Le cadavre d'un cachalot a dû être éloigné des côtes d'Antibes, mercredi 28 août, pour éviter qu'il s'échoue, ou entre en collision avec un bâteau. Une opération très spéciale, qui permettra d'enrichir la science sur les dix prochaines années.
Si un rorqual ou un cachalot s'échouait sur une plage, on en ferait quoi ? En France, seul le centre d'équarrissage de Vichy permet d'incinérer d'aussi gros animaux en toute sécurité.
Alors, quand la préfecture maritime de la Méditerrannée apprend, mardi 27 août 2024, que le cadavre d'un cachalot d'environ 10 mètres flotte au large d'Antibes, c'est la sueur froide collective.
Éviter l'échouement ou les collisions en mer
"On aurait dû fermer des plages, faire transporter la carcasse, sans parler de l'odeur nauséabonde qui se sent à une centaine de mètres" explique Alain Barcelo, scientifique et référent du milieu marin et Pelagos pour le parc national Port-Cros. Au-delà d'un coût financier important, la crainte était à la fois sécuritaire et sanitaire.
Le cadavre du cachalot était dans les eaux territoriales françaises. Les embarcations qui y circulent sont parfois petites, et pas forcément dotées de matériel suffisamment précis pour repérer l'animal. Une collision avec la bête aurait pu causer un accident. Quand à l'échouement, le cadavre en décomposition du cachalot aurait pu causer la transmission de bactéries à l'homme.
Il fallait alors se saisir du problème, et vite. Les équipes de la Marine sont alors appelées pour d'abord tenter de faire couler l'animal. "En général, c'est la direction que prennent les cétacés morts, mais parfois, il reste des gaz coincés à l'intérieur d'eux, ce qui les fait flotter" précise Alain Barcelo. Chaque année, entre 70 et 80 animaux marins s'échouent en France. Rarement de la taille de ce cachalot
Plan A : Tenter de couler le cachalot, une première en France
Plan A : couler le cachalot. "C'est une première en France" souligne Alain Barcelo. Depuis huit ans, l'hexagone est équipé de deux kits prévus spécialement pour ce genre de situation. L'un est conservé dans les Alpes-Maritimes. Il est nommé "immercet", une contraction d'immerger, et cétacé.
Une technique développée aux Etats-Unis et arrivée jusqu'en France pour permettre aux carcasses de retrouver leur destination naturelle : le fond de l'eau.
C'est alors que les plongeurs de la Marine Nationale sont intervenus, en partant de Toulon, dans le Var. Le Lieutenant de vaisseau Louis explique "l'objectif était de le faire couler à 7 nœuds nautiques de distance de la côte".
Les militaires, équipés d'une surcombinaison blanche, d'un masque se sont approchés du gigantesque cadavre. "On pouvait le sentir à une centaine de mètres" précise le scientifique Alain Barcelo. Pour tenter de supporter l'odeur de putréfaction "les plongeurs s'étaient embaumés d'huiles essentielles". C'est tout de même dans une odeur difficilement supportable qu'ils ont encerclé le cachalot pendant une dizaine d'heures.
Munis de pas moins de "sept tonnes de blocs de calcaires", détaille Alain Barcelo, les professionnels harnachent le tout au cétacé pour qu'il coule. Mais voilà, une partie de l'équipement lâche.
Plan B : pousser la carcasse pour la laisser couler
Il faut alors passer au plan B. La carcasse est remorquée jusque dans les eaux internationales "là où il n'y a plus de petites embarcations qui naviguent" explique le Lieutenant de vaisseau Louis.
Le cachalot est alors à environ 12 nœuds nautiques. Seuls des gros bateaux peuvent y être confrontés, ils sont équipés pour le repérer.
Parce qu'il n'a pas été laissé seul. Avant de repartir, les militaires lui ont attaché une bouée. Elle est géolocalisable, mais aussi lumineuse, pour éviter tout accident.
Ce n'est pas son seul intérêt, précise Alain Barcelo "à un moment, le cadavre va couler. Il y a 3 000 mètres de fils qui peuvent se dérouler, une fois que le cachalot touchera le sol, la balise sera donc immobile".
10 mètres de carcasse à étudier
Ce sera, pour les scientifiques, le top départ de l'observation "c'est la première fois que nous pourrons étudier une carcasse de cette manière". Il faut dire qu'une fois mort, le cachalot devient "un restaurant pour les autres animaux".
Grignoté petit à petit, il permettra sans doute "de découvrir de nouvelles espèces marines que nous ne connaissons pour l'instant pas" s'enthousiasme le scientifique.
Des découvertes scientifiques à venir
Une aventure encourageante pour le Pelagos, sanctuaire qui relie Monaco, la France et l'Italie. L'accord permet aux trois pays de s'unir pour la protection des mammifères marins, dans un bassin qui s'étend de l'est de Toulon à la Sadaigne. L'observation pourrait durer une dizaine d'années au total.
Pour l'instant, personne ne peut prévoir pendant combien de temps le cachalot mort va continuer de flotter avant de couler "puisque c'est la première fois que nous procédons de cette manière".
Cela devrait cependant se limiter à quelques semaines. Lors de leur intervention, les plongeurs ont remarqué la présence de requins. Les prédateurs vont commencer à manger la carcasse. La chaleur de l'eau et le soleil estival devraient eux aussi aider le processus. Cachalot ne le sait sans doute pas, mais il a finalement livré son corps à la science.