En trois ans, trois maternités ont fermé leurs portes en Centre-Val de Loire, obligeant les femmes enceintes à faire de plus en plus de kilomètres. En 2023, la natalité baisse encore dans la région. De quoi menacer les maternités restantes ?
La démographie peine à se réarmer en Centre-Val de Loire. À en croire l'Insee, le nombre de naissances dans la région est en forte baisse en 2023, comme les dernières années, à -6,5%. Avec 1,75 enfant par femme, la région atteint sur plus bas taux de fécondité en 25 ans, tout en restant le territoire le plus prolifique en bébés de l'Hexagone.
Conséquence directe : certaines maternités de la région enregistrent des baisses importantes de leur activité. Selon les données transmises par l'Agence régionale de Santé (datant de 2022), le nombre de naissances vivantes reste stable en Indre-et-Loire, mais chute dans le Loir-et-Cher. Dans les maternités de Vierzon, Vendôme et Chambray-lès-Tours, la baisse est supérieure à 25% en un an.
Trois fermetures en trois ans
De quoi remettre en cause le tissu des maternités de la région, déjà fragilisé ? En Centre-Val de Loire, il y a actuellement 18 maternités. Mais ce nombre était plus important il y a dix ans. Entre 2016 et 2018, trois établissements ont fermé : Pithiviers, Châteaudun et Le Blanc. Depuis, aucune n'a été cadenassée définitivement, malgré des fermetures ponctuelles motivées principalement par le manque de personnel médical. À l'instar de la maternité de Chinon, par exemple. Certaines maternités l'ont pourtant échappé belle, comme celle de Vierzon, sauvée après une forte mobilisation locale en 2018.
Contactée par France 3, l'ARS précise que "le seul critère pouvant conduire à suspendre une autorisation relève d’un défaut de sécurité, c’est-à-dire généralement l’incapacité d’une structure à assurer la présence d’équipes complètes (gynécologues, anesthésistes…), 7 jours sur 7 et 24h sur 24". Pour résumer, le nombre de naissances "n'est pas un critère" lorsqu'il s'agit de décider du sort d'une maternité, seulement le nombre de soignants.
D'autant que, toujours selon l'ARS, "la prise en charge au cours de la grossesse n’a cessé de se renforcer dans les maternités, notamment autour du repérage et de la prise en charges des vulnérabilités". Compensant en quantité d'activité, en partie au moins, la baisse du nombre de naissances par établissement.
Les maternités pratiquant moins de 1 000 naissances par an dans la tourmente
Les naissances ne sont donc pas un critère direct, officiellement. Mais elles sont bien un critère indirect. Depuis 2018, un seuil minimal de 300 naissances par an est fixé "au regard d’exigences de qualité et de sécurité des soins", comme le rappelle un rapport de la Cour des comptes datant de mai 2024. Plus généralement, les maternités pratiquant moins de 1 000 naissances par an peine "à attirer et conserver des personnels qualifiés".
(Légende : les croix vertes représentent les maternités ouvertes, la croix jaune a été menacée mais finalement conservée, les points rouges ont fermé.)
Par conséquent, moins de naissances, c'est moins d'attractivité pour les médecins, donc moins de personnels, donc une plus grande difficulté à "assurer la présence d'équipes complètes", comme évoqué par l'ARS. Si une maternité est amenée à fermer quelques semaines dans l'année pour un manque de personnel soignant, son nombre de naissances va diminuer d'autant plus. Et les serpents du caducée se mordent la queue.
L'Académie de médecine plaide pour la fermeture des plus petites structures
La Cour des comptes plaide donc pour des études régulières au cas par cas dans les plus petites maternités, afin d'en "tirer des conséquences sur l’opportunité et les conditions de la poursuite de leur activité". Sans trop se mouiller, le rapport plaide clairement pour des fermetures.
