Révoqué de ses fonctions en juin 2023, Claude Palmero a saisi la justice monégasque pour faire annuler la décision du Prince Albert II à son encontre. Aujourd'hui, il porte l'affaire devant la Cour européenne des droits de l'Homme car il estime que la justice monégasque n'est pas indépendante et ne lui garantie pas un procès équitable.
À Monaco, peut-on remettre en cause devant la justice une décision prise par le Prince ? C'est, en quelque sorte, la question sur laquelle devra se pencher la Cour européenne des droits de l'Homme. Cette dernière vient d'être saisie par Claude Palmero, l'ancien administrateur des biens princiers, et son son conseil Pierre-Olivier Sur, avocat au barreau de Paris.
Pour comprendre l'histoire, il faut remonter à l'été dernier.
Le 13 juillet 2023, Claude Palmero saisit le Tribunal suprême de Monaco pour faire annuler la décision de révocation de ses fonctions prise "sans motif", selon lui, par le Prince le 9 juin. Quatre jours plus tard, le président du tribunal, Didier Linotte, nomme un rapporteur sur ce dossier : Didier Ribes.
"Mais un tel rapporteur ne semblait pas convenir à la volonté du Prince", écrit Pierre-Olivier Sur dans la saisine de la Cour européenne. Le 8 août, le mandat de Didier Linotte n'est pas prolongé. Son successeur confie le dossier à un autre rapporteur, ce "qui a permis au Prince défendeur de faire nommer un rapporteur ad hoc pour son propre procès", poursuit Pierre-Olivier Sur.
Le 5 septembre, Claude Palmero demande la récusation du nouveau président du tribunal, Stéphane Bracconier, et du nouveau rapporteur, Philippe Blacher.
Une demande rejetée le 18 décembre par le tribunal.
"Les choses doivent changer à Monaco"
En remplaçant ainsi le président du Tribunal suprême, Albert II a-t-il voulu s'assurer d'un traitement plus favorable dans un dossier qui le concerne ? Claude Palmero estime en tout cas qu'"il ne bénéficie pas des garanties du procès équitable devant les juridictions monégasques et en particulier en raison de la violation du principe d'indépendance du pouvoir judiciaire à l'égard du pouvoir exécutif".
Si l'article 88 de la constitution monégasque garantie "l'indépendance des juges", l'article 89 indique que "le Tribunal Suprême est composé de cinq membres titulaires et de deux membres suppléants [...] nommés par le Prince". Et c'est cela que pointe du doigt Pierre-Olivier Sur.
C'est évident que la justice n'est pas indépendante à Monaco puisque c'est le Prince qui nomme le juge qui va le juger. Chacun comprend qu'il y a un problème !
Pierre-Olivier Sur, avocat de Claude Palmero
"Cet article 89, ce n'est plus possible !", poursuit l'avocat. "On saisit la Cour européenne pour que les choses changent à Monaco. La question, c'est : quand Monaco va modifier cet article ?"
"Il n'y a pas eu d'abus"
"La partie qui est attaquée dans cette requête, c'est l'État, pas le Prince", tient à préciser Jean-Michel Darrois, l'avocat du Prince. Selon lui, il n'y a pas de lien entre nomination et indépendance. "Je ne me permets pas de soupçonner des magistrats d'être malhonnêtes, de ne pas être intègres. Ce n'est pas une question de nomination, c'est une question de conscience. En France, les juges du Conseil d'État sont des hauts fonctionnaires, cela ne veut pas dire qu'ils ne sont pas indépendants !"
Quant à la situation de l'ancien administrateur de biens de la famille princière, la décision du Prince n'a pas à être remise en cause.
Monsieur Palmero avait une fonction à l'intérieur de la maison princière. Dans ce cadre, il est nommé par le Prince, comme le veut le Prince, et il est mis fin à ses fonctions par le Prince, quand il le veut. C'est comme ça dans toutes les monarchies. Il n'y a pas eu d'abus.
Jean-Michel Darrois, avocat du Prince Albert II
La justice européenne viendra-t-elle s'immiscer et remettre en cause l'organisation et le déroulement de la justice monégasque ? Sa décision n'est pas attendue avant au moins un an et demi.
Les "Dossiers du Rocher"
Claude Palmero a été remercié par le Prince monégasque le 6 juin 2023. Il occupait ce poste depuis 2021, d'abord sous Rainier III, puis sous Albert II. Une décision que ce dernier a prise alors que la principauté était dans la tourmente à la suite de l'affaire des "Dossiers du Rocher".
Ce site Internet a publié de nombreux documents et mails internes et a soupçonné un réseau de corruption dans le secteur de l'immobilier. Il mettait en cause quatre proches du Prince : Laurent Anselmi, son chef de cabinet, Thierry Lacoste, son avocat, Didier Linotte, le président du Tribunal suprême, et Claude Palmero.
En mai 2023, Complément d'enquête sur France 2, avait consacré une émission à cette affaire :
Depuis, le prince Albert II s'est également séparé de Laurent Anselmi. Ce dernier a quitté prématurément ses fonctions de chef de cabinet le 30 juin pour piloter la création d'une académie de la mer.
Enfin, c'est Salim Zeghdar qui gère désormais la fortune personnelle du Prince, de la famille princière et de la Maison souveraine.