ENQUÊTE. Affaire des ports de Menton : "emploi fictif", "arrêts maladie", "licenciements"... Comment le scandale politico-financier continue de faire des vagues

Dans les deux ports de la ville, depuis le scandale des notes de frais de l'ancien PDG Mathieu Messina, la situation ne s'est pas apaisée. Chacun se défend en disant n'avoir rien vu. Et Mathieu Messina, depuis la Corse, lâche une phrase qui pourrait faire des remous...

Le scandale des notes de frais de la société des Ports de Menton continue d'alimenter les discussions, notamment durant les conseils municipaux. Alors que le parquet de Marseille soupçonne un "détournement de fonds publics et recel, blanchiment en bande organisée et faux et usage de faux", France 3 Côte d'Azur publie une enquête en trois volets sur cette affaire hors-norme, dont voici la dernière partie.

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Yves Juhel (après avoir promis qu'il tiendrait une conférence de presse sur le sujet), Éric Le Floch, le directeur général des services, et Marina Giardina, l'actuelle PDG des ports de Menton, n'ont pas souhaité s'exprimer dans cette enquête. Contacté, l'avocat du maire, Philippe Soussi, met en avant la  "présomption d'innocence et le secret de l'enquête". Quant à Franck Giovanucci, l'ancien directeur de cabinet n'a pas donné suite à notre demande d'interview.

"Chasse aux sorcières"

"Ne dites pas que c'est moi qui vous ai parlé !" Cette phrase, qui est revenue à chaque interview menée par France 3 Côte d'Azur, est représentative de la tension qui règne toujours au sein de la Société publique locale (SPL) qui gère les ports de Menton (Alpes-Maritimes). Sur la dizaine de personnes interrogées (salariés, commerçants et plaisanciers), tous ont demandé l'anonymat.

En ce début d'année 2024, les arrêts maladie se multiplient au sein du personnel. Des salariés décrivent un management "très agressif, avec des mails à toute heure" venant de la nouvelle PDG, Marina Giardina. L'un d'eux dénonce même une "chasse aux sorcières" de la part de la nouvelle direction, qui, selon lui, aurait poussé à des démissions et des licenciements. "Elle croit que tout le monde lui en veut", ajoute un autre.

Selon nos informations, depuis l'arrivée de Marina Giardina à la tête de la SPL, trois personnes ont été licenciées : la directrice administrative, le responsable d'exploitation des deux ports et... le comptable. Ce dernier "n'a pas été remplacé depuis !", s'exclame un salarié.

Selon ces employés, qui travaillent ou ont travaillé aux ports, l'ambiance était radicalement différente pendant la présidence de Mathieu Messina : "C'est quelqu'un qui avait l'habitude de gérer une entreprise" ; "Un homme avec qui on peut dialoguer".

Quand le scandale a éclaté, ces salariés affirment n'avoir rien su ni vu venir, y compris dans la tour de la direction. "Les trucs qu'il a faits en cachette, on n'était pas au courant, ça ne nous regardait pas", affirme un employé de cette époque.

Il faut dire aussi que, selon leurs témoignages, le système alors mis en place rendait impossible une quelconque alerte en interne. "On est des salariés de droit privé, pas des fonctionnaires", justifie l'un d'eux.

"Les salariés, ce sont des exécutants. Ils ont fait ce que je leur ai dit de faire et il était très compliqué pour eux de s'opposer à un PDG, en pleins pouvoirs, également adjoint aux finances de la collectivité, proche de Yves Juhel dont il a été le directeur de campagne", abonde Mathieu Messina. Dans cette situation, "que voulez-vous qu'un salarié fasse ?"

Les administrateurs "pas au courant"

Les administrateurs (quatre représentent la mairie et un le département, les deux actionnaires de la SPL) assurent, aujourd'hui, qu'ils n'étaient au courant de rien. Lors du conseil municipal du 2 avril 2024, ceux présents pendant la présidence de Mathieu Messina ont pris la parole chacun à leur tour. "Je parle au nom des administrateurs, nous n'avons jamais été au courant, nous n'avons jamais pu consulter les factures, nous étions dans une situation de confiance", déclare au micro Marina Giardina.

Nous n'étions absolument pas au courant de quoi que ce soit, puisque le DG était en collusion avec du personnel, à des postes stratégiques à la SPL. Quand nous posions des questions, nous avions des fins de non recevoir.

Marina Giardina, actuelle PDG des ports de Menton

en conseil municipal

"Je n'étais pas au courant non plus, complète Jean-Claude Alarcon. Moi, je suis au courant du quotidien des plaisanciers. J'écoute plutôt ces gens-là qu'à me préoccuper... comme a dit Marina, on avait des conseils d'administration qui nous disaient que la santé était bonne. On était loin de se douter qu'en dessous, il y avait des malversations."

"Ce n'était pas du tout nous qui nous occupions de la comptabilité, conclut Emmanuel Ravier. On a fait confiance au comptable et au commissaire aux comptes."

