L'accusation a décrit jeudi 15 juin aux assises de Paris les membres présumés de la filière jihadiste de Cannes-Torcy comme soudés par "un fanatisme criminel" qui trouvera son aboutissement dans un attentat contre une épicerie casher de Sarcelles en 2012.
"Le fanatisme est un monstre qui ose se dire le fils de la religion": l'avocat général Philippe Courroye a débuté son réquisitoire en citant Voltaire. Il a rappelé le contexte brûlant de ce premier grand procès de jihadistes devant une cour d'assises spéciale en France, celui d'une menace permanente en Europe où quatre attentats ont été commis depuis le début des débats en avril.
"Ici ne se tient évidemment pas le procès d'une religion, a-t-il dit. C'est celui d'un fanatisme criminel qui s'appuie sur un dévoiement de la religion", celui d'hommes "unis dans une même folie terroriste" qui "portent le jihad armé au sein de l'hexagone et aussi en dehors de nos frontières".
Vingt hommes, âgés de 23 à 33 ans, doivent répondre d'un attentat contre une épicerie casher de Sarcelles le 19 septembre 2012, et aussi de projets d'attaques, notamment contre des militaires dans le sud de la France, et de départs en Syrie. Dix comparaissent détenus, sept sont libres, trois sont en fuite. La plupart encourent entre 20 ans de réclusion criminelle et la perpétuité.
Pendant quatre heures, Philippe Courroye s'est attaché à dresser le portrait d'une filière redoutable, fruit du rassemblement de deux groupes : les "frères" de Cannes, sous les ordres d'un chef violent et antisémite, Jérémie Louis-Sidney, et ceux de Torcy (Seine-et-Marne), autour du lieutenant du chef, Jérémy Bailly.
Issus de familles aisées ou ouvrières, originaires d'Algérie, du Laos, des régions parisienne ou cannoise, "plus de la moitié sont convertis", ils ont en commun de "très faibles connaissances" de l'islam qui vont expliquer qu'ils versent "avec autant de fougue dans le terrorisme".
Le magistrat relève "des parents pas assez cadrants ou peu présents": "Ce cadre, ils l'ont trouvé dans la pratique d'un islam rigoureux". S'attachant au groupe de franciliens, il souligne le rôle de la mosquée de Torcy où "on se convertit comme on 'like' sur internet, en un éclair". La mosquée a été fermée le 10 avril pour incitation au jihad.
Pour l'accusation, le voyage en camping-car de "frères de Torcy" à Cannes en juillet 2012, qui "permet la rencontre entre les deux groupes", est un "temps fort": "c'est un voyage d'incubation, où l'on a des armes, on effectue des repérages, on prépare des explosifs et on vole des voitures".
Ce séjour annonce le premier "passage à l'acte", le 19 septembre à Sarcelles: ce jour-là, deux hommes, capuche sur la tête, entrent dans l'épicerie casher Naouri et jettent une grenade, ne faisant miraculeusement qu'un blessé.
Une empreinte sur la cuillère de la grenade permet de remonter à Jérémie Louis-Sidney, l'"émir du groupe" qui sera tué lors de son interpellation, et à ses proches, dont Jérémy Bailly.
Ce "fidèle" a reconnu son engagement jihadiste, sa volonté, "à l'époque", de "fabriquer des bombes pour tuer des mécréants". En revanche, il a toujours nié sa participation à l'attentat alors qu'il a été dénoncé comme le lanceur de la grenade par un co-accusé, Kevin Phan, qui a lui-même reconnu avoir été le chauffeur.
Pour l'avocat général, la culpabilité de Bailly, et celle de Phan comme complice, ne fait aucun doute. De même que l'implication des autres accusés dans "tous les projets" du groupe. Le réquisitoire se poursuivra vendredi, avant les plaidoiries de la défense.