : qu’elle porte le premier enfant et que je porte le deuxième. Je me suis toujours imaginée porter un enfant, je ne fais pas partie de ces femmes pour qui c’est inconcevable, mais qui veulent quand même un enfant.”
Mais un choix lourd de conséquences
Comme des milliers de femmes, Stéphanie est la mère sociale, celle que rien ne prépare “psychologiquement, et encore moins juridiquement à ne pas porter cet enfant” tout en l’attendant quand même :
“Au travail pour moi, c’était assez compliqué de dire que j’attendais un enfant, ou que ma fille arrivait dans deux semaines. J’ai dû parcourir un certain cheminement psychologique, et on a fait des séances d’haptonomie. J’ai pu communiquer avec ma fille in utero, c’était vraiment magique.”
L’haptonomie, pratique qui permet de communiquer avec le bébé, met en jeu celui qui ne le porte pas : par des gestes et des mots, par le toucher, les professionnels offrent au parent l’occasion de prendre une autre place. “Ça m’a beaucoup conforté dans l’importance que je pouvais prendre dans ce triangle”, se souvient Stéphanie qui a aussi géré ce qu’elle appelle “l’aspect pratique”. Tout ce qui incombe habituellement au père, aller choisir les meubles pour la chambre de leur fille, gérer les contingences matérielles ou encore “aller aux quatre coins de la ville récupérer des trucs de seconde main”, a été l’apanage de la jeune femme :
“j’ai le rôle du second parent, comme l’aurait un père classique. Au début d’ailleurs je me comparais à un père. Mais comment se placer là-dedans ?”
“J’aimerais qu’on reconnaisse ma place”
Difficile sans existence légale de creuser son trou, trouver sa place. Et pourtant, si la sensation est tenace, la jeune femme sait à quel point elle a pu être soutenue et comprise ici, en Belgique. Dans les faits, Stéphanie a conscience d’avoir été au plus près de la grossesse de son ex-compagne, d’avoir assisté à la césarienne, donc à la naissance de sa fille. “Au moment où mon ex était recousue [de sa césarienne, NDLR], dans les cinq premières minutes, ma fille était contre moi”, raconte la jeune maman :
“Il n’y a pas eu de différence entre ma compagne et moi. J’ai quitté la chambre de l’hôpital à 22 heures, comme un papa l’aurait fait en chambre double.”
En étant celle qui ne porte pas l’enfant, la mère dite sociale n’accède pas aux formalités administratives après la naissance. Pour Stéphanie, pas de déclaration possible au consulat pour ce bébé français né à l’étranger. Même chose pour la commune bruxelloise de naissance, passage obligatoire pour les bébés nés sur le territoire belge et de parents étrangers. “Je n’ai rien pu faire”, se désole-t-elle. “Tout ce qui a trait à la filiation dépend du pays d’origine, donc je n’ai pas pu aller la reconnaître. En Belgique, j’aurais été reconnue comme sa mère dès la naissance, j’aurais eu un statut officiel. C’est mon ex-compagne qui a fait toutes les démarches, moi je pouvais juste garder notre fille pendant ce temps-là.”
Dehors, le ciel s’est assombri et la pluie frappe les grandes fenêtres du salon, la voix de Stéphanie tremble à l’évocation d’un droit dont elle aurait pu bénéficier dans le pays dans lequel elle vit. En Belgique, elle aurait eu une place dès la naissance de Juliette. Elle précise :
“Nous avions aussi deux livrets de famille. Un livret pour notre couple avec mon ex-compagne, et un deuxième livret pour ma fille et son autre maman. Comme nous nous sommes mariées après la naissance de Juliette, je n’existe pas sur leur livret.”
Soumise à la bonne volonté de la mère biologique
Un an après la naissance, le couple se délite, et tout se gâte pour Stéphanie. L’équilibre précaire de la mère sociale vacille : “J’ai toujours eu l’impression d’être en suspens. Quand je vais dans ma famille, je prends le Thalys pour retourner en France. Pour pouvoir voyager avec ma fille, j’ai besoin que mon ex-compagne me signe une autorisation de sortie du territoire. Et au cas où, je prends les deux livrets de famille et la photocopie de la carte d’identité de mon ex. En cas de contrôle d’identité, on pourrait se dire “qui est ce bébé ?” et je n’ai aucun lien officiel avec elle.”