Des soupçons autour d'un potentiel emploi fictif

Le 6 octobre 2023, dans un document que France 3 Côte d'Azur a pu consulter, la SPL dépose plainte contre Mathieu Messina, ainsi que deux des trois salariés licenciés. En plus des soupçons d'escroquerie et de complicité d'escroquerie concernant les notes de frais, la société leur reproche également un abus de biens sociaux et une complicité d'abus de biens sociaux pour avoir embauché et rémunéré pendant six mois, entre avril et septembre 2023, "J." comme commerciale. La nouvelle direction de la SPL soupçonne un "emploi fictif".

"Ne connaissant pas cette personne et ne l'ayant jamais vu, Madame Marinella [surnommée Marina, NDLR] Giardina demandait donc aux salariés de la SPL s'ils la connaissaient et [ils lui répondirent] par la négative", est-il écrit dans la plainte.

Les conseils de la société publique locale mettent en avant un mail que Mathieu Messina aurait envoyé à la directrice administrative quelques jours avant le début du contrat : "personne au courant à part vous et [le comptable] ; que vous deux. Merci de votre discrétion."

Mathieu Messina, lui, réfute tout emploi fictif : "cette personne a travaillé pour moi pour représenter le port à l'étranger, notamment à Dubaï et à Riga".

Nomination des censeurs

Afin d'éviter de potentielles nouvelles accusations, le 7 mars, dans une réponse envoyée à la conseillère municipale d'opposition Stéphanie Jacquot (ancienne adjointe d'Yves Juhel), le maire de Menton est revenu sur la question des censeurs : "Alors que j'avais demandé à l'ancien PDG des Ports de bien vouloir prévoir la nomination de censeurs [...], ce dernier n'a pas daigné faire droit à ma demande. Aussi, je vous confirme que cette demande a été réitérée à la nouvelle DG et que la commune désignera dès le prochain conseil municipal des représentants pour exercer cette mission".

Le 2 avril, après les refus de Stéphanie Binot et d'Anthony Malveaux, deux conseillers municipaux d'opposition, ce sont Daniel Allavena, conseiller municipal non-inscrit, et l'"universitaire" Guy Choisnet qui ont été désignés comme censeurs par le conseil municipal. Ces "deux représentants ont pour mission de donner un avis sur les questions de tout ordre qui leur seront soumises. Les censeurs sont bénévoles", a précisé Yves Juhel.

"Je reviendrai peut-être en conseil municipal"

Aujourd'hui en arrêt maladie en Corse, Mathieu Messina se dit "trahi", déçu" et "blessé" par cette affaire. "J'avais confiance en Yves, je n'aurais jamais imaginé que lui ou Marina Giardina ne fassent ce qu'ils ont fait", explique l'ancien PDG des ports.

Ces gens-là m'ont mis un couteau dans le dos. On m'a dit 'va devant, ne te retournes pas, tu peux marcher' et quand j'étais suffisamment loin, on m'a tiré dessus. C'est exactement comme ça que ça s'est passé et il faudra qu'on s'explique.

Mathieu Messina

à France 3 Côte d'Azur

Placé en garde à vue mardi 2 juillet, Mathieu Messina assure avoir " livré l'intégralité des faits, même quand c'était à charge contre moi". L'homme, qui est toujours conseiller municipal de la ville frontalière, fait une annonce :

Une fois les mises en examen connues, je me laisse la possibilité de revenir en conseil municipal ou de rencontrer le maire pour avoir des explications d'homme à homme.

Mathieu Messina

à France 3 Côte d'Azur

"Soutien indéfectible" ou "désolidarisation" ?

Deux ans et demi après, on n'a donc pas fini d'entendre parler de l'après élection 2022, même si toutes les personnes soupçonnées dans cette affaire bénéficient de la présomption d'innocence.

Officiellement, le conseil municipal soutient Yves Juhel. Dans une tribune envoyée à Nice Matin , les élus de la majorité lui apportent un "soutien indéfectible". "Depuis l'éclatement de l'affaire Messina, certaines voix de l'opposition ont tenté de s'emparer et d'instrumentaliser cette situation pour porter atteinte à l'intégrité et à l'honneur de notre maire. Nous condamnons fermement ces tentatives de déstabilisation et ces agissements qui ne reposent sur aucun fait tangible ni avéré", est-il écrit.

Mais officieusement, en interne, l'affaire crée beaucoup de malaises, comme le rappelle Nice Matin dans son édition du 6 juillet, et un ras-le-bol, selon une personne travaillant à la mairie mais qui préfère garder l'anonymat. Ces derniers mois, des proches du maire ont quitté leurs fonctions.

Je considère que le maire de Menton n'a plus sa place pour gérer la ville et je sollicite Monsieur le Préfet pour qu'il mette en place une délégation spéciale afin que la ville retrouve toute sa sérénité.

Stéphanie Jacquot, conseillère municipale d'opposition

dans un communiqué envoyé à la presse

Stéphanie Jacquot, ancienne deuxième adjointe désormais conseillère municipale d'opposition, "appelle [s]es collègues du conseil municipal à se désolidariser du Maire de menton, [même si] la présomption d'innocence existe dans les lois de la République".

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