A l'horizon 2050, les stations situées en dessous de 1 800 mètres d'altitude devront fermer leurs pistes aux skieurs, faute de neige. Les Alpes du Sud, fortement touchées par le réchauffement climatique vont devoir s'adapter.
Ballet des dameuses, bain de soleil sur les sommets enneigés, ronron des télésièges... D'ici quelques dizaines d'années, nos bonnes vieilles stations de ski pourraient devenir un lointain souvenir sous les effets du réchauffement climatique. Evaporés les Plans neige lancés à la pelle dans les années 70 qui visaient à faire sortir de terre la filière sport d'hiver et son tourisme de masse. Aujourd'hui, le temps est venu pour les stations d'emprunter de nouvelles pistes pour s'adapter et le virage n'est pas si simple à aborder.
En 2021, nichée au dessus de Forcalquier, la petite station de Lure, à Saint-Etienne-les-Orgues, s'éteignait dans un souffle chaud. La doyenne des Alpes du Sud avait vu le jour dans les années 30. On y venait, skis sur l'épaule, jusqu'à ce que soit construit, avant la guerre, le premier remonte-pente.
Dans les archives de la commune, on peut trouver le témoignage d'Edmond Gaubert, l'un des créateurs de la station. "Ils s’amusaient comme des fous, sans remontées mécaniques. Trouver de la neige à 130 km de Marseille était une aubaine. Le dimanche soir, à la descente, c’était l’euphorie à Saint-Etienne."
Entre 1960 et 1975, à l'heure où les sports d'hiver se démocratisent, la montagne de Lure connait son âge d'or avec la construction de cinq nouveaux remonte-pentes, accompagnée de l'ouverture d'un restaurant et d'un petit refuge. Les visiteurs de toute la région "montent skier à Lure" et la pionnière accueille fièrement des familles, des écoliers du mercredi, des sportifs venus parfois passer le week-end ou la journée.
Mais la pente devient peu à peu glissante face au manque de neige et le déclin s'amorce à la fin des années 90. Les professionnels et les locaux assistent à une lente agonie, impuissants face aux caprices de la météo. L'enneigement perd du terrain et les caisses se vident.
Un scénario qui risque fort de se reproduire dans les trente prochaines années pour d'autres stations des Alpes du Sud. Depuis 1951, 168 stations ont stoppé leur activité en France, mais la tendance prend de la vitesse, le manque de neige s'accentue. A ce rythme, selon l'OCDE, 80 sites de moyenne montagne dans les Alpes françaises auront fermé d'ici à 2050.
Le manteau neigeux diminue
Selon Gaétan Heymes, niveaulogue à Météo France à Briançon, "on pourra encore avoir des hivers enneigés même si la tendance est à la baisse. Mais il clair que malgré la variabilité d'une année sur l'autre", liée au climat méditerranéen des Alpes du Sud, "le manteau neigeux diminue, si l'on s'en réfère aux normales saisonnières." Des normales établies avec trente années de recul, qui ne tiennent pas compte de l'accélération récente du réchauffement climatique. En matière d'enneigement, l'hiver 2021-2022 reste un record au plus bas, combinant une météo très sèche, dans un climat plus chaud, tandis que la saison 2022-2023 s'annonce sous de meilleurs auspices.
Des hivers plus courts
Une autre évolution liée au climat pose problème aux stations de moyenne montagne : les hivers raccourcissent, coincés entre une fraîcheur automnale et une douceur printanière qui s'étirent, rabotant la période d'attractivité pour les skieurs.
Par ailleurs, il faut grimper en altitude pour rencontrer l'isotherme zéro degré, le point de limite pluie-neige. En 2050, date fixée pour atteindre la neutralité carbone, il faudra quoi qu'il arrive, remonter de 300 m pour trouver de la neige sur les pistes.
"Les stations qui ont des pistes en dessous de 1 800 mètres d'altitude sont vouées à fermer et les remontées mécaniques à être démantelées parce que l'enneigement naturel sera insuffisant et les canons à neige ne réussiront pas à couvrir le manque."
Philippe Rossello, géographe au GREC-SUD
Philippe Rossello, expert coordinateur du GREC-SUD, explique que, dans les Alpes du Sud, très peu de stations se situent au dessus de 1 800 mètres : Montgenèvre, Risoul, Orcières, la Foux d'Allos et Isola 2000 seraient à l'abri d'une tempête économique. D'autres, telles que Puy-Saint-Vincent, Serre-Chevalier, les Orres, ou Vars pourraient tirer leur épingle du jeu en fonction de leur exposition au soleil, mais Pra Loup ou Réallon et Chabanon seront en grande difficulté.
L'or blanc devra changer de couleur
"Certains directeurs de station ont déjà compris qu'il va falloir s'adapter à ce futur", poursuit Philippe Rossello, "ce qui est le cas par exemple d'Ancelle qui diversifie ses activités. Mais pour y gagner, les professionnels du secteur ont tout intérêt à se concerter, pour ne pas proposer les mêmes alternatives au public et trouver un équilibre. L'or blanc va devoir changer de couleur."
Quoi qu'il en soit, l'offre de ski alpin fondra inéluctablement comme neige au soleil d'ici 2100, au risque de voir ce loisir devenir le pré-carré d'une poignée d'amateurs fortunés.