L'annonce du garde des Sceaux, ce 28 mars, concernant le "plan massif de recrutement" concerne la répartition de postes qui avaient déjà été annoncés. Le Syndicat de la magistrature commente et le ministère de la Justice apporte des précisions.
Lorsque l'on reçoit le communiqué de la chancellerie, il est aisé de s'arrêter au titre : "Plan massif de recrutements pour la Justice : Éric Dupond-Moretti annonce la répartition des effectifs pour les tribunaux judiciaires d’Aix-en-Provence, Digne, Draguignan, Grasse, Marseille, Nice, Tarascon et Toulon de la cour d’appel d’Aix-en-Provence"
Décryptons : ce sont donc des postes prévus et adopté dans la loi de programmation de la Justice en octobre 2023.
Cette fois, on en sait donc un peu plus sur la répartition de ces postes. Le ministère communique à la presse, le nombre de magistrats, de greffiers et d'attachés de justice par tribunal.
Ainsi, vous pouvez découvrir dans cette carte, créée par la rédaction de France 3 Côte d'Azur, le nombre de personnes, le nombre d'emplois qui seront pourvus. Certains viendront combler les postes non pourvus.
Pour les tribunaux du ressort de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence,194 emplois devraient être pourvus d'ici à 2027.
À Grasse dans les Alpes-Maritimes, par exemple, au tribunal judiciaire, au 1ᵉʳ janvier 2023 (date retenue pour le calcul de répartition), le tribunal judiciaire avait deux postes de magistrats vacants. Ce seront donc six postes de plus (et non huit).
C’est une bonne nouvelle, on a besoin de cet oxygène. Mais est-ce que ça suffira pour atteindre les objectifs, ce n'est pas sûr.
Emmanuelle Perreux, Présidente du tribunal judiciaire de Grasseà France 3 Côte d'Azur
Pour la présidente du tribunal judiciaire, Emmanuelle Perreux, ces renforts sont forcément une bonne chose : "je n'avais jamais vu autant de renfort annoncé, il faudra voir, ça ne va pas arriver vite, c'est d'ici à 2027." Pour la présidente, ces renforts font partie d'un vaste plan nécessaire : "il faut continuer la simplification et la rationalisation. Le ministère est à l’écoute, mais il y a énormément de travail à faire pour que l’on puisse traiter les procédures (notamment en procédure civile) plus rapidement. Quand on fait une expertise, on sait qu’on prend un an de retard parce que la procédure est trop lourde. Il faut développer les procédures de l’amiable, pour que le justiciable soit content et qu'il ait des résultats plus rapidement. Il faut bouleverser les habitudes."
Nous avons demandé l'avis du Syndicat de la magistrature :
C'est la quatrième ou cinquième fois qu'il (garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti) annonce ces mêmes chiffres.
Thibaut Spriet, secrétaire national du Syndicat de la magistratureà France 3 Côte d'Azur
Le secrétaire national ajoute : "Rien de nouveau si ce n'est la répartition. Pour nous, c'est déjà une information supplémentaire, mais on aurait aimé avoir une feuille de route beaucoup plus précise. Les besoins, en fonction des tribunaux, vont être concentrés dans un service ou un autre".
Pour cette répartition, Éric Dupond-Moretti a souhaité changer de méthode : "À la demande du garde des Sceaux, la répartition au sein des 36 Cours d’appel a été effectuée selon une approche innovante, sur la base de plusieurs critères objectifs tels que l’activité des juridictions en première instance, ainsi que la réalité démographique, économique et sociale des territoires."
Le magistrat du Syndicat de la magistrature relativise ses propos : "avant, on demandait aux chefs de cours leurs besoins et on connaissait ainsi exactement les postes vacants, donc les services en tension. Aujourd'hui c'est un ensemble de critère et d'algorithme qui détermine les besoins avec beaucoup moins de dialogue social. Ce qui nous inquiète, c'est qu'on ne connaît pas les critères, si c'est efficace ça peut être une bonne chose, mais si c'est déconnecté de la réalité, c'est la catastrophe et les besoins ne seront plus forcément représentatifs. Le risque, c'est de mal interpréter une situation. Imaginons : un tribunal n'a pas assez de personnel, il va baisser son activité dans un service, ça ne veut pas dire qu'il n'a pas de besoin, ça signifie qu'en l'absence de moyen, l'activité baisse. Si on écoute l'algorithme, il risque de dire "peu d'activité, donc peu de besoins" et ça bien sûr, on n'en veut pas, voilà pourquoi on reste très vigilants."
Les 1 500 emplois sont importants, l'activité judiciaire ne cesse d'augmenter et les différentes juridictions communiquent leur manque de personnels régulièrement.
En revanche, on ne sait pas combien de postes vacants vont être pourvus avec ce plan, par conséquent, on ne connaît pas le nombre réel de créations de poste.
2027 et après ?
Le syndicat se pose la question de l'après : "il faut 31 mois pour former un magistrat donc forcément, il y a un délai à prendre en compte, nous aimerions avoir un plan à plus long terme. L'activité judiciaire est croissante (dû en partie aux politiques judiciaires mises en place), pourtant, nous n'avons pas assez de personnels." Le magistrat prend comme critère le nombre de magistrats par rapport au nombre d'habitants, c'est le critère retenu par le Conseil de l'Europe dans la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ).
En France, ce ratio n'est pas très bon : pour les juges professionnels par exemple, la CEPEJ (dans des chiffres de 2020) note 11,16 juges pour 100 000 habitants en France alors que la médiane est à 17,60. Pour les procureurs, nous sommes à 3,19 (pour 100 000 habitants) contre 11,10 au sein du Conseil de l'Europe.
Ce plan devrait permettre de parer à l'urgence, mais selon l'organisation syndicale, c'est encore trop peu pour répondre à la mission de service public.
La réponse du ministère de la Justice
Le ministère de la Justice a tenu à apporter à France 3 des précisions par le biais de son porte-parole : l'objectif était de faire confiance au terrain.
99% des besoins ont été accordés par la Chancellerie.
Chancellerie, ministère de la Justiceà France 3 Côte d'Azur
La Chancellerie souhaite rappeler que ce sont les présidents et procureurs qui ont dialogué avec les chefs de cours et qui ont fait remonter leurs besoins : "au contraire, c'est vraiment une approche qui se veut déconcentrée. Concrètement, ce sont 3 300 postes qui arriveront d'ici à 2027." Le ministère met en avant un travail de fond, lancé depuis plusieurs années qui vise à renforcer la justice à plusieurs niveaux : "en janvier, il était 459 à sortir de l'école de la magistrature, c'est une année record (pour comparaison, certaines années, c'était moins d'une centaine)."
Pour le garde des Sceaux, l'objectif est de "diviser par deux les délais en première instance".