Après neuf mois de redressement judiciaire, les 1.300 salariés de Kem One concernés ne sont pas au bout de leurs surprises: mercredi, les deux repreneurs en lice ont fusionné leurs offres et le Tribunal de commerce de Lyon tranchera vendredi sur leur avenir.
"Même dans une carrière très longue, on voit rarement des coups de théâtre comme ça": de l'aveu même de l'administrateur judiciaire Bruno Sapin, personne ne s'attendait à pareil scénario. Mercredi, après consultation du comité central d'entreprise, le tribunal de commerce devait en principe désigner un repreneur ou prononcer la liquidation. Mais le fonds d'investissement américain OpenGate Capital et l'industriel français Alain de Krassny en ont décidé autrement.
En début d'audience, ils ont annoncé que le premier se ralliait à l'offre du second, provoquant une longue interruption de séance. Au final, ils ont imposé un nouveau projet et un nouveau calendrier, avec nouvelle consultation du comité central d'entreprise (CCE) jeudi et report de l'ultime audience du tribunal de commerce à vendredi.
Une issue saluée par le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg à l'Assemblée nationale: "J'ai appris, en entrant dans cet hémicycle, que les deux offres venaient de fusionner et qu'il n'y en aurait donc plus qu'une seule. Cette offre est durable, elle est viable, elle est financée", a-t-il déclaré.
Il a assuré que le dossier Kem One se rapprochait "d'un dénouement heureux", rappelant que le groupe représentait 1.800 emplois directs, principalement en Rhône-Alpes et Paca, et 10.000 indirects en France.
Unir leurs forces
Ce coup de théâtre intervient après neuf mois de tractations entre les candidats à la reprise, la direction de Kem One et les grands fournisseurs du groupe (Arkema, Total et EDF), pilotées de près par le gouvernement. Les deux repreneurs en lice "se sont rendus compte qu'il valait mieux unir leurs forces face aux grands opérateurs", a expliqué l'administrateur judiciaire, prévenu un quart d'heure avant l'audience du tribunal - les pouvoirs publics l'étaient depuis mardi soir, selon la CGT. D'après Me Sapin, M. de Krassny sera président du futur groupe, s'il voit le jour, et son capital sera de dix millions d'euros. L'Etat s'est engagé à fournir une avance de 80 millions, remboursable, 33 millions, via un prêt du Fonds de développement économique et social et 15 millions en subventions d'investissement, soit 128 millions au total."Le gros bémol, c'est le devenir de l'aval, car il semble que dans la fusion, de Krassny sera le patron indiscutable et indiscuté de l'amont, et OpenGate de l'aval", a souligné Cédric Porin, avocat du CCE de Fos-Lavera. Seules les activités amont (chlorochimie et production de PVC) sont en redressement judiciaire, mais le propriétaire actuel de Kem One, le financier américain Gary Klesch, s'est engagé à céder l'aval, bien plus lucratif, pour un euro en cas d'offre de reprise globale. Mardi, OpenGate a annoncé être entré en négociations exclusives avec le groupe belge Solvay pour lui racheter sa filiale Benvic, un des principaux formulateurs de PVC disposant de trois usines de fabrication en Europe.
Quelle que soit la suite, la CGT ne s'attend pas à ce que ce nouveau chapitre de l'histoire - déjà mouvementée - de Kem One soit "un long fleuve tranquille". D'abord parce que le groupe ne sort pas indemne en terme d'emplois: en accord avec les repreneurs, la direction de Kem One a présenté un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) qui se traduit par la suppression de 97 postes, dont 51 CDI actuellement pourvus. Les représentants du personnel s'inquiètent aussi de la faiblesse des fonds propres mis sur la table: seulement dix millions désormais, contre 25 au total avant la fusion des offres de reprise. Les salariés ne veulent pas que se répète la situation qu'ils ont vécue lorsqu'Arkema a mis en vente, en novembre 2011, son pôle vinylique, finalement cédé pour un euro à l'été 2012 à Gary Klesch dont la gestion très controversée a abouti moins d'un an plus tard au redressement judiciaire.