Le groupe Thales a annoncé ce mardi qu'il allait redéployer au sein du groupe 1.300 postes, dont 1.000 en France, sur les 8.600 salariés de sa branche spatiale Thales Alenia Space. Le site de Cannes est concerné.
Bien que porté par la défense, l'aéronautique civile ou encore la sécurité numérique, le groupe Thales dit avoir connu une "nouvelle année record" avec plus de 2 milliards d’euros de bénéfices en 2023. Mais cela n'a pas empêché la direction d'annoncer, mardi 5 mars, qu'elle va supprimer et redéployer au sein du groupe 1.300 postes, dont 1.000 en France, sur les 8.600 salariés de sa branche spatiale Thales Alenia Space. Sur l'antenne azuréenne de Cannes, 500 emplois seraient concernés par une délocalisation.
De la réduction du marché des satellites à la restructuration à Thales
Les fabricants historiques comme Airbus et Thales sont confrontés à l'essor de nouveaux acteurs qui déploient des satellites et des constellations à moindre coût en orbite basse. Ainsi Thales Alenia Space et Airbus sont fragilisés par leur marché historique des satellites géostationnaires de communications, affaiblis par les difficultés de développement de nouveaux modèles et l'assèchement du marché par l'ogre SpaceX.
Le marché des satellites géostationnaires était à une vingtaine de satellites par an dans un passé récent, aujourd'hui il se stabilise à une dizaine de satellites géostationnaires par an (...) il faut s'adapter.
Patrice Caine, PDG du groupe Thales.AFP
"La principale explication, c'est la réduction du marché des satellites géostationnaires qui en moyenne, était à une vingtaine de satellites par an dans un passé récent et qui se stabilise aujourd'hui à une dizaine de satellites géostationnaires par an (...) donc il faut s'adapter", a expliqué, à l'AFP, Patrice Caine, le président-directeur général du groupe Thales depuis le 23 décembre 2014.
Zéro départ contraint selon la direction de Thales
Selon nos confrères de l'AFP, il y aurait zéro départ contraint, a affirmé le PDG Patrice Caine lors d'une conférence téléphonique en présentant les résultats annuels du groupe de technologies et de défense, mettant en avant le besoin de "ne pas perdre nos compétences".
Il y aura zéro départ contraint, ce sont des gens qui vont continuer de travailler pour Thales, simplement sur d'autres activités.
Patrice Caine , le PDG de Thales
Le personnel du site de Thalès à Cannes très mobilisé
Selon la direction, les 500 emplois de Cannes seraient redéployés au sein du groupe et il n'y aurait pas de suppression de postes.
Une annonce qui a déclenché la colère des 4 organisations syndicales réunies, ce matin en assemblée générale au siège de l'entreprise. Dans la cour de Thalès, du boulevard du Midi à Cannes Mandelieu, quelque 350 salariés étaient plongés dans l'incompréhension et l'angoisse.
D'après Eric Pailharey de l'intersyndicale Thales-Cannes FO /Cfdt /CGT/CFE CGC "la direction propose des postes dans d’autres services d'ici à quelques mois sur d'autres sites en France ou en Italie. On parle de gens qui vont devoir probablement quitter la région. Ça va avoir un impact très sérieux. Tout le monde ne pourra pas rester à Cannes".
C'est un jour de honte pour notre haut management. Un jour de colère pour nous salariés.
Intersyndicale de T.A.S. (Thales Alenia Space)
Par ailleurs, le syndicat Force Ouvrière de la métallurgie dénonce "le manque de stratégie et de vision de la direction de Thales Alenia Space qui a conduit à cette situation et déplore son manque de remise en question, alors que le marché du spatial est en pleine mutation".
Selon Benoit Lepeix, intersyndicale Thales-Cannes Cfdt /FO/CGT/CFE CGC : "les employés sont surpris car en ce moment, ils croulent sous le travail. D'ici à la fin 2026, les salariés de Cannes doivent sortir le nouveau satellite "Space Inspire" et en produire six, qui sont d’ores et déjà vendus" et d'ajouter : "cela met en péril l'ensemble des programmes en production et met en stresse l'ensemble des salariés qui va devoir pallier le manque de main-d’œuvre engendrée par la délocalisation des 500 salariés".
