Le chiffre donne le vertige. Un million d’enfants seraient victimes de harcèlement à l’école en France chaque année. Depuis mars dernier les peines encourues pour les auteurs de tels faits vont jusqu’à 10 ans de prison. Le problème reste la prise en compte du harcèlement. Nous avons rencontré, à Menton, un père qui se bat depuis des mois pour faire reconnaître le harcèlement dont sa fille de 13 ans est victime.
"Je n’en peux plus papa d’aller au collège chaque matin avec la boule au ventre. Je ressens beaucoup de stress quand je suis là-bas. Et quand je parle de tout ça aux adultes, souvent ils ne me croient pas !"
Voilà les mots déchirants d'une adolescente. C’est ainsi qu’Ana (le prénom a été changé) décrit son quotidien. Elle est scolarisée au collège André Maurois de Menton.
De l’extérieur, l’établissement est plutôt avenant. Quelques collégiens sont rassemblés, le téléphone portable à la main, l’ambiance est joyeuse.
De grandes palissades noires masquent les bâtiments de cette école de centre ville. Il ne nous a pas été permis d’y pénétrer malgré nos demandes auprès du rectorat. Ni d’interroger le personnel de direction.
Ana, 13 ans, dit avoir connu l’enfer derrière ces portes. Son père avait alerté les autorités scolaires dès que sa fille s’est confiée à lui.
"Au début" explique Michaël Laugier, "je n’y ai pas donné trop d’importance", nous confie-t-il ce jour-là, assis sur son canapé dans un petit appartement de Roquebrune-Cap-Martin.
Coups de sacs
Son visage devient plus grave quand il ajoute : "je me suis vraiment inquiété quand c’est devenu physique. Ils se mettaient en rangs ils la poussaient, lui donnaient des coups de sacs. Ils l’attendaient à la cantine, ils l’encerclaient, ils attendaient que tout le monde ait fini de manger. Ils lui demandaient : "tu es sûre que ça va ? En rigolant" les uns avec les autres, c’était toujours pesant en fait et une fois, ils lui ont même dit de se suicider. Avec des mots plus vulgaires."
Je n’en peux plus papa d’aller au collège chaque matin avec la boule au ventre
Ana, collégienne harcelée
Michaël nous montre le dossier qu’il a constitué méthodiquement depuis février 2022.
Des pages et des pages. Il prévient d’abord le principal du collège. Celui-ci va, selon les dires du père, minimiser les choses. Il dira dans les colonnes du journal Nice-Matin en juillet dernier : "tout est inventé, le papa d’Ana est dans la démesure". Nous avons tenté de joindre l'intéressé mais en vain.
Quant aux autrices supposées des actes, pourtant identifiées, il ne déclenchera aucune procédure à leur encontre. "Cela m’a mis hors de moi" confie Michaël Laugier. Selon nos informations, une partie de l’équipe encadrante a depuis changé d’établissement sans que l'on sache si cela est lié à l'affaire.
De lettres en lettres notamment avec le rectorat, le père de la victime a le sentiment que les choses n’avancent pas. Parallèlement à cela, le père reçoit des témoignages d’autres cas de harcèlement de la part de parents qui ont des enfants scolarisés à Maurois. Il nous les montre.
Ana continue de croiser les collégiennes à l’origine du harcèlement. C’en est trop, le père dépose une plainte à la police.
Interrogé, le rectorat de Nice reconnaît à demi-mot le dysfonctionnement et précise avoir il y a peu rencontré le père d’Ana.
Une affaire qui trouve une résonance toute particulière dans l’actualité.
Depuis mars dernier, le harcèlement scolaire est puni par la loi, d’une peine pouvant aller jusqu’à 10 ans de prison et 150 000€ d’amende en cas de suicide ou tentative de suicide. Le législateur indique que chaque écolier doit pouvoir prétendre à une scolarité normale.
Parallèlement à cela, et parce qu’un million d’enfants seraient victimes de harcèlement scolaire en France chaque année, des gardes-fous ont été mis en place.
Le dispositif s’appelle pHARe. "Il agit à plusieurs niveaux" résume Michaël Masson, le conseiller sécurité, en charge des violences scolaires. C’est d’abord en amont avec une formation des personnels encadrant et enseignant. Des plateformes de signalement ont été créés ainsi que des comités de prévention du harcèlement.
Le problème semble vraiment avoir été pris en compte lorsqu’on en discute avec la cellule du rectorat de Nice qui ce jour-là fait une réunion en visio à laquelle nous avons eu le droit d’assister.
Ecrans radar
Là, on parle de la question de la détection des cas. "Car," comme le confie Karine Beauvais Ricci, inspectrice de l’éducation nationale, "beaucoup de faits passent sous les écrans radar".
Selon nos informations, seules 15% des affaires de harcèlement sont révélées au grand jour dans l'Académie de Nice. Soit parce que l’enfant ne s’est pas manifesté, ou parce que la hiérarchie scolaire n’a pas su traiter le problème.
Ce sont des choses qui se passent entre les jeunes, entre les enfants. Les adultes, quand ils ont cette information, c’est déjà un peu tard pour essayer de la traiter.
Michaël Masson, rectorat de Nice
Sans compter que le harcèlement se prolonge bien au-delà des murs de l'école sur les réseaux sociaux, rendant encore la prise en compte du problème plus difficile.
Michaël Laugier, le père d’Ana en veut beaucoup aux institutions et aux autrices des faits.
"J’en veux à tout le monde, j’en veux à ces enfants. Comment on peut avoir comme projet le matin d’aller faire du mal à un autre enfant ? J'en veux à l’ancienne équipe du collège, ça a été non-assistance à personne en danger."
L’intéressé a été reçu deux fois au rectorat de Nice. Quant à sa plainte déposée auprès de la police, elle a été classée sans suite. Selon Michaël Laugier, sa fille serait toujours victime de harcèlement scolaire.