Témoignages. "J'ai envie d'être ce maillon indispensable" : des étudiants infirmiers racontent leur désir de devenir soignants

Publié le Écrit par Thomas Hermans
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Devenir soignant en 2024, c'est vouloir apporter sa pierre à la reconstruction nécessaire du système de santé français, et particulièrement hospitalier, en grande difficulté. France 3 a rencontré plusieurs étudiants, futurs infirmiers, pour évoquer ce qui les pousse à accomplir leur vocation.

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"Je veux faire partie de la solution." Autour d'Adeline, tout le monde acquiesce. Plusieurs étudiants en deuxième année de formation d'infirmier ont accepté de parler de leur vocation, de leurs espoirs et de leurs peurs, de ce qui les fait avancer. Tous apprennent à l'IFPM, institut de formation aux métiers du paramédical, situé à Orléans. L'établissement accueille actuellement plus d'un millier de futurs soignants, au sein de huit formations. Celle d'infirmier mobilise la moitié des effectifs à elle seule.

Lors de la rentrée de septembre, 180 étudiants ont fait leur rentrée en première année en formation infirmière. Il y a cinq ans, ils n'étaient encore que 150 par promotion. Mais face aux difficultés énormes du système de santé en Centre-Val de Loire, le conseil régional a augmenté le nombre d'infirmiers formés.

Au sein de la dernière promotion, les profils sont extrêmement variés. 90% sont des femmes, 10% des hommes. La majorité vient de la région, mais Parcoursup ramène à Orléans des aspirants soignants de toute la France. Certains sont très jeunes, sortent presque du bac. D'autres le sont un peu moins, et ont déjà des carrières derrière eux, dans le médical ou non.

Participer à la reconstruction du système de santé

Adeline, elle, a 50 ans, et a choisi la reconversion après des années à travailler en agence de voyages, puis dans l'industrie agroalimentaire dans l'Orléanais. Pendant la crise Covid, elle devient secouriste dans son entreprise. Elle fait "des petites interventions", qui lui apportent "un sentiment d'utilité, de joie... je kiffais ce que je fais, même si c'était juste pour mettre un pansement". Dans le même temps, elle accumule une "frustration de ne rien pouvoir faire" pour aider le système médical, dévasté par le coronavirus. "Ça a fait étincelle", se souvient-elle.

Elle choisit de devenir soignante, au moment même où le système de santé est au plus mal, alors que les professionnels manquent à l'hôpital pour accueillir tout le monde, que les patients s'accumulent dans les services d'urgences en attente de solutions, que chaque nouveau médecin sur un territoire désertifié remplit son carnet de patients en quelques heures.

Comme Adeline, de nombreux étudiants citent pourtant le Covid comme un élément déclencheur. Plutôt qu'abandonner un navire qui prend l'eau, le rejoindre et aider à écoper. "Si tout le monde se dédouane en se disant que c'est trop galère, on va arriver à un point de rupture, redoute Sofia. Ce sera invivable pour les soignants, et pour les patients."

Être utiles à la société

Âgée de 20 ans, l'étudiante dit ressentir "un sentiment d'utilité" en s'occupant de personnes. "Depuis longtemps, je savais que je voulais travailler dans le médical", assure-t-elle. Pendant la crise sanitaire, intervient une vraie bascule. Sa voix se brise. "Le parent avec lequel je vis était très malade, c'était très compliqué."

Elle choisit de s'orienter vers une formation d'infirmière en trois ans, plutôt que de faire médecine pendant au moins huit ans. "Je veux aider les autres vite", assène la jeune femme, décidée. "On est jeunes, on est motivés, on en veut, c'est comme ça que [le système de santé] va remonter la pente."

Tous les étudiants rencontrés racontent leur besoin de se sentir utile à la société. "Pendant le Covid, on a vu que le soignant était un maillon indispensable. J'ai envie d'être ce maillon indispensable." Tristan, 23 ans, s'est d'abord rendu "utile" à la société en devenant assistant d'éducation dans un collège dans la Sarthe, dont il est originaire. "Ma motivation, c'est aider autrui, être au service des autres." Mais le "côté soignant" lui manquait, le menant à se réorienter et à intégrer l'IFPM.

La relation au patient, le b.a.-ba du métier de soignant

Utile à la société, mais aussi à l'autre, individuellement. "J'aime ce côté social, faire face à des parcours de vie différents, c'est enrichissant à la fois sur le plan personnel et professionnel", assure Tristan. Samantha, 24 ans, plébiscite aussi "la relation au patient", notamment après ses différents stages en Ehpad, en psychiatrie ou encore aux urgences :

Les retours, les remerciements... C'est valorisant. On me dit : "Vous êtes gentille, est-ce que demain, c'est vous ?" Ce que je dégage est positif et le patient y trouve son compte.

Samantha, étudiante infirmière à l'IFPM

Et, évidemment, pour valoriser ce contact, "il faut de l'empathie, de la considération, de la bienveillance", assure Samantha. "On ne fait pas de métier pour d'autres motivations, sinon on se trompe de métier", ajoute Carla. À 46 ans, cette ancienne agente administrative du CHU d'Orléans souhaite devenir infirmière pour exploiter son amour "du relationnel". Dans son ancien métier, elle travaillait avec des infirmières. "Il me manquait ce geste, être avec les personnes."

