Son histoire avec le loup est ancienne, longue et sinueuse. Victime d'attaques répétées qui ont couté la vie durant l'été à huit de ses bêtes, cette éleveuse demande l'ouverture d'un dialogue "dépassionné" avec les autorités et les écologistes autour de la question sensible des prélèvements.
Elia Pergolizzi pose le cadre : "je ne veux pas en faire une histoire personnelle ". Et pourtant, depuis son enfance, sa vie a été marquée au fer rouge par la présence du loup dans ses montagnes. Aujourd'hui âgée de 35 ans, elle élève des vaches Aubrac sur l'exploitation familiale à Authon, un petit village des Alpes-de-Haute-Provence planté aux milieux de paysages de carte postale.
Dans l'envers du décor, cependant, plane l'ombre du loup, dont "la présence dans le massif des Monges est historique" dit-elle. Pour faire face à la prédation, cette éleveuse a dû s'adapter, faire évoluer ses pratiques, réaménager son exploitation, construire de nouveaux bâtiments. Mais cela n'a pourtant pas suffi à protéger son troupeau.
Au début de l'été 2024, en trois semaines, huit bêtes sont mortes à la suite d’attaques de loups répétées et de plus en plus rapprochées. "À la fin, j'ai perdu trois vaches en 24 heures, deux la veille et encore une, le lendemain, en pleine journée, alors qu'on venait juste de quitter le troupeau". La secousse émotionnelle est violente. Même si Elia Pergolizzi en a vu d'autres.
"Elle m'a broyé la cage thoracique"
La jeune femme bénéficie du statut de travailleur handicapé. "Il y a dix ans, j'ai eu une fracture cervicale, je suis miraculée". Là encore, c'est le loup qui est rendu responsable de son accident. "Le troupeau a été attaqué dans la nuit, j'ai été chargé par une vache le lendemain", raconte l'éleveuse. "À l'époque, on n'avait pas le nouveau bâtiment, les vaches étaient dans un état de stress et de panique absolue, elles se sont toutes enfuies". L'une des bêtes, qui avait son veau avec elle, est restée longtemps introuvable, se souvient Elia, mais elle a bien fini par la localiser. Sur le chemin du retour à la ferme, "arrivée sous un arbre, cette vache est devenue folle, elle m'a chargé, comme dans une corrida", raconte Elia Pergolizzi, de l'émotion dans la voix, "elle m'a broyé la cage thoracique, j'ai eu de multiples fractures, cinq côtes, la clavicule, le thorax enfoncé, des cervicales cassées. J'ai eu beaucoup, beaucoup de chance".
Oui, c'est une histoire personnelle, mais je n'en fais pas une affaire personnelle.
Elia Pergolizzi , éléveuse de bovinsFrance 3 Provence-Alpes
Ironie du sort, se souvient-elle, tandis qu'elle luttait pour sa vie à l'hôpital après une intervention en urgence à Marseille, sa meilleure amie, venue aider ses parents à la ferme, lui a rapporté que "le loup était devant chez [elle] à dix heures le lendemain".
"On était traités de menteurs"
"Une histoire longue avec le loup", présent dans le massif d'aussi loin qu'elle s'en souvienne. Quand elle était enfant, son père élevait ici même des brebis Mourérous. Au printemps 1997, l'agriculteur a perdu d'un seul coup soixante de ses bêtes, se trouvant alors contraint de rapatrier son troupeau à la bergerie et d'acheter du foin pour les nourrir en plein été. "Je l'ai vu en dépression à cause de ça, les organismes d'État disaient à l'époque que ce n'était pas le loup, il n'y avait pas d'aides, rien, on était traités de menteurs". L'éleveuse confie avoir vécu de plein fouet la détresse de son père. "Vous voyez, le loup, c'est tout un pan de notre vie".
Avec l'arrivée du loup, ce sont nos vies qui ont changé. Alors, cela demande peut-être une gestion un peu plus fine que de simples solutions bureaucratiques.
Elia Pergolizzi, éleveuse engagéeFrance 3 Provence-Alpes
L'adaptation a donc été nécessaire, mais chaque attaque de loup laisse des traces d’impact, à la fois émotionnel, psychologique et financier. Les indemnisations sont longues à obtenir, le renouvellement, d’un troupeau de vaches demande une lente sélection, comme l'explique l'agricultrice : "avec les bovins, on travaille sur du temps beaucoup plus long qu'avec les ovins, il faut tenir compte des particularités de cet élevage".
"Des anti-écolo qui exploitent la montagne"
Engagée à la Confédération paysanne, les convictions chevillées au corps, Elia Pergolizzi veut faire entendre la détresse des 200 éleveurs bovins du département. Elle n'en démord pas, il faut leur venir en aide, leur donner des moyens de se protéger du loup et arrêter de fonctionner avec des bénévoles. Et surtout "prélever. C'est la seule manière que cela s'arrête. Chez moi, dès qu'on a eu prélevé un individu, les autres ne sont pas revenus."
Il est donc urgent, dit-elle, d'ouvrir le dialogue avec les autorités et les défenseurs du loup, dans "cette histoire qui devient passionnelle". Elle affirme essayer de "comprendre la passion des écologistes qui sont prêts à attaquer des décisions en justice ", et s'estime "bien placée pour pouvoir partager [son] vécu".
Le loup est un sujet de société, comment est perçu l'animal, comment, nous, éleveurs, sommes perçus dans notre travail, il y a plein de choses à rétablir.
Elia Pergolizzi, militante Confédération paysanne du 04France 3 Provence-Alpes
"Nous venons défendre un modèle d'agriculture plus vertueux avec de l'autonomie alimentaire et des circuits courts, face à des gens qui se disent écologistes, mais qui en fait nous présentent comme des anti-écolo qui exploitent la montagne, cette incohérence me dérange".
Dépassionner et démystifier
L'agricultrice veut garder la tête froide, dépassionner le débat, démystifier l'animal, "on tue un loup, oui si nécessaire, ce n'est pas un crime terrible, il y en a plein. Les poux sur la tête, on les enlève, ça ne veut pas dire que l'on ne respecte pas le vivant".
En septembre 2023, six associations de défense de l'environnement (France Nature Environnement, Ferus, Humanité et Diversité, la Ligue pour la protection des oiseaux, l'Association de protection des animaux sauvages et le fonds WWF) avaient pourtant jugé le "Plan loup" "inacceptable", menaçant de leur retrait définitif du "groupe national loup".
Le 4 octobre dernier, la volonté du premier Michel Barnier d'augmenter la capacité de prélèvement de loups avait de nouveau fait bondir les écologistes. Pourtant, depuis ses montagnes, Elia Pergolizzi ne perd pas espoir, continue à crier au loup, bien décidée à se faire entendre.