Les images choc de l'effondrement du pont de Gênes, qui a tué 43 personnes, ont fait le tour du monde. Quatre ans plus tard, un procès hors-norme impliquant 59 prévenus s'ouvre ce jeudi dans cette ville portuaire italienne pour en déterminer les responsabilités.

Le 14 août 2018, sous une pluie battante, le pont autoroutier Morandi, un axe essentiel pour les trajets locaux et le trafic entre l'Italie et la France, s'écroule, précipitant dans le vide des dizaines de véhicules et leurs passagers.

Cette tragédie a jeté une lumière crue sur le piètre état des infrastructures de transport en Italie et le rôle trouble de la société Autostrade per l'Italia (Aspi), accusée de ne pas avoir entretenu l'ouvrage d'art pour faire des économies sur le dos de la sécurité.

Le pont Morandi était une bombe à retardement. Vous pouviez entendre le tic-tac, mais vous ne saviez pas quand elle allait exploser

Walter Cotugno, l'un des procureurs

AFP

Pour lui, il ne fait aucun doute que les dirigeants d'Autostrade et de la société d'ingénierie Spea, chargée de la maintenance, "étaient conscients du risque d'effondrement", mais qu'ils ont rechigné à financer des travaux afin de "préserver les dividendes" des actionnaires.

51 ans sans interventions de maintenance minimales

Le constat de l'enquête des magistrats est accablant : "Entre l'inauguration (du pont) en 1967 et l'effondrement, donc 51 ans plus tard, il n'a pas été procédé aux interventions de maintenance minimales pour renforcer les haubans du pilier numéro 9", qui s'est affaissé le jour du drame.

La plupart des mis en cause convoqués par le tribunal de Gênes sont des cadres et des techniciens des deux sociétés, dont le directeur général d'Autostrade de l'époque Giovanni Castellucci. Celui-ci est parti avec une indemnité de 13 millions d'euros, ainsi que l'ancien patron de Spea Antonino Galata et des fonctionnaires du ministère des Infrastructures.

Accord à l'amiable pour Autostrade et Spea

Ils sont poursuivis notamment pour homicide involontaire, atteinte à la sécurité des transports et faux en écriture publique. Pour Giovanni Paolo Accinni, l'un des avocats de M. Castellucci, l'acte d'accusation "tombera comme une feuille d'automne" si le procès est "équitable" et "protège non seulement les victimes, mais aussi les innocents".

Mais l'accusation pourra compter sur un témoin de taille : Roberto Tomasi, successeur de M.Castellucci et cadre d'Autostrade depuis 2015, qui affiche sa volonté de tourner la page et qui pourrait s'avérer encombrant pour son prédécesseur.

Benetton a cédé sa part à l'État

Autostrade appartenait au moment du drame au groupe Atlantia, contrôlé par la richissime famille Benetton, qui a fini par céder sa part en mai à l'État, poussé vers la sortie sous la pression de la classe politique et de la vindicte populaire.

Si leurs anciens dirigeants se retrouvent sur le banc des accusés, les sociétés Autostrade et Spea échappent en revanche au procès grâce à un accord à l'amiable conclu avec le parquet, prévoyant le paiement de 29 millions d'euros à l'État.

Pour Raffaele Caruso, avocat du Comité des proches des victimes du pont Morandi, ce pacte "constitue une première reconnaissance de responsabilité" de la part des deux sociétés.

"La vie n'a pas de prix"

"C'est l'un des procès les plus importants de l'histoire récente de l'Italie, en termes de nombre de mis en cause, d'ampleur de la tragédie et au regard de la blessure infligée à toute une ville".

Seules deux familles de victimes ont refusé d'accepter les indemnisations proposées par Autostrade, qui a déboursé plus de 60 millions d'euros à ce titre.

Egle Possetti, présidente du Comité des proches des victimes, a décliné l'offre pour ne pas perdre la possibilité de se constituer partie civile et de peser sur le procès.

"Je suis sûre que beaucoup, pas tous, savaient que le pont allait s'écrouler un jour, et certains ont fait semblant de ne pas le voir", confie-t-elle, amère.

"Nous sommes confiants dans le fait que le procès fera ressortir toute la vérité sur le drame pour éviter que nos proches soient morts en vain", a-t-elle déclaré jeudi matin sur les marches du palais de justice à Gênes.

L'autre refus est venu de Roberto Battiloro, qui a perdu son fils Giovanni, un jeune vidéaste de 29 ans, dans le drame et qui s'est vu proposer un million d'euros : "la vie de mon fils n'a pas de prix, je veux un vrai procès".

Des images pendant 10 minutes

Au vu du nombre d'actes et de personnes convoquées, ce procès est hors-norme en Italie.

Sous une tente transparente érigée dans la cour du Tribunal de Gênes, le juge Paolo Lepri a égrené dans une ambiance fébrile les noms d'une centaine d'avocats des prévenus et des parties civiles qui y étaient réunis.
Les mis en cause, absents de cette première audience purement formelle, sont en particulier poursuivis pour homicide involontaire, atteinte à la sécurité des transports et faux en écriture publique. Le drame a profondément marqué les Génois.

J'avais l'impression de vivre à nouveau la chute des tours jumelles au moment des attentats du 11 septembre 2001

Furio Truzzi, président d'Assoutenti, une association de consommateurs (partie civile)

Lors de l'audience préliminaire, le juge avait accepté environ 200 parties civiles. Mais à la première audience, il pourrait y en avoir autant à demander à participer au procès. Le Comité du souvenir des victimes du pont Morandi a été exclu de l'audience préliminaire.

D'après le site de la Rai, "des télévisions du monde entier ont demandé à être accréditées mais le président du jury n'a accordé des images que pendant dix minutes et seulement lors de la première audience" pour "éviter un spectacle qui ne pourrait rendre l'audience sereine et régulière".

Une raison rejetée et critiquée par l'Ordre et le syndicat des journalistes italiens. Une manifestation est organisée aujourd'hui devant le tribunal pour dire "non aux limites du droit de presse et du droit des citoyens à être informés".

Depuis la tragédie, le pont a été reconstruit par l'architecte Renzo Piano. Une reconstruction rapide qui s'est déroulée dans une ville meurtrie par cette tragédie. La durée du procès est estimée à deux ou trois ans.

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