L'association de lutte contre le VIH, le Sidaction, organise sa nouvelle campagne de collecte de dons ces 22, 23 et 24 mars. Une mobilisation avec pour mot d'ordre "n'arrêtons pas le combat". 30 ans que l'organisation lutte contre le sida et ce qu'il en découle : la sérophobie.
Mathieu, qui avait accepté de témoigner anonymement auprès de France 3 Côte d'Azur en décembre dernier à Nice, a mis neuf ans à annoncer à sa famille qu'il est séropositif, par crainte de leur réaction. Aujourd'hui c'est à son travail qu'il n'en parle pas et cela lui pose aussi un problème dans sa vie sentimentale.
Il y a toujours une sérophobie ambiante. Moi ça a surtout été lors de rencontres avec d'autres hommes via des applications de rencontre, c'est toujours compliqué d'aborder le sujet.
Mathieu, séropositif dépisté en 2009Témoignage anonyme
Pourtant, grâce à son traitement trithérapie qui ne se résume qu'à la prise quotidienne d'un cachet, sa charge virale est indétectable et il peut vivre comme une personne séronégative. "Aujourd'hui, si j'ai un rapport sexuel sans protection, je ne lui transmettrai pas le VIH" ajoute-t-il pour être clair.
Malgré tout, la maladie continue de faire peur et l'information circule mal. 76 % des Français ignorent l'existence de la PrEP, ce traitement préventif pour éviter d'être contaminé, et 73 % ne savent pas qu'une personne séropositive sous traitement, comme Mathieu, ne transmet pas le VIH (sondage institut CSA, octobre 2021). Une ignorance qui n'aide pas à la lutte contre la sérophobie, la discrimination envers les personnes vivant avec le VIH.
Manque de visibilité
"Je suis l'un des séropositifs les plus visibles de France", se présente ainsi Nicolas Aragona, alias "Supersero" sur les réseaux sociaux.
Depuis trois ans, il a décidé de visibiliser sa séropositivité justement en réponse à cette sérophobie. À ses plus de 300 000 abonnés YouTube, Instagram et TikTok, il partage des vidéos humoristiques sur des remarques du quotidien, comme cette croyance que le VIH peut se transmettre par la salive.
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Il a découvert sa séropositivité à l'âge de 21 ans, "et cela a fracassé ma vie sociale", confie-t-il, