Le juge du pôle économique et financier de Marseille planche sur la possible surfacturation de déménagements de militaires mutés à l'étranger. A l'origine de l'affaire, une plainte déposée par un déménageur du Sud-Ouest..
Marcel Barthélémy, déménageur de Castelnaudary dans l'Aude juge avoir perdu sa clientèle en raison d'un "régime mafieux" instauré dans le milieu du déménagement. Des pratiques qu'il avait dénoncées auprès de la Grande Muette, qui n'avait pas donné suite. Il a alors déposé une plainte à Carcassonne avant qu'elle ne soit confiée le 6 septembre 2012 au parquet de Marseille. Ce dernier, après une longue enquête préliminaire, a ouvert une information judiciaire.
A l'heure des coupes budgétaires et réductions d'effectifs dans l'armée, les pratiques dénoncées par Marcel Barthélémy font tâche et sa plainte est suffisamment documentée pour être confiée à un juge d'instruction du pôle économique et financier de Marseille.
Des avantages en nature
Selon la plainte, des entreprises de déménagement installées dans les Bouches-du-Rhône auraient surfacturé des déménagements de militaires français mutés à l'étranger, en Guyane ou à Djibouti par exemple. Ces entreprises auraient incité les soldats à ne pas se poser trop de questions sur les devis élevés - de toute façon pris en charge par leur ministère - en leuroffrant divers avantages en nature.
Selon M. Barthélémy, le système aurait prospéré grâce à la faiblesse des procédures mises en place au sein de l'armée pour le déménagement de ses hommes vers l'outremer:
il revient simplement au militaire de présenter deux devis à son administration, qui choisit le mieux disant. Ce système a donné lieu selon M. Barthélémy et son avocat à des arrangements entre sociétés complices pour se partager un marché juteux ou à la présentation par une même entreprise de deux devis, l'un factice au nom d'une société inexistante et l'autre qui sera finalement retenu.
Le problème pour M. Barthélémy, c'est qu'en refusant de jouer le jeu, il s'est coupé d'une clientèle - les parachutistes du 8E RPIMa de Castres, ceux du 3e RPIMa de Carcassonne et les légionnaires du 4e Régiment étranger de Castelnaudary - qui représentait environ 50 à 60% de son chiffre d'affaires annuel.
Des cadeaux divers
Fils de militaire, ancien banquier puis commerçant, ce quinquagénaire aux cheveux courts grisonnants a repris en 2007 l'entreprise Castel'Dem. En 2009, ses deux commerciaux, lassés d'essuyer refus sur refus, l'ont informé de "la générosité des concurrents, c'est-à-dire des cadeaux divers et variés" aux futurs clients.
"On me parlait de petites motos qu'on offre aux enfants, la location de véhicules, des ordinateurs portables. A cette époque-là, on ne nous parlait pas encore d'argent en espèces", dit M. Barthélémy. "Les devis de nos concurrents sont plus élevés que les nôtres mais la contrepartie, c'est que le client touche des cadeaux", résume-t-il.
Son entreprise dépose le bilan en juin 2012 "après avoir perdu 90%" de son activité militaire.
Droit dans ses bottes, le chef d'entreprise alerte par courrier le ministère de la Défense, qui accuse réception de la missive sans répondre sur le fond. M. Barthélémy décide alors de déposer plainte début août 2012. Trois des quatre sociétés soupçonnées ont leur siège social dans les Bouches-du-Rhône.
"Régime mafieux"
La chambre syndicale du déménagement s'est depuis constituée partie civile, afin, selon son président Serge Fontaine, d'assurer "un marché serein et transparent tant pour les entreprises de déménagement que pour les militaires".
Selon l'avocat de M. Barthélémy, Me Stéphane Cabée, les enquêteurs devraient s'intéresser à la comptabilité des sociétés mises en cause, qui "affichent des progressions de leur chiffre d'affaires exceptionnelles", et dans le même temps analyser les déménagements incriminés. Ces investigations pourraient selon lui aller au-delà des cas de militaires basés
dans le Sud-Ouest.
"De toute évidence, tous les déménagements à l'export en France sont aujourd'hui sous un régime mafieux où les militaires acceptent des cadeaux, rétrocommissions, bakchichs, avec comme conséquence une surfacturation pour l'État de tous les déménagements à l'export. Ça ne peut pas concerner que Castel'Dem. Ça va concerner d'autres sociétés",
affirme Me Cabée.