Et la Cour des comptes n'est pas seule dans ce cas. L'Académie de Médecine elle-même, dans un rapport de février 2023, plaide pour la fermeture des plus petites structures, jugeant leur maintien en activité "illusoire". Le texte cite le trop grand coût d'entretien, parfois de rénovation, et le manque de personnels soignants. "Seules de grandes structures seront à même de proposer une offre et une qualité de soins exigées par les usagers comme par les professionnels", assènent les auteurs.
Pourtant, "aucune maternité n'est rentable", souffle Nicolas Sansu, député communiste du Cher, qui était maire de Vierzon lorsque l'existence de la maternité fut remise en cause en 2017-2018. L'Académie de Médecine confirme "un effet de ciseaux entre les tarifs et les coûts", notamment via les frais induits par "des nouvelles normes de sécurité (investissement, masse salariale)". L'élu redoute "une nouvelle offensive" des autorités contre les plus petites maternités de la région, alors que le nombre de femmes vivant à plus de 45 minutes d'une maternité a doublé en 20 ans.
Vers une concentration des maternités dans les métropoles
L'Académie de Médecine recommande de regrouper les maternités des petites villes avec celles des plus grandes, en déplaçant l'activité d'accouchement dans les deuxièmes. Dans l'Indre, il ne reste plus qu'une maternité, à l'hôpital de Châteauroux. Nicolas Sansu regrette "qu'on fasse le jeu des métropoles" :
À force de dire aux gens : vous n’avez pas de médecins, de maternité, de trésor public, tout s’éloigne, les gens se déchaînent, et il ne faut pas s'étonner des votes qu'on a.
Nicolas Sansu, député PCF du Cher
Dans le Cher, département où Nicolas Sansu est député, les craintes grandissent pour la maternité de Saint-Amand-Montrond. Avec 302 naissances vivantes en 2022, c'est l'établissement avec le moins d'activité de la région, tout proche du seuil fatidique des 300.
En octobre 2023, la publication par l'ARS du plan régional de santé (PRS) 2023-2028 a accentué l'inquiétude. Le texte précise que le nombre maximal de maternités dans le Cher doit être de quatre, et au minimum de trois. En l'occurrence, il y a quatre maternités actuellement ouvertes dans le département. Les élus en sont convaincus : si une maternité doit sauter dans le Cher, celle de Saint-Amand semble toute désignée.
Et le Cher n'est pas le seul département concerné. L'Indre-et-Loire aussi, avec trois maternités, est à son maximum selon l'ARS, avec un minimum à deux. Dans le Loir-et-Cher, c'est minimum trois, maximum quatre. Et il y en a actuellement quatre. À en croire Marc Gricourt, maire socialiste de Blois et président de la Fédération hospitalière de France en Centre-Val de Loire, pas de doute : "L'ARS estime qu'il y a une maternité en trop dans le Loir-et-Cher."
Présentant le plus bas nombre de naissances des maternités du Loir-et-Cher, celle de Vierzon serait-elle en danger ? "Il faut conserver un équilibre territorial. À Blois, nous avons deux maternités, une privée et une publique", glisse Marc Gricourt, qui ne souhaite pas voir Vierzon passer en premier sur le billot.
Aucune fermeture de maternité envisagée... pour l'instant
Le maire de Blois ne semble cependant pas inquiet, du moins "à court terme". "Quand il y a dangerosité et peu de naissances, des données très très basses, il faut fermer le service, estime-t-il. On n'est pas dans cette situation, à ma connaissance, dans la région."
Il plaide également pour "une observation prudente de la démographie sur une décennie". Car "une courbe, comme celle de la natalité, ça peut se retourner. Il faut être prudent et ne pas envisager des fermetures précipitamment."
L'Agence régionale de Santé affirme ne pas avoir "le projet de fermer des maternités dans la région, mais assumera son rôle consistant à garantir la qualité et la sécurité des femmes et des enfants qui y sont accueillis".
Dans l'Hexagone, le nombre de maternités a été plus que divisé par trois en cinquante ans, passant de 1 747 à 456 entre 1972 et 2021. Selon l'ARS, bien que "moins marquée" qu'en 2023, la baisse de la natalité se poursuit en Centre-Val de Loire au premier semestre 2024.