L'ex-trader Jérôme Kerviel, qui refuse de rentrer en France où il est attendu pour y purger une peine de prison de trois ans ferme, sera considéré pour les autorités françaises comme un "fugitif" s'il ne se présente pas d'ici minuit dimanche 18 mai au commissariat de Menton.
L'ex-employé de la Société générale a annoncé dimanche 18 mai qu'il restait en Italie, attendant toujours une réponse de l'Elysée à sa demande de protection de témoins dans son dossier.
"Je reste pour l'instant ici", a-t-il déclaré devant un petit hôtel de la ville-frontière italienne de Vintimille dont il a fait ses quartiers depuis deux nuits. "J'attends la position du président de la République", a-t-il dit, campant sur une position annoncée la veille à la surprise générale, devant une forêt de caméras, à cent mètres de la frontière française et de Menton. "Je lui redemande la protection de témoins de l'appareil judiciaire qui ont des choses à dire sur le dysfonctionnement dans le cadre de ce dossier", a redit l'ex-banquier, tout en répétant qu'il n'est "pas en fuite" et se disant "prêt à effectuer (sa) peine".
En fuite
Pour le parquet général de Paris, "à l'expiration du délai de convocation au commissariat de Menton ce (dimanche) soir à minuit, il sera considéré en fuite". Un mandat d'arrêt européen sera alors "délivré à son encontre", ajoute le parquet dans un communiqué. Le mandat devrait être délivré dans les prochains jours. Interrogé par l'AFP, l'entourage du président François Hollande a répondu qu'"aucune rencontre n'(était) à l'ordre du jour". Pour l'Elysée, le chef de l'Etat est "le garant constitutionnel de l'indépendance de l'autorité judiciaire" et à ce titre, est "attaché au respect des décisions rendues par les juridictions françaises". Selon une source gouvernementale, l'exécutif n'a pas l'intention de "tomber dans le piège évident tendu par Kerviel et son avocat".L'ancien courtier, aujourd'hui âgé de 37 ans, a été condamné à cinq ans de prison dont deux ferme pour des opérations ayant fait perdre 4,9 milliards d'euros à sa banque.
Samedi 17 mai, l'Elysée avait informé que si Jérôme Kerviel sollicitait une grâce présidentielle, sa demande serait examinée "selon la procédure habituelle". Mais elle n'avait pas réagi à sa demande de protections de témoins. "Je ne suis pas coupable. Je ne me mettrai jamais à genou face à une décision qui a été inique", a déclaré dimanche Kerviel. Il a redit qu'il ne sollicitait pas de grâce, s'exprimant au côté de son avocat David Koubbi,
qui demande une rencontre avec François Hollande.
L'entourage de l'ancien trader n'a pas souhaité réagir à la réponse de l'Elysée. Quant au père Patrice Gourrier - qui compte se rendre à pied jusqu'à Paris, de préférence avec son protégé - il a décidé d'entreprendre "un jeûne qui se poursuivra tant que l'incarcération ne sera pas différée".
"En unissant le jeûne à la prière, je souhaite que l'attention de tous les citoyens se porte sur les victimes des barbaries économiques", dit le prêtre engagé, venu de Poitiers.
Accueilli sous les applaudissements
Visage buriné et fatigué par deux mois et demi de marche à pied depuis Rome, Jérôme Kerviel n'avait pas franchi comme prévu la frontière samedi à Vintimille. Il y a été accueilli sous les applaudissements d'une centaine de partisans acclamant leur nouveau porte-drapeau en lutte contre le monde de la finance.Conseillé par une douzaine de stratèges de son comité de soutien, avec son avocat en chef d'orchestre, il maintient le suspense face aux caméras qui lui offrent une tribune d'expression inespérée. La Société Générale dénonce de son côté un "tapage médiatique" semé de mensonges et rappelle que la justice a tranché.
Jérôme Kerviel, jugé seul responsable de la perte subie par sa banque, avait été condamné en octobre 2010 à cinq ans de prison dont trois ferme. Il a déjà purgé 41 jours de cette peine en détention provisoire début 2008. Le trader avait dissimulé ses prises de risques avec des produits financiers dérivés, en introduisant de fausses données dans un système automatisé. Il avait aussi été condamné à rembourser les pertes. La Cour de cassation a cassé en mars cette obligation, tout en maintenant sa peine de prison. Une "victoire" qui a donné des ailes à l'ex-trader. Un nouveau procès au civil doit se tenir devant la cour d'appel de Versailles, près de Paris.
L'ex-banquier avait entamé sa longue marche depuis Rome le 5 mars après une rencontre avec le pape en février. "J'étais face à un homme détruit", raconte, touché, Mgr Jean-Michel di Falco, à propos de sa rencontre à Rome il y a trois mois avec Kerviel. L'évêque devenu président de son comité de soutien avait célébré samedi une messe en son honneur dans une église de Vintimille.