Des propriétaires de maisons situées à Bar-sur-Loup se plaignent de l'attitude d'un homme qui a occupé leurs logements avec femme et enfants. Une situation qui perdure encore aujourd'hui. Absence de bail en bonne et due forme, loyers impayés, l'homme a déjà été condamné par la justice à verser 140.000 euros de dommages et intérêts.
Dans les Alpes-Maritimes, la commune de Bar-sur-Loup n'est pas connue pour défrayer la chronique. Ce village de 3000 habitants, à l'est de Grasse, possède un cœur historique médiéval et des villas cossues surplombées de reliefs préalpins et des gorges du loup.
Une affaire de voisinage émeut certains propriétaires de ce décor provençal depuis des années.
Dans l'ancienne seigneurie, cette situation a déjà débouché sur des plaintes et des décisions de justice condamnant le père de famille Nicolas N. et son épouse à verser des dommages et intérêts à hauteur de 140.000 euros environ.
Une première maison occupée pendant des années
Un couple de retraités vivant à 1300 kilomètres de là possède une maison qu'il met à la location. Une habitation que madame connaît parfaitement depuis 1968 et qu'elle achète quelques décennies plus tard à un membre de sa famille. Une surface d'un peu plus de 100 mètres carrés donne accès à un jardin verdoyant. Le tout est évalué à plus de 600.000 euros à la vente. Un bien facile à louer.
Au début de l'année 2016, Nicolas N. s'installe dans cette maison avec sa famille. Le bail est au nom de sa compagne qui deviendra sa femme à l'été 2019, le mariage sera même célébré dans la commune.
De mai 2016 à avril 2017, les loyers sont versés, "rarement un mois complet à la fois" confie la propriétaire. Les paiements se font ensuite plus rares. "En 2019, trois mois ont été payés" au total, se souvient la septuagénaire. À chaque échéance, elle attend 1730 euros de loyer de son locataire, ainsi que 135 euros de charges.
Crasse, moisissures, portes trouées
Dès 2017, une procédure est engagée pour recouvrer les sommes manquantes. Les années passent et les paiements se raréfient. En 2022, après une condamnation en première instance, Nicolas N. et sa femme sont condamnés en appel à Aix-en-Provence à verser 140.000 euros de dommages et intérêts.
Les propriétaires récupèrent leur bien, mais ils sont stupéfaits. Ils jugent l'état général de la maison désastreux. D'après une série de photographies que nous avons pu consulter, les traces du courroux du locataire indélicat semblent nombreuses. "Toutes les portes sont trouées", littéralement "comme si on les avait transpercées à coups de poing", confie la propriétaire.
L'état de crasse de la hotte de cuisine, tout comme l'intérieur des tiroirs, l'épaisse pellicule de poussière dans certains placards, où les traces de moisissures, ailleurs, laissent imaginer la qualité de l'entretien au cours des dernières années.
Dehors, un tas d'immondices, parmi lesquels du bois coupé, des jeux d'enfants démontés ou les mauvaises herbes devenues omniprésentes.
Pendant toute la période de cette occupation des lieux, "ces gens n'ont jamais pris soin de répondre à mes courriers recommandés", affirme la propriétaire.
"La maison est dans un état de crasse épouvantable, ils ont aussi détruit notamment un mur avec une petite rigole d'évacuation des eaux de pluie pour agrandir une terrasse. Je dois refaire tous ces murs et j'en ai pour 160.000 euros !"
En quelques années, c'est un préjudice que les propriétaires estiment au-delà des 300.000 euros.
Un autre bien squatté depuis des mois
Dans la même commune, une maison accueille rapidement la famille de Nicolas N. Celle-ci a été achetée par des parents pour assurer à leurs enfants en situation de handicap une rentrée d’argent pérenne. Le bien est proposé en location saisonnière.
À la fin du mois de mars, la représentante des propriétaires est contactée par une personne qui assure s'appeler Fred, il souhaite louer la maison pour plusieurs mois. Elle lui fait parvenir un contrat de location saisonnière, non signé, pour qu'il puisse prendre connaissance de son contour, et dans l'attente des pièces à renvoyer.
Quelques jours plus tard, la représentante légale des propriétaires s’aperçoit que Nicolas N. a pris possession des lieux, avec femme et enfants. Elle affirme qu'il s'est présenté sous une fausse identité et que le bail n'a jamais été signé. Ce texte, à trous, ne comporte aucune mention et doit être rempli.
La gendarmerie sollicitée
Elle affirme qu’une vitre a été cassée pour rentrer dans la maison, les serrures ont ensuite été changées. Nicolas N. tente de temporiser auprès de son interlocutrice : "il m'a dit 'je suis votre voisin, je suis parent d'élève, mes enfants sont comme les vôtres à Bar-sur-Loup', et il m'a affirmé qu'il était solvable". Elle a même demandé aux gendarmes de la commune d'aller constater l'infraction sur place car elle n'avait, théoriquement, plus à se rendre sur les lieux. Un dépôt de plainte a été effectué ultérieurement pour violation de domicile.
