Depuis un an, la plupart des entreprises de la Côte d'Azur est passée au télétravail. Mais comment ce changement est-il vécu par les salariés ? Les entreprises sont-elles vraiment toutes organisées pour le travail à distance ? Psychologue et télétravailleurs témoignent.
La pause-café, c'est sur le balcon. La réunion, sur la table basse du salon, en pyjama. Pour le dossier à terminer, dans le coin cuisine. Ou enfermé dans sa chambre avec un panneau "interdiction de déranger", le portable posé sur les genoux et la couette. Depuis un an, les salariés expérimentent ce nouveau mode de travail. Avec plus ou moins de bonheur.
L'ordinateur fait les aller-retours
Au gré des annonces, Cécile alterne les phases de travail dans son appartement à Nice et le travail en présentiel au Bureau d'Information Jeunesse, situé à quelques pas de chez elle. A chaque changement, son ordinateur fait aussi les aller-retours. Depuis la semaine dernière, tout le monde applique les préconisations du Premier ministre, Jean Castex : un jour au bureau et 4 jours en télétravail. "Il faudrait que j’ai le même ordinateur au bureau et chez moi pour pouvoir faire les montages vidéo. Mais ma collègue n’a pas les mêmes problèmes, elle n'a pas besoin de tous les logiciels.
A l'époque du Covid, chaque employé a une problématique différente. "On a repris en présentiel mi-janvier, puis je me suis arrêtée après avoir eu le Covid. J’ai été contaminée au bureau, on s’est tous mis en isolement le temps de se faire tester. J’ai télétravaillé le temps d’avoir mon résultat. Et j'ai pu faire une reprise en douceur le 8 mars."
"Garder le contact"
Mais comme les impôts, trop de télétravail, ça tue le télétravail ! "C'est bien de pouvoir revoir nos collègues et parler des projets pour qu’ils avancent. Il faut aussi qu’on accompagne les volontaires en service civique. C’est important de garder le contact", explique Cécile, heureuse de pouvoir marcher jusqu'à son travail. Actuellement, les entretiens avec les jeunes se déroulent en ligne pour limiter les risques de contamination.
Sans surprise, selon une étude européenne (en anglais) de mai 2020, les pays du nord comme les Pays-Bas, la Finlande et la Suède pratiquent davantage le télétravail que la France. Mais le 'telework' progresse. Depuis un an, chacun a dû revoir son organisation personnelle ou professionnelle et s'adapter en permanence.
Tous les postes ne sont pas 'télétravaillables'
"Dans l'ensemble, les entreprises de Sophia-Antipolis se sont vite adaptées", reconnaît Etienne Delhaye, directeur du club d'entreprises de Sophia qui regroupe 170 entreprises, soit 25.000 emplois (environ 60% des entreprises de Sophia). "En général, les métiers sont assez compatibles avec le télétravail ; ça a été déployé assez rapidement. Même si les "start and go" successifs n'ont pas rendu les choses faciles !"
Avec un bémol, tout le secteur de Recherche et Développement comme le travail en laboratoire qui nécessite des expérimentations. Car certains postes scientifiques ne sont pas vraiment 'télétravaillables'. Sans parler des restaurants et des bars qui vivaient du passage des salariés de Sophia. "La vraie nouveauté, c'est l'expérimentation de cette ampleur et dans la durée", explique le directeur du club d'entreprises. Avec toujours cette interrogation en ligne de mire : quand aura lieu la sortie de crise ? En juillet, en septembre ou en décembre ?
Risque de déconnexion
Le directeur s'interroge : "d'accord, le télétravail c'est possible mais est-ce que c'est souhaitable ? Aujourd'hui, il y a des personnels qui en ont marre parce qu'avec le télétravail intégral, toute la dimension sociale disparaît, ça a des impacts sur l'innovation, le travail en équipe et la coordination. Dans la vie de tous les jours, ça peut être usant."
Selon lui, le risque à plus long terme, c'est la déconnexion de l'entreprise :"Si vous n'y êtes plus du tout, que vous avancez seul de chez vous, avec votre ordinateur... la vie, la culture, les projets d'entreprise, il y a une déconnexion lente et progressive qui risque de se mettre en place."