L'intersyndicale, qui représente quelque 1 800 salariés sur le site, envisage désormais une grève dans les prochains jours et demande à être reçue par les députés de la région. Un rendez-vous a déjà été pris avec David Lisnard, le maire de Cannes, pour le vendredi 22 mars.
Thales Alenia Space
Thales Alenia Space, coentreprise avec le groupe italien Leonardo dont Thales détient les deux tiers, emploie actuellement 8.600 personnes, principalement en France et en Italie.
Si l'activité spatiale bénéficie de perspectives de croissance favorable dans l'essentiel de ses activités, selon les spécialistes du marché, notamment en ce qui concerne l'observation de la Terre, l'exploration et la navigation ainsi que les télécommunications militaires et les services, la situation est plus compliquée pour les télécoms civiles. Une activité qui représente environ 700 millions d'euros, soit un tiers du chiffre d'affaires de Thales Alenia Space.
Mais depuis 2020, la constellation Starlink est arrivée et a attaqué ce marché qui devait être le relais de croissance pour le géostationnaire.
Le trublion SpaceX
Avec ses quelque 4.700 satellites actuellement en orbite à quelques centaines de kilomètres d'altitude et produits en interne, la constellation de SpaceX et de son patron Elon Musk a siphonné les revenus des opérateurs de satellites géostationnaires, réduisant ainsi les commandes pour des satellites supplémentaires auprès d'Airbus et de Thales notamment. Et l'arrivée prochaine de la constellation Kuiper d'Amazon ne devrait pas arranger les choses.
Les principaux acteurs du marché de l'activité spatiale
Quand on parle d'industrie spatiale, trois grands groupes se partagent le marché : Airbus, Maxar et Thales.
En 2023, Airbus en a vendu deux satellites géostrationnaires, Maxar un et Thales, zéro.
Les clients traditionnels d'Airbus et Thales sont les principaux opérateurs de satellites géostationnaires tels les américains Viasat, Hugues Networks, Intelsat, et les européens Eutelsat et SES.
Après avoir fourni la télévision par satellite, ils ont, à l'heure de la fibre et de l'ADSL qui ont cassé leur modèle économique, cherché à se développer dans l'accès internet par satellite.
On enregistre une baisse sur le segment commercial pour l'industrie spatiale européenne depuis 2017. Elle est tendancielle et ça s'accélère
Pierre Lionnet/Groupe ThalesAFP
Airbus aussi !
Il y a deux semaines, l'autre géant européen des satellites, Airbus, annonçait avoir inscrit dans ses comptes une charge de 600 millions d'euros pour son activité spatiale. Cette branche représente environ 2 milliards de chiffre d'affaires, à peu près autant que Thales Alenia Space. "La filière satellitaire française aujourd'hui souffre beaucoup", confiait en janvier Jean-Marc Astorg, le directeur de la stratégie au sein du Cnes, l'agence spatiale française.
La filière satellitaire française aujourd'hui souffre beaucoup.
Jean-Marc Astorg, le directeur de la stratégie au sein du Cnes, l'agence spatiale française.AFP
"Le secteur des satellites est sous pression et aussi dans un moment de très forte concurrence avec les grands concurrents systémiques et des nouveaux arrivants", affirmait de son côté le président du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas), Guillaume Faury, également patron d'Airbus, en présentant ses vœux à la presse.
Des espoirs pour demain ?
Le patron de Thales place toutefois ses espoirs dans le projet de future constellation européenne de communication Iris2, dont le contrat à un consortium incluant Thales doit être prochainement notifié, ainsi que d'autres projets de constellations "en discussions", a-t-il évoqué, sans plus de précisions.
"Le redéploiement se fera sur les années 2024 et 2025 en concertation avec les instances représentatives des salariés", selon Thales.
Thales et Airbus ont lancé une nouvelle gamme de satellites dits reconfigurables en orbite, Space Inspire et OneSat, mais tous deux reconnaissent des difficultés de développement, donc des retards et des surcoûts qui pèsent sur les finances.
Une alliance Airbus/Thales pour Iris2
Face à cela, Airbus et Thales cherchent tous deux à se positionner sur le marché des constellations, notamment la future constellation européenne de communication Iris2, dont le contrat à un consortium incluant les deux entreprises doit être prochainement notifié.