L'opposant et oligarque kazakh soupçonné de malversations financières Moukhtar Abliazov sera fixé jeudi sur le sort que lui réserve la justice française, saisie d'une demande d'extradition vers l'Ukraine et la Russie.
L'avocate générale de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, Solange Legras, s'était déclarée favorable à cette double extradition le 12 décembre lors de l'audience sur le fond. Au vu du montant des préjudices présumés, Mme Legras avait réclamé que M. Abliazov
soit "prioritairement" extradé vers la Russie, qui avait dépêché pour l'occasion un haut responsable du parquet de Moscou.
Le Bernard Madoff russe
L'arrêt de jeudi, qui fera "bien évidemment" l'objet d'un pourvoi en cassation en cas de feu vert à l'extradition selon les avocats de M. Abliazov, refermera en partie le chapitre français de cette affaire internationale. Il s'était ouvert le 31 juillet avec son interpellation spectaculaire par la policefrançaise - hélicoptère à l'appui - dans une somptueuse villa de la Côte d'Azur, à Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes). Agé de 50 ans, ce physicien de formation ayant fait fortune dans les années 1990 dans le négoce et l'immobilier notamment, était recherché via mandat d'arrêt international
par son pays, par l'Ukraine et par la Russie, en raison de malversations financières à grande échelle auxquelles il se serait livré en tant que dirigeant et principal actionnaire de la banque kazakh BTA entre 2005 et 2009.
Le préjudice se chiffrerait à 5 milliards de dollars sur le sol russe, 400 millions en Ukraine, en particulier via des détournements de fonds vers des comptes off-shore s'appuyant sur des prêts non garantis. Les avocats de la BTA le comparent sans hésiter à l'escroc financier américain Bernard Madoff. C'est au moment de la nationalisation forcée de l'établissement par le régime de fer du président Noursoultan Nazarbaïev, dont il est l'un des principaux ennemis politiques après avoir été l'un de ses ministres de l'Energie, qu'il trouve refuge en Angleterre où il bénéficie du statut de réfugié politique. La BTA lui intente à Londres une série de procès au civil. L'un d'entre eux le condamne en février 2012 à 22 mois de prison pour outrage à la cour, pour avoir dissimulé certains de ses actifs. C'est le moment où il disparaît, évoquant des questions de sécurité. Sa trace se perd jusqu'à ce 31 juillet 2013, où la police française l'arrête sur des renseignements fournis par des détectives engagés spécialement par la BTA. Entre temps, il continue d'être jugé en Angleterre, par défaut.
"Le caractère uniquement politique des demandes"
Lors des débats du 12 décembre à Aix-en-Provence, les avocats de M. Abliazov ont dénoncé le caractère uniquement politique de ces demandes d'extradition, bâties selon eux "sur un chapelet d'allégations sans preuve", et se sont dits convaincus que Russie et Ukraine se "donnaient la main" pour in fine ré-extrader leur client vers le Kazakhstan où le pire l'attendrait. Derrière toutes ces demandes, "c'est le président Nazarbaïev qui me poursuit de sa haine", avait clamé M. Abliazov à l'audience. L'un de ses avocats, Jean-Pierre Mignard, l'a également répété lundi à Paris: "Et sur le fond et sur la forme, mais aussi et surtout au nom de la protection des personnes, il est impossible de l'extrader". Dans le viseur de la défense:les conditions de détention et l'équité de la justice de ces pays. L'accusation avait balayé ces arguments. Russie et Ukraine présentent toutes les
garanties juridiques et respecteront les traités internationaux interdisant toute ré-extradition, avait aussi estimé l'avocate générale, qualifiant M. Abliazov de "délinquant de grande envergure".