Forme de lassitude
L'absence de conversations informelles empêcherait aussi les bonnes idées, la créativité qui pouvaient se déclencher devant la machine à café ou en croisant un collègue dans un couloir. "Zoom d'accord, mais c'est quand même plus difficile à tenir en distanciel", ajoute-t-il. Pourtant, le télétravail serait gage de productivité pour certaines entreprises.
Il remarque qu'une forme de lassitude s'installe depuis mars 2020. Selon lui, il est même possible que cet épisode ralentisse le télétravail :"certains ont subi un excès de télétravail. Ils vont avoir besoin de retrouver des relations sociales au sein de l'entreprise."
Visio, webinaires ou web TV
Concrètement, Etienne Delhaye a dû organiser des événements inter-entreprises autrement, en visio, avec des webinaires ou via une web TV. Il a fallu s'emparer de ces sujets pour aider les entreprises à aborder cette crise sanitaire.
Il préfère le vrai contact, en présentiel mais il reconnaît : "on est bien obligés de reconnaître qu'en distanciel vous augmentez votre audience. Même si c'est plus facile de faire intervenir un scientifique de Californie par internet que de le faire voyager 3 jours pour une conférence d'1h30. C'est plus simple, c'est plus fluide, ça coûte moins cher et côté audience, c'est pareil."
Le grand désenchantement ?
"Depuis un an, ce n'est pas un télétravail classique, choisi, que nous vivons, mais subi.""On va devenir fous avec ce mode de vie !" Dans un récent sondage Odoxa, 74% des télétravailleurs confient leur besoin de retourner travailler physiquement, au moins de temps en temps. Message en partie reçu par l'exécutif avec un jour par semaine en présentiel.
"Monotonie des tâches"
Face à l'épidémie, le gouvernement multiplie les appels à intensifier le télétravail. Au moins 52 mises en demeure ont été prononcées par l'Inspection du travail depuis octobre. "Il y a un gros désenchantement", estime Christophe Nguyen, du cabinet Empreinte humaine, spécialisé dans les risques psycho-sociaux. "Télétravailler à 100%, même 4 jours sur 5, ça pèse dans le temps sur la santé mentale, sur le sens de ce qu'on fait, sur la monotonie de ses tâches", dit-il. Désormais plus d'un tiers des télétravailleurs "saturent", et "le plus grand désenchantement est pour les managers", avance-t-il.
Epuisement et perte de sens
Lors d'une table ronde à l'Assemblée nationale, les syndicats ont mis en avant une situation qui au bout d'un an devient "très inquiétante", citant parmi les "difficultés qui pointent" l'intensification du travail et la perte du lien social. "On voit des détresses psychologiques, des risques psychosociaux importants, de l'épuisement, de la perte de sens et aussi des problématiques au niveau de l'organisation du travail", a souligné Béatrice Clicq (FO), devant la commission des Affaires sociales.
Hamster dans sa cage
Mais quels sont les effets psychologiques du travail à la maison ? Au début, cela permettait de remettre les choses en ordre. Mais le re-confinement, le couvre-feu à 18h... puis à 19h... avec ou sans attestation. De quoi se comparer au hamster dans sa cage. Qui mange et qui travaille. Un peu déboussolé le hamster aussi !
Burn-out
Pour Karine Cavalieri, psycholoque à Nice et à Sophia-Antipolis, le télétravail ce n'est pas forcément un problème, il y a plutôt des effets positifs. Dans sa patientèle, la souffrance au travail représente près de la moitié des motifs de consultation. « Je reçois beaucoup de personnes en burn-out donc évidemment le télétravail va être bénéfique, lorsque les conditions de travail à domicile sont favorables. »
"Des angoisses profondes"
En enlevant l’environnement professionnel toxique, l'état mental s'améliore. En revanche, "pour d’autres personnes, pour qui le travail est le seul lieu de sociabilisation, le télétravail va les isoler encore plus, augmenter leur stress. D'autant plus si la vie familiale est peu épanouissante. A l'inverse, pour les personnes surchargées cela permet de mieux s'organiser. Pour les hyper-sensibles ou les introverties qui souffrent au travail, cela permet de se mettre en repli. Pour les personnes qui souffrent de harcèlement, c’est même salvateur."
La psychologue précise que le cas des jeunes est différent. Si une bonne partie s’accommode du travail à distance, "il reste quand même la rupture de lien social et l'impossibilité de se projeter". C’est compliqué de se construire quand l'avenir est aussi incertain :"ça révèle des angoisses profondes pour certains jeunes."
