Un homme retrouvé 4 ans après sa mort chez lui à Cannes : comment éviter que les personnes isolées ne meurent seules ?

Dimanche 29 janvier, le corps d'un homme d'une soixantaine d'années a été découvert à son domicile par le propriétaire de l'appartement à Cannes dans les Alpes-Maritimes. D'après les premières constatations, cet homme pourrait être mort depuis février 2019. Cela révèle un problème autour des personnes isolées : comment quelqu'un peut-il mourir sans que personne ne le sache ?

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Ils sont plus de 7 millions en France. Les personnes en situation d'isolement représentent 11% de la population d'après l'étude annuelle sur les solitudes menée par la Fondation de France. Les personnes isolées sont celles qui vivent sans lien social avec une famille, des amis ou des collègues, parfois sans emploi et dans une situation précaire. Ces situations peuvent mener au pire.

A Cannes, un homme incontestablement isolé a été retrouvé mort à son domicile dimanche 29 janvier, a révélé Nice-Matin. Alors que le propriétaire de l'appartement que cet homme occupait ne recevait plus de loyer depuis six mois, il a décidé de se rendre sur place. Le propriétaire a alors découvert le corps du locataire décédé. Les constatations des secours ont révélé que l'homme serait mort depuis plusieurs années.

"Dans le logement, les dernières traces de vie remontent en effet au mois de février 2019", précise le journal.

Phénomène dramatique

L'association Petits frères des pauvres, qui lutte contre l'isolement et la solitude, a révélé le 16 janvier dernier qu'en 2022, au moins 14 personnes avaient été retrouvées mortes chez elles plusieurs semaines, mois voire années après leur décès. "Dans la plupart des cas, il s’agissait de personnes âgées qui n’étaient pas ou peu identifiées par les services sociaux, de personnes en rupture qui pouvaient refuser de l’aide, avec des parcours de vie complexes semés d’embûches et de fragilités", détaille le communiqué. Il ne s'agit là que des cas qui ont été médiatisés. L'association souhaite alerter sur ce phénomène dramatique. 

"Bien qu'on sache que ce nombre est en dessous de la réalité, car il ne parle que des cas qui sont apparus dans les médias, on s'est dit qu'il était intéressant de dresser un bilan pour l'année 2022 pour alerter le grand public et les pouvoirs publics", explique Meryl Le Breton de l'association Petits frères des pauvres. En 2023, l'association a déjà recensé quatre cas de morts solitaires.

Le but n'est pas de culpabiliser les familles ou les voisins. C'est simplement pour sensibiliser les citoyens à ce phénomène pour leur dire qu'ils peuvent changer les choses. Il suffit de pas grand chose pour aider les personnes à rompre leur isolement.

Meryl Le Breton de l'association Petits frères des pauvres.

Pour éviter que ces situations ne se produisent, le Japon dispose d'un système d'alerte qui constitue à mettre en lien les municipalités avec les distributeurs d'eau et d'électricité. "Les municipalités sont averties lorsqu'il y a une anomalie dans la consommation", détaille Meryl Le Breton. Ce système d'alerte n'existe pas en France mais l'association Petits frères des pauvres y voit une bonne façon d'éviter que les cas de morts solitaires soient décelés rapidement. 

En attendant que de telles choses soient mises en place, l'association a mis à disposition un "Kit de chasseur de solitude". C'est un document qui "permet d'approcher une personne âgée que l'on sait isolée (en mettant une affichette dans son immeuble, en proposant un jeu de cartes...). Ce sont des prétextes à la rencontre pour aider les gens à aller à la rencontre des personnes âgées".

Meryl Le Breton précise qu'il existe des différences territoriales concernant les personnes isolées. La région Provence-Alpes-Côte-d'Azur "fait partie, avec l'Île-de-France, des régions où il y a le moins d'isolement. A contrario, la région Centre-Val-de-Loire est très touchée pÀr l'isolement".

A Cannes, le CCAS œuvre pour combattre l'isolement des personnes

"C'est sordide et assez inhabituel", s'accorde à dire Dominique Aude-Lasset, directrice générale adjointe à la mairie de Cannes. Elle espère "sinon expliquer, du moins comprendre" comment cette situation a pu en arriver là. 

