Ce jeudi 28 mars, des habitants du Haut-Vernet, dans les Alpes-de-Haute-Provence doivent participer à une "mise en situation", forme de reconstitution de la disparition du petit Émile, deux ans et demi. Dans le village, l'ambiance est pesante face à une affaire que les habitants souhaiteraient voir résolue ou oubliée.
Dans un petit restaurant au pied de la commune du Vernet, un habitant et un habitué des lieux livrent, sans se concerter, un même sentiment, quand on évoque l'enquête sur la disparition d’Émile et la "mise en situation" qui doit se dérouler jeudi 28 mars. "On en a marre...", soufflent-ils. Depuis le mois de juillet, ils voient défiler gendarmes et journalistes, mais ne constatent aucun progrès dans les investigations. Une gêne s'installe, derrière les sourires et la courtoisie, dès que l'affaire est évoquée. Personne ne souhaite parler en son propre nom. Le village semble même avoir désigné des portes paroles : "demandez au maire", disent les habitants. Plusieurs personnes nous dirigent vers un homme qui a témoigné dans l'émission Touche pas à mon poste. Lui seul, semble-t-il, souhaite discuter. Mais il n'est pas chez lui ce jour-là.
Depuis juillet et la disparition d’Émile, le village du Vernet s'est vidé. Vacanciers et résidents secondaires sont partis. Le silence règne sous une pluie régulière. Il est parfois interrompu par le chant d'un coq, le moteur d'une voiture ou un clocher insistant. Les volets des maisons sont fermés. Au Haut-Vernet, où Émile a disparu, il ne reste qu'une trentaine de personnes. En contrebas, dans le village du Vernet, ils ne sont pas plus de cent. Aucun ne souhaite évoquer Émile avec des journalistes.
"Je n'ai pas beaucoup de temps, désolée", lance une jeune femme du Haut-Vernet, accompagnée d'un imposant chien blanc, comme il y en a dans les montagnes. Pour protéger ses administrés, le maire a pris, à plusieurs reprises, des arrêtés municipaux interdisant l'accès au village pour les personnes qui n'y résident pas. Mercredi 27 mars, veille de la reconstitution de la disparition d’Émile, l'accès au Haut-Vernet est bloqué par une barrière. Ceux qui la franchissent risquent une amende.
"Tout est redevenu comme avant"
"C'est long, ça n'avance pas", dit un habitant pour justifier son silence face à la presse. "Il n'y a rien à dire, on ne sait pas ce qui s'est passé." Même au hameau, le sujet est "tabou", considère l'ancien boulanger, installé dans un village non loin, Seyne-les-Alpes : "j'ai demandé à un élu s'il fallait plus de pain pour la reconstitution, il n'a pas répondu. Je ne veux pas insister."
Sous le ciel gris, au pied des arbres sans feuilles, des pancartes aux couleurs vives - jaunes, vertes, rouges - rappellent que l'été, le Vernet est une commune de vacances. Elles indiquent une ferme pédagogique, des balades avec des ânes, des chemins de randonnée, comme celui qui suit la route des transhumances jusqu'à l'Italie, "la Routo". La pluie emporte avec elle les restes de l'hiver et la neige que l'on aperçoit encore sur les sommets qui dominent.
"On ne montre que le négatif, alors qu'on est dans un endroit où il y a plein de belles choses, de belles initiatives", regrette un homme au restaurant. "On ne parle plus d'Émile, tout est redevenu comme avant", assure un autre. Dans une maison grise aux volets rouges, une personne venue faire des travaux pour quelques semaines, nous confirme que depuis son arrivée, la disparition d’Émile est rarement évoquée par les locaux. "Stop ! Stop ! Stop !", l'interrompt son colocataire, qui sort de sa douche. "On a déjà vécu le crash, on a déjà vécu ça. On ne parle pas aux journalistes. Trouvez quelqu'un d'autre. Je vous souhaite une bonne journée."
Le 24 mars 2015, un avion de ligne s'abîmait dans une montagne voisine. Cent-cinquante personnes sont mortes. Le copilote s'est suicidé, emportant avec lui passagers et personnels de bord. C'est le Vernet qui a été désigné pour accueillir la stèle commémorative. Chaque année, les familles de victimes viennent s'y recueillir. Les commémorations de 2024 s'achèvent tout juste.
"Un manque de respect pour les habitants et la famille"
C'est quatre jours plus tard que les enquêteurs ont décidé de faire revivre au village un autre drame : celui de la disparition d’Émile. Pour la reconstitution ce 28 mars, certains habitants seulement ont été convoqués. "Pas tous, on ne sait pas vraiment comment ils ont choisi", précise un élu. À nouveau, le hameau sera bouclé, à nouveau, gendarmes et journalistes viendront troubler le calme que viennent chercher ceux qui décident de vivre à la montagne. "Une reconstitution sur quelle base, avec quels faits ? On a retrouvé le meurtrier ? Le petit ? Qu'est-ce qu'on va apprendre de plus ?" , s'agace un commerçant. "Pour moi, c'est un manque de respect pour les habitants et pour la famille, alors qu'il n'y a rien de nouveau."
Les pistes, les soupçons évoqués par les enquêteurs dans la presse, sont vite écartés : "ça n'a rien donné". Comment un petit garçon de deux ans et demi a-t-il pu disparaître dans un hameau en cul-de-sac ? Tout le monde semble vouloir à tout prix éviter le piège tendu par cette affaire : un climat de suspicion généralisée. "J'ai des copines grand-mères à Digne. Cet été, c'était n'importe quoi, les gens se prenaient pour des enquêteurs et les arrêtaient si elles avaient un petit garçon blond, comme Émile", raconte une femme.
Le seul journaliste à avoir rencontré la famille d’Émile, Samuel Pruvot, rédacteur en chef de Famille Chrétienne, évoquait un groupe soudé, qui a décidé de faire "bloc", en s'exprimant le moins possible face à cette épreuve. Au Vernet aussi, les habitants semblent unis, dans un silence prudent. Dans la vallée de la Blanche recouverte de brume, un épicier résume : "Maintenant, on est juste comme tout le monde, on veut savoir."