Dans cette vidéo postée par Brut, on vous donne 3 conseils pour télétravailler dans de bonnes conditions :
3 conseils pour mieux vivre son télétravail.
— Brut FR (@brutofficiel) March 22, 2021
Avec @coorpacademy pic.twitter.com/bH5HvfPBQD
"Cette flexibilité, c’est super !"
Pour Bernard, ingénieur dans les télécommunications depuis près de 40 ans, cette expérience est "globalement très positive s’il y a le bon contexte à la maison, si les enfants sont scolarisés." Salarié sur le site de Sophia-Antipolis qui regroupe 350 personnes, il ne perd plus 30 à 45 minutes dans les embouteillages du matin. Un rituel dont se passent assez facilement tous les salariés.
« J’aime bien la flexibilité de ne pas être scotché au bureau de faire un call dans un autre endroit. Cette flexibilité, c’est super ! ». De son bureau, il a vu sur la mer Méditerranée. Parfois, le chant des mouettes s'invite dans les conférences pour le plus grand plaisir des participants ! Il peut aussi télétravailler sur la terrasse du jardin. Un cadre de travail paradisiaque... Il le reconnaît volontiers.
Un ‘call’ avec 10 personnes
Après les annonces de Jean Castex, il a reçu un mail de son service RH disant que ces mesures allaient être prolongées. » Il constate que l'exception est devenue la norme. "Au début, il fallait toutes les semaines demander l'autorisation pour pouvoir télétravailler et préciser où l'on allait. Maintenant, on ne nous demande plus rien".
D'après lui, le temps de travail est respecté : "c’est devenu très libre, et on travaille très bien." "Aujourd’hui, j’ai eu un ‘call’ on était 10 personnes en même temps. Puis, j'ai eu une réunion en interne à 3 avec Antibes, Delhi en Inde et l’île Maurice. On a trois outils qui fonctionnent bien : Teams, Webex et Coopnet. C’est très rapide et on est en réunion avec tout le monde. Ça marche très bien !", s'exclame-t-il.
70% des salariés très satisfaits du télétravail
Mais dans cette entreprise, les conférences à distance étaient installées depuis longtemps. Avec une constante : "jamais de visio-conférence, que de l’audio-conférence. On n’a pas la place pour la visioconférence car on a besoin de l’écran pour partager des documents. C’est très important d’avoir des supports visuels. On voit seulement la photo des participants. On ne voit pas la personne en live car ça ne sert à rien, ça perturbe plus qu’autre chose."
Dans un sondage interne, 70% des salariés se disaient très satisfaits du télétravail. Il constate néanmoins qu'un collègue célibataire qui habite dans un appartement à Antibes, ne vit pas le télétravail de la même façon : "il se sent très seul, le bureau lui manque. C’était un facteur social important pour lui." Le télétravail a ses limites.
Connecté 24h/24
Mais il constate que ses collègues sont ponctuels et professionnels. Lui, se sent même plus productif : "Je peux me connecter plus tôt car je n’ai pas de temps de trajet. Il y a un mois, j’ai travaillé jusqu’à minuit. Avant, je quittais le bureau et je ne me reconnectais pas. Là, je reste connecté 24h/24. Et comme l’entreprise est présente dans 200 pays, il y a toujours quelqu’un qui voit que tu es online."
Il n'a pas demandé d'indemnités à l'entreprise car il trouve qu'il a gagné en qualité de vie. L’ordinateur portable est prêté par l’entreprise. Lors du premier confinement, Orange a payé des écrans aux salariés. Ensuite, les salariés ont pu emporter les écrans chez eux.
Des jours différents
Et dans l’avenir ? "C’est le grand point d’interrogation, poursuit l'ingénieur, "on ne va pas totalement revenir à 100% en présentiel." Avant les annonces du Premier ministre, il pouvait choisir 2 jours par semaine au travail et 3 jours à la maison. N'importe quel jour... Mais comme tout le monde avait pris des jours différents, c'était désert, on avait l’impression qu’il n’y avait personne dans l'entreprise..." Actuellement, le site est fermé. Il faut faire une demande pour aller à son bureau et avoir une raison valable. C'est le monde à l'envers !