À Cannes, "le CCAS (Centre Communal d'actions sociales) est à la manœuvre pour tout ce qui concerne l'isolement des personnes âgées et handicapées, quelque soit leur âge", explique-t-elle. 180 agents travaillent au CCAS. Certains sont chargés de réceptionner les signalements de personnes isolées et de mettre en place des dispositifs adaptés à chacun afin de prévenir un isolement trop important.

"Nous recevons beaucoup d'appels en mairie pour signaler ces situations, détaille la directrice générale adjointe. Ce sont des familles qui sont loin, des médecins ou infirmières, des assistantes sociales, des commerçants de quartier ou des voisins qui s'inquiètent." 

Le rôle du CCAS est de proposer à ces personnes plusieurs façons de sortir de cet isolement qui peut devenir néfaste pour leur santé mentale et physique. Les agents de CCAS informent les personnes sur les activités du club Seniors, par exemple, ou sur les associations sportives et culturelles qui existent sur le territoire. Un accompagnement psychologique peut également être proposé. 

Le but est de trouver quelque chose qui reste dans l'intérêt des personnes. Si elles préfèrent qu'on vienne leur rendre visite ou qu'on les appelle au téléphone, c'est aussi une chose que peut faire le CCAS ou les associations avec qui les agents travaillent main dans la main.

Dominique Aude-Lasset, directrice générale adjointe de la ville de Cannes

"Il y aura toujours des personnes qui passeront sous les radars"

Parmi les nombreuses associations qui participent à lutter contre l'isolement à Cannes, la société Saint-Vincent de Paul, située rue Notre-Dame, fait partie des plus anciennes. Elle est installée dans la ville depuis 1955 ! Bien qu'elle soit spécialisée dans la distribution alimentaire, Jean-Claude Gastaud, président de la conférence cannoise, est convaincu que cette association participe également à lutter contre l'isolement des personnes en grande précarité. 

"Nous aidons des personnes de tout âge et de nationalités différentes, détaille-t-il. Certains ne sont que de passage mais il y a aussi des personnes que l'on voit régulièrement. Ce n'est pas notre rôle mais parfois, je tente de les appeler si je ne les vois plus pendant un moment."

Il raconte l'histoire d'une personne qui venait régulièrement jusqu'à il y a un mois environ. Alors que cette dame âgée ne se rendait plus à la société Saint-Vincent-de-Paul, Jean-Claude Gastaud est allé lui rendre visite. Il a alors découvert que sa santé s'était beaucoup dégradée et a appelé les secours pour qu'ils l'amènent à l'hôpital. Cette dame y est décédée. "Ce qui est important c'est qu'elle n'était pas seule dans la mort", déclare Jean-Claude Gastaud.

Il raconte le pincement au cœur qu'il ressent quand son association se rend à un enterrement d'une des personnes qui avaient besoin d'eux et qu'il constate qu'il n'y a qu'une ou deux autres personnes présentes ce jour-là.

Mais malgré les efforts de chacun des acteurs sociaux, Jean-Claude Gastaud est persuadé qu'il y aura toujours des "personnes qui passeront sous les radars" quand il s'agit de "déceler la solitude à domicile". Dominique Aude-Lasset, directrice générale adjointe à la mairie de Cannes, fait le même constat : "On aura beau avoir un dispositif et un maillage du territoire très développé, il y aura toujours des personnes dont on n'aura pas connaissance."

Concernant la personne retrouvée décédée à son domicile cannois par son propriétaire, Jean-Claude Gastaud se désole :

Ça aurait très bien pu être une personne qu'on sert et qu'on ne voit plus. On a une population tellement aléatoire. Certains viennent une fois, d'autres sont de passage, partis en Ehpad ou décédés. Je n'ai pas de moyen de téléphoner à toutes les personnes qui ne viennent plus mais je le fais de temps en temps.

Jean-Claude Gastaud

Mercredi 1er février, 45 personnes sont venues chercher un panier de nourriture à la conférence cannoise de Saint-Vincent-de-Paul. Jean-Claude Gastaud sourit à l'idée que ce jour-là, malgré le froid et les difficultés de la vie, ces 45 personnes ont pu parler à d'autres personnes.

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