L'ex-homme fort du PS dans les Bouches-du-Rhône, Jean Noël Guérini, encore très présent sur la scène politique locale, doit répondre lundi devant la justice de détournement de fonds publics lors du licenciement de Jean-David Ciot, son collaborateur devenu député et patron du PS marseillais.
La justice reproche à l'élu d'avoir versé, au printemps 2011 plus de 65.000€ d'indemnités de licenciement à Jean-David Ciot, alors conseiller technique au cabinet du président du Conseil général des Bouches-du-Rhône (Jean-Noël Guérini). Licencié après neuf années de collaboration, Jean-David Ciot,est renvoyé devant le tribunal pour "recel de détournement de fonds publics". S'ils sont reconnus coupables les deux parlementaires risquent la prison (jusqu'à 10 ans) et l'inéligibilité (jusqu'à 5 ans).
Dans les détails
Jean-Noël Guerini, Sénateur et Président du Conseil Général de Bouches du Rhône et Jean-David Ciot, député-Maire PS du Puy Sainte Réparade, sont convoqués ce lundi devant leTribunal Correctionnel de Marseille. Le premier est soupçonné de détournement de fonds publics pour avoir octroyé et versé des indemnités au second à l’occasion d’une démission présumée déguisée sous forme de licenciement. Un délit commis au préjudice du Conseil Général 13. Jean-David Ciot, est soupçonné de recel parce qu’il aurait bénéficié du produit du délit.Le 26 mai 2011, Jean-Noël Guerini adresse une lettre recommandée à Jean-David Ciot. Le courrier est très court, trois lignes : « J’ai l’honneur de vous informer que j’ai décidé de mettre fin à votre engagement en qualité de collaborateur de cabinet à compter du 1er juin 2011. Je tiens à vous remercier de votre collaboration. » Pour le départ de l’ancien collaborateur du Président, le Conseil Général des Bouches du Rhône signe un chèque 65 529,10 €
Un licenciement de complaisance ?
La justice soupçonne donc un licenciement de complaisance, une démission arrangée pour permettre à Jean-David Ciot de se présenter aux législatives en 2012, ce que nient fermement les deux hommes. Les enquêteurs s'interrogent notamment sur la date du licenciement, le 26 mai 2011, moins de deux mois après le renouvellement de son contrat de cabinet, le 5 avril. En juillet de la même année, M. Ciot avait succédé à M. Guérini à la tête de la fédération PS avant de remporter, en 2012, les législatives contre la députée UMP sortante, Maryse Joissains.Pour une source proche du dossier, il s'agit cependant bel et bien d'escroquerie faite au détriment du Conseil général pour permettre à M. Ciot de payer sa campagne électorale et de quitter ses fonctions au moins six mois avant les législatives comme l'exige la loi.
Le 12 octobre 2011, le Procureur de la République de Marseille reçoit un courrier anonyme qui dénonce « les emplois fictifs occupés, grâce à l’intervention de Jean-Noël Guerini, par Monsieur et Madame Jean-David Ciot au sein du Syndicat Mixte d’Aménagement et de l’Equipement de l’Arbois. » Les investigations ne permettront pas découvrir de faits délictueux du côté de cet établissement public. En revanche, les enquêteurs s’interrogent sur les conditions du départ de Jean-David Ciot du cabinet du président du CG13.
Ce que l'enquête dévoile
L’enquête va mettre en lumière les différents contrats de Mr Ciot et son rôle de conseiller technique chargé de la géographie cantonale auprès du Président de la collectivité. Jean-David Ciot a signé son premier contrat d’agent contractuel le 1er août 2002. Ce contrat qui stipulait «qu’il ne serait versé aucune indemnité de licenciement. » sera renouvelé deux fois en 2004 et en 2008. Pour le troisième renouvellement, le 5 avril 2011, une clause indemnitaire est introduite en conformité avec un décret datant du 30 mai 2005Suite à son licenciement, l’ancien collaborateur de Jean-Noël Guerini est élu, le 21 juillet 2011, premier secrétaire de la fédération socialiste des Bouches du Rhône. Le 29 novembre, le bureau national du PS le désigne pour être candidat dans la quatorzième circonscription des Bouches du Rhône face à Maryse Joissains-Massini maire UMP d’Aix en Provence. L’élection est remportée par Jean-David Ciot en juin 2012
Les gendarmes interrogent plusieurs membres du cabinet du président du CG13 dont le directeur, Rémy Bargès, par ailleurs mis en examen dans un autre volet des affaires Guerini.