Une mère sociale n'existe, en tant que parent, que si la mère biologique lui laisse cette place :
“On est dans une situation extrêmement précaire où on est soumis la bonne volonté de la mère biologique. Inutile de dire que, dès qu’il y a dégradation de la relation, on est en danger. On n’a aucun droit et rien nous protège. En Belgique, si on avait été belges, j’aurais été la maman de Juliette dès son premier jour de vie.”
La seule façon pour Stéphanie de devenir le parent de Juliette, c’est de l’adopter, légalement. Mais les deux femmes découvrent que leur fille est porteuse d’une cécité et d’une maladie génétique rare. “Pour moi, les démarches sont devenues secondaires à ce moment-là”, raconte-t-elle.
Une double déchirure
Alors qu’elles vivent difficilement l’annonce du handicap, les deux femmes commencent à ne plus s’entendre et la séparation est inéluctable. Au début, son ex-compagne joue le jeu de la garde alternée, officieuse puisque, légalement, Stéphanie n’existe pas pour Juliette. Rapidement, la situation se dégrade.
“Pendant quelques mois, je voyais ma fille deux fois par semaine, sans l’avoir la nuit. Je l’avais en sortant de la crèche de 16 heures à 18 heures."
Stéphanie est donc victime d’une double séparation, d’une double déchirure.
Dans son salon, tout autour de nous, des jouets sur les étagères, et un espace dans lequel, c’est certain, vit un enfant. “Je suis entourée de tout l’environnement de Juliette, tu imagines ça sans enfant, le berceau vide ?”. La voix de Stéphanie se casse : “Ce qui m’est arrivé, c’est ce qui pouvait m’arriver de pire. Et de devoir se justifier aussi... J’étais là à sa naissance, c’est moi qui ait dessiné son faire-part, je me suis occupée d’elle, j’ai pris une année sabbatique quand on a appris qu’elle était aveugle et qu’elle avait une maladie extrêmement rare.”
Une adoption remise en cause
Pour pouvoir être juridiquement reconnue comme mère adoptive de Juliette, Stéphanie reprend courageusement les démarches. Mais la procédure est longue. Elle ne peut déposer son dossier complet sur le bureau de son avocat qu’à la fin de l’année 2018.
Mais finalement, quelques mois plus tard, son ex-compagne s’oppose à ce qu’elle adopte leur fille. “Tout ça nous a menées à une audience devant des juges et un procureur de la République pour faire reconnaître la place que j’avais dans sa vie. Le but de l’audience est de déterminer ce qui est dans l’intérêt de l’enfant. Y compris que je l’adopte ou non.
Le plus dur psychologiquement aura été de devoir entendre par la partie adverse qu’il n’était pas dans l’intérêt de Juliette que je l’adopte.”
Dehors la pluie redouble
La décision de justice, Stéphanie l’attendait avec impatience : c’est cette décision qui la nomme mère adoptive, qui permet à sa fille de porter son nom de famille en plus que celui de son ex-compagne. “J'ai un papier qui prouve qu’elle est ma fille et je peux prétendre à une garde alternée”, précise Stéphanie. Elle a refusé le divorce avec son ex-compagne avant d’avancer sur le chemin de l’adoption et d’avoir, enfin, ce lien filial officiel. “Si on divorce maintenant, on est un couple sans enfant qui divorce. Si on divorce une fois que la procédure a été validée, on a un enfant, même s’il apparaît sur le papier comme par magie.”
Si aujourd’hui sa fille dort de nouveau chez elle quand elle en a la garde (officieuse), et qu’elle peut la voir plusieurs jours d’affilée, la blessure mettra encore quelques temps à cicatriser. Elle sourit : “Mon ex m’autorise à partir avec elle chez mes grands-parents, en France à la Toussaint. Je revis et je sens que tout est plus apaisé : je ne suis pas là à dire “il faut absolument qu’on en profite, il faut que tout se passe bien, je n’ai pas besoin de regarder ma montre pour ne pas être en retard. C’est un bonheur total.”
La pluie a cessé, la lumière revient dans le salon, pendant que Stéphanie conclut : “Si ça me tient à coeur de témoigner et de partager mon histoire, c’est que je ne veux pas imaginer une seule seconde, qu’une autre personne traverse ce que j’ai traversé. Si on parle de l’intérêt de l’enfant, il faut protéger ces enfants en donnant un statut à leurs parents. En les entourant juridiquement. Aujourd’hui les 4000 euros que j’ai dépensés jusqu’ici pour cette procédure, j’aurais pu les mettre sur son compte à elle.”
Le jugement a été rendu : Juliette est officiellement la fille de Stéphanie depuis le 18 octobre dernier. Une nouvelle vie commence pour elles.