Pareil pour Dimitri, 33 ans, ancien ambulancier, frustré dans son précédent métier de "ne pas aller jusqu'au bout de la prise en charge du patient". "J'ai un profil assez avenant, je suis à la cool, détente avec les patients, explique-t-il. J'essaie d'instaurer une relation de confiance, sans hiérarchie." Sa camarade Emma, 24 ans, abonde : "J'essaie de donner de la sécurité au patient. C'est ce que je chercherais en tant que patiente à l'hôpital."

De l'empathie dans un monde "déshumanisant"

Et l'échange peut aller dans les deux sens. Pour Adeline, "les patients nous apportent autant qu'on peut leur apporter" :

Quand on interagit avec des gens qui sont malades, parfois mourants, on va à l'essentiel de la relation humaine. Parfois, on est presque d'âme à âme.

Adeline, étudiante infirmière à l'IFPM

À l'IFPM, les étudiants reçoivent des cours dédiés, à la communication avec l'autre, à la psychologie, pour développer leur relation au patient. "Mais si on ne l'a pas déjà en soi à la base... non, ça ne marche pas", estime Adeline. Cette capacité à l'empathie innée devient rapidement un critère de survie dans "un milieu médical un peu déshumanisant, un peu froid, qui fait peur", concède Tristan.

Le revers de l'empathie

Mais attention à ne pas basculer dans le trop-plein d'émotions, surtout quand le métier est difficile. Voire très difficile. Le jeune homme témoigne de "situations très difficiles sur le plan émotionnel, on encaisse beaucoup" durant certains stages. Faire face à la détresse humaine est un sport de combat. "Il faut être préparé, il faut apprendre, on se blinde. On n'est pas insensibles, mais on se blinde." Même constat pour Samantha :

Parfois, il vaut mieux se blinder. Si on est au bout de notre vie dès qu'on voit un petit truc, ce n'est pas possible. Comment peut-on aider quelqu'un si on n'est pas bien nous-même ?

Samantha, étudiante infirmière à l'IFPM

Cet équilibre précaire entre empathie et carapace protectrice, chacun devra apprendre à le trouver au fur et à mesure de sa carrière. Et, même s'il ne laisse rien paraître, "un urgentiste qui a 40 ans de métier aura toujours la même appréhension", juge Tristan.

En attendant, les questions de santé mentale sont prises très au sérieux au sein de l'établissement, conscient de la dureté de ce à quoi ses étudiants peuvent assister. Ainsi, des accompagnements personnalisés des étudiants sont prodigués régulièrement, avant, pendant, et après les stages. "Ça permet de rattraper certains étudiants qui sont sur le fil, proches d'abandonner", affirme Sophie Clavière, formatrice et référente de la promotion infirmière 2023-2026.

Sofia en a fait l'expérience. Lors d'un stage, elle se retrouve "enfermée chez un patient avec l'infirmière", confrontée à "un relationnel chez un patient où ça n'allait pas au niveau psychique". Elle se demande alors si elle est "capable" de poursuivre. "Est-ce que je suis suffisamment coffrée ?" Plusieurs temps d'échange avec les formatrices plus tard, Sofia "arrive à mettre des choses en place pour être moins en difficulté". "Il ne faut pas tout rapporter chez nous, sinon, d'une certaine manière, on n'arrête jamais de travailler."

"Être dans la panade et savoir rebondir"

Ni les conditions de travail, ni l'état du système de santé, et de l'hôpital public en particulier, ni la difficulté à encaisser psychologiquement certaines situations ne semblent devoir dissuader ces futurs soignants d'accomplir leur vocation. Car, la santé, pour beaucoup, est bien une vocation. Et il faut bien ça pour passer toutes les épreuves. "C'est difficile partout, alors autant faire ce qu'on aime."

Avantage du diplôme d'infirmier : il ouvre une diversité folle de parcours, de qualifications, de spécialisations. Certains de ces étudiants finiront en libéral, d'autres en hôpital. Certains seront infirmiers en bloc opératoire, d'autres infirmières de pratique avancée, sorte de strate manquante entre médecin et infirmier, qui se développe dans les territoires sous-dotés en médecins.

Tristan, par exemple, veut se lancer dans les urgences. "Être dans la panade et savoir rebondir, c'est moteur pour moi, dans le travail d'équipe, explique-t-il. On est tous dans la même galère, on se sert les coudes et on avance pour le patient." Malgré la difficulté, c'est le patient qui prime. Ces futurs soignants seront là pour lui, et uniquement pour lui.

Reste à savoir où. Si la région met les moyens pour former plus de soignants, et si une faculté de médecine a récemment ouvert à Orléans, c'est bien parce que réside l'espoir qu'un soignant formé en Centre-Val de Loire exercera en Centre-Val de Loire. Pour les étudiants de l'IFPM, tout semble être une question d'opportunité. "Si je trouve un service qui me plaît à Orléans, je resterai ici, sinon je retournerai en Île-de-France", souffle Samantha.

Tristan constate l'existence d'un "vrai dilemme" chez les soignants, conscients des difficultés de certains territoires. Mais "il faut savoir s'écouter soi, on ne peut pas tout régler. Je ne vais pas aller dans un petit village, certes pour aider des populations, si je n'y suis pas bien." Il attend "un service qui [le] séduit". Le Centre-Val de Loire arrivera-t-il à le séduire, après l'avoir formé ?

Selon la direction de l'IFPM, la majorité des diplômés infirmiers restent exercer dans la région.

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