Elle cherche à entrer en contact avec Nicolas N. qui possède de nombreuses lignes téléphoniques. "Ce n'était jamais son nom qui apparaissait, cela pouvait être le nom d'un autre particulier, ou d'une société". Que des numéros Lyca Mobile, précise-t-elle, un opérateur qui permet d'acheter des cartes prépayées.
Elle compte rapidement une dizaine de numéros avec lesquels on peut joindre Nicolas N. et apprend par la suite sa précédente condamnation à hauteur de 140.000 euros par le tribunal d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Ce vendredi 18 août, Nicolas N. et sa famille occupent toujours ce logement.
Royal au Bar
À l'été 2019, le couple condamné par la justice sollicite plusieurs commerçants pour son mariage, célébré dans la commune. Certains ont été payés avec du retard, d'autres pas du tout.
Une dette d'environ 800 euros n'a toujours pas été honorée, d'après un professionnel qui a souhaité garder l'anonymat. "J'ai toujours la facture, je le croise régulièrement. Il dit qu'il va payer, mais ne l'a jamais fait", explique ce chef d'entreprise. "C'est quelqu'un qui passe, qui vous sourit, vous serre la main et prend de vos nouvelles, c'est une personne qui est particulière."
Déposer plainte contre Nicolas N., ce créditeur y a bien pensé, mais n'a jamais franchi le pas, comptant sur la bonne foi de son client indélicat.
Recouvrement impossible ?
Le cabinet mandaté après le rendu de justice du tribunal d'Aix-en-Provence a tenté de recouvrer les 140.000 euros. Des comptes en banque au nom de Nicolas N. et de sa femme ont été trouvés dans deux banques azuréennes. "La saisie sur les comptes a été infructueuse", d'après nos informations.
"La justice, c'est bien gentil, mon avocat me dit qu'il faut faire appliquer le jugement, mais comment voulez-vous faire quand il n'y a pas d'argent visible en France. Tout au moins, il en a peut-être ailleurs ?", s'interroge la septuagénaire qui a récupéré son bien immobilier au printemps dernier.
On m'a proposé de faire une recherche d'employeur, mais je suis persuadé que ce monsieur ne travaille pas. Le problème, c'est que j'ai presque 150.000 euros dans la nature mais, à chaque fois qu'il faut faire une recherche, il faut continuer de payer. On se demande jusqu'à quel point c'est utile.
La propriétaire de la maison occupée de 2016 au printemps 2023
D'après elle, au moins un autre huissier tente de retrouver Nicolas N. : "Quand nous étions sur place, au mois de juillet, et quand on nettoyait un peu l'espace qu'il nous avait rendu dans un état catastrophique, mon mari a vu un monsieur qui le cherchait."
Longues procédures
Dans ce genre de situation, les procédures sont longues et épuisantes pour celles et ceux qui se considèrent comme victimes dans une affaire de squat ou de logement occupé de manière illicite.
Contacté, le service juridique de la mairie de Bar-sur-Loup a bien tenté d'accompagner ou de conseiller l'une de nos interlocutrices dans ses démarches. Mais les communes n'ont pas le pouvoir pour régler ce type de différend.
Se rapprocher d'un huissier de justice pour effectuer les constatations au plus vite, dépose plainte ou une main courante, prendre un avocat ou contacter l'Agence nationale pour l'information sur le logement sont les pistes à prioriser.
"J'ai essayé tout ce qui était à ma portée"
Les procédures, longues et coûteuses, sont souvent jugées par les propriétaires lésés comme jouant en faveur des locataires indélicats, en cas de squat ou d'occupation illégale.
C'est la chose que je n'arrive pas à admettre. J'ai été honnête toute ma vie et, normalement, à la moindre petite chose que l'on fait, on a affaire à la justice. Là, on laisse cet individu dans la nature, je ne comprends pas.
La propriétaire de la maison occupée de 2016 au printemps 2023
Après le jugement aixois, une demande de recours à la force publique a été effectuée pour les expulser, à la fin de l'année 2022. À la fin de la trêve hivernale, l'autorisation n'avait toujours pas été délivrée. "J'ai envoyé des mails pour essayer d'accélérer les choses, mais ils avaient énormément de retard dans les dossiers", soupire la propriétaire, en souffrance de quelque 140.000 euros. "Je pense que j'ai essayé tout ce qui était à ma portée."
"Cette maison, c’était mon paradis, mais c’est devenu mon cauchemar", se navre celle qui habite à plus de 1300 kilomètres de la Côte d'Azur.
Contacté, Nicolas N. a accepté jeudi 17 août, en fin de journée, de nous rencontrer pour nous expliquer sa version des faits. Nous devions l'interviewer ce vendredi 18 août, mais il a annulé ce rendez-vous dans la matinée. Il se défend, par sms, et explique qu'il possède "les emails et les messages qui [nous] montreront que nous ne sommes pas une famille de squatteurs".