- Rémy Bargès explique que ce licenciement a été négocié et que « Jean-David Ciot était parti car il posait un problème de disponibilité par rapport à ses fonctions politiques notamment par sa nomination de premier secrétaire de la fédération PS des Bouches du Rhône. Il voulait se réserver la possibilité politique au niveau des élections législatives de juin 2012 puisque la loi impose à des personnels de cabinet de ne plus exercer dans l’année qui précède ces élections. » Il ajoute : «qu’il avait été convenu, en lien avec le président de licencier sans motif Jean-David Ciot, plutôt que d’accepter une démission, afin que lui soient ouverts des droits à indemnités. » Le juge souligne (dans son Ordonnance de Renvoi devant le Tribunal Correctionnel) l’incompatibilité entre les fonctions de cabinet et l’éligibilité aux fonctions législatives évoqués dans la loi organique n°2011-410 du 14 avril 2011
- Béatrix Billès conseillère auprès du cabinet de Jean-Noël Guerini depuis 1998 considère « comme une possibilité le fait que M. Ciot ait été licencié pour prétendre à des indemnités de perte d’emploi.»
- Monique Agier, la Directrice Générale des Services du CG13 ne connaissait pas les motifs du licenciement de Jean-David Ciot et avait « simplement compris que cela était en rapport avec les débats qui avaient lieu au sujet des liens entre la fédération PS et les emplois au sein du Conseil Général. » Elle précise aussi que JD Ciot n’avait pas bénéficié des deux mois de préavis auxquels il pouvait prétendre.
3 avril 2012, Jean-David Ciot, entendu comme témoin par les enquêteurs, explique que sa « candidature aux fonctions de premier secrétaire départemental du PS avait été discutée début mai 2011 dans un contexte politico-judiciaire qui avait conduit à la démission de Jean-Noël Guerini…la question du changement du premier secrétaire de la fédération départementale du PS s’était posée au début du mois de mai 2011 dès les premières conclusions du rapport Richard.».
2 mai 2012 Jean-Noël Guerini est à son tour entendu comme témoin par les gendarmes. Il explique avoir été dans l’obligation de se séparer de Jean-David Ciot qu’il qualifie de « collaborateur hors pair » le président du CG 13 précise avoir pris une décision « ferme et définitive avant même que Jean-David Ciot ait pris sa décision d’être candidat." Le parquet de Marseille soumet ces éléments d’enquête au Service Central de Prévention de la Corruption qui conclue que les faits présentés sont susceptibles de constituer une infraction de détournement de fonds publics.
25 janvier 2013, une information judiciaire est ouverte et le juge Charles Duchaine est désigné pour conduire l’instruction
20 février 2013 le magistrat instructeur saisit 65 529,10 €, somme considérée comme indûment perçue.
5 Mars 2013, les deux parlementaires sont mis en examen :
Jean-Noël Guerini pour détournement de fonds publics. A la sortie du bureau du juge, le sénateur conteste, les faits reprochés et explique que « cette affaire concerne plus le droit social que le droit pénal ».
Jean-David Ciot pour recel de détournement de fonds publics, au terme de 2 heures d’explications dans le bureau du magistrat instructeur.
18 mars 2014 le Juge Charles Duchaine renvoie les deux hommes devant le Tribunal Correctionnel. Dans son ordonnance le magistrat argumente sa décision : »même s’ils s’en défendent, il apparaît donc que Jean-Noël Guerini et Jean-David Ciot ont voulu éviter les conséquences financières d’une démission rendue inévitable par ses choix personnels de carrière en les dissimulant sous le recours abusif à un licenciement non motivé »
Joint par téléphone Maître Dominique Mattei, l’un des avocats de Jean Noel Guérini explique : qu’il va plaider la relaxe pour son client avant d’ajouter : « l’enquête et l’information reprochent à Jean-Noël Guerini plusieurs anomalies relatives à la régularité formelle de la procédure de licenciement de Jean-David Ciot et en déduit de ces anomalies que l’objectif du Président du CG13 était de détourner des fonds publics au bénéfice de M. Ciot, postulant que Mr Guerini avait connaissance que Jean-David Ciot allait être candidat postérieurement aux élections législatives. Ce qui est démenti par les éléments du dossier. »
Guérini : d'autres affaires à venir
Le procès doit s’ouvrir ce lundi à 8h30, devant la sixième chambre du Tribunal Correctionnel de Marseille. Les deux élus encourent au maximum dix ans de prison, un million d'euros d'amende ainsi qu’une peine complémentaire d’inéligibilité pouvant aller jusqu‘à 5 ans.M. Guérini est par ailleurs poursuivi dans deux vastes dossiers de marchés publics frauduleux impliquant aussi son frère Alexandre Guérini et dans lesquels ils sont mis en examen, notamment pour association de malfaiteurs. L'un de ces deux dossiers est clos. La justice pourrait renvoyer, devant le tribunal correctionnel, les deux frères Guérini avant la fin de l'année.
Tout comprendre sur les démêlés judiciaires des frères Guérini,lisez notre dossier : Affaire(s) Guérini
(réalisation Annie Vergnenègre)