Elle est devenue, le 2 décembre dernier, la première femme élue à la présidence de la Société Française de Médecine Légale, depuis sa création en 1867. Entretien avec Pauline Saint-Martin, cheffe de l'Institut Médico-Légal du CHRU de Tours et professeure à la faculté de médecine.
Pauline Saint-Martin n'avait que 31 ans lorsqu'elle a pris, en 2011, la tête de l'Institut Médico-Légal (IML) du CHRU de Tours. Elle devenait ainsi la plus jeune cheffe de service de médecine légale en France.
Nouvelle étape, et nouvelle prouesse dans une carrière impressionnante : élue, le 2 décembre dernier, présidente de la Société Française de Médecine Légale, Pauline Saint-martin devient la première femme à la tête de cette institution créée en 1867.
Une profession qui s'est largement féminisée
Un événement, dans un monde très masculin ? Modeste, et mal à l'aise sous le feu des projecteurs, la nouvelle présidente y voit plutôt un manque de motivation des femmes pour les postes honorifiques :
"Il faut croire que l'envie d'être à la tête de cette société savante a germé surtout chez des hommes, sourit Pauline Saint-Martin. Car la discipline a bien évolué ces vingt dernières années et il y a aujourd'hui beaucoup de femmes médecins légistes, tout comme il y a beaucoup de femmes médecins. C'est une spécialité très attractive."
Cette élection n'en reste pas moins un symbole fort et la professeure est évidemment touchée par cette reconnaissance de ses pairs :
"C'est tout de même une étape marquante dans ma carrière, car il s'agit de la société savante de notre discipline. Elle représente l'ensemble des médecins légistes, et j'espère y renforcer la place de la médecine légale dans les débats scientifiques et professionnels. J'aimerais aussi accroître les liens avec les autres disciplines médicales, notamment celles qui œuvrent auprès des victimes de tous types de violences."
Formation intense au bureau du coroner, à L.A.
Après une enfance passée à Blois, Pauline Saint-Martin a entamé ses études de médecine à Tours en 1996. Son stage à l'IML, en sixième année, la convainc définitivement de se consacrer à la médecine légale.
À l’issue de ses études, dans le cadre d'un projet professionnel personnalisé, Pauline part en novembre 2006 aux Etats-Unis, pour une incroyable expérience de près d'un an au bureau du coroner de Los Angeles.
"La fiction et la réalité s'y mélangent ! On y pratique 10 000 autopsies à l'année, mais les médecins servent aussi de consultants pour les séries télé. En arrivant le matin, on pouvait se retrouver dans le parking au beau milieu du tournage d'un épisode des Experts ! "
Médecine des violences sur des personnes vivantes
Dès son retour en France, en novembre 2007, elle intègre l'IML du CHRU de Tours, qu'elle n'a plus quitté depuis. Elle dirige aujourd'hui une équipe d'environ 25 personnes, médecins légistes et psychologues, secrétaires et aides-soignants pour les autopsies, étudiants et internes.
Contrairement aux idées reçues, les autopsies ne représentent qu'une petite part du travail des médecins légistes :
Paradoxalement, notre métier est à la fois très connu et mal connu. Effectivement, la médecine légale à ses débuts, se limitait aux autopsies et à la recherche des causes de la mort. Mais aujourd'hui, plus de 90% de notre activité consiste à examiner des victimes vivantes !
Pauline Saint-Martin, cheffe de service Institut médico-légal de Tours
Popularisé par la littérature policière, les films et les séries, le médecin légiste reste le spécialiste de la mort. Il est appelé sur les scènes de crime, pratique des autopsies et participe activement à l'enquête. Mais il est avant tout aujourd'hui l'expert des violences commises envers des personnes vivantes. Et cette activité est en constante augmentation.
"De jour comme de nuit, nous voyons à l'année à peu près 4000 victimes de violences, un chiffre en hausse de 4,5% sur 10 ans, poursuit la professeure Saint-Martin. Et les victimes que l'on retrouve le plus aux unités médico-judiciaires sont les enfants, la maltraitance à mineurs est notre première source d'activité. Mais nous examinons aussi beaucoup de victimes de violences sexuelles ou de violences intrafamiliales. Et puis la violence peut surgir partout, dans la rue, au travail, lors d'un conflit de voisinage..."
Les victimes parlent plus facilement
4000 victimes à l'année, un chiffre qui semble considérable à l'échelle de la Touraine... faut-il pour autant en conclure que nous vivons dans une société de plus en plus violente ?
"Je pense que l'augmentation de notre activité est surtout due au fait que les victimes parlent plus facilement, ont moins honte d'avoir subi des violences, notamment dans le cas des violences sexuelles, estime la cheffe de l'IML. Elles vont plus facilement pousser la porte d'un commissariat ou d'une gendarmerie, d'autant qu'elles y sont mieux accueillies, les enquêteurs sont mieux formés. Je ne dis pas que tout est parfait, il y a encore beaucoup à faire mais cela progresse. Et puis il existe aussi toute une chaîne de prise en charge avec des associations d'aide aux victimes, des structures pour les accompagner. Je ne suis pas certaine qu'il y ait plus de victimes ou que la société soit plus violente qu'auparavant."
"C'est lourd à porter"
Jour après jour, néanmoins le légiste doit écouter les récits des victimes, constater les blessures et lésions, évaluer le retentissement physique et psychologique des violences. Puis rédiger un certificat médical très précis pour être utile à l'enquête et éviter toute contestation ultérieure.
"C'est lourd à porter, reconnaît Pauline Saint-Martin. J'ai toujours su que ce métier serait difficile, mais je pensais qu'avec le temps, cela deviendrait plus supportable. Et c'est le contraire qui se produit. En vieillissant, en prenant de l'expérience, il m'est de plus en plus difficile d'être confrontée au quotidien à ces récits de violences des personnes qui nous consultent. Les jeunes gens, nombreux, qui ont envie de faire ce métier, doivent en être conscients. C'est un métier passionnant, mais très difficile par ce qu'il révèle de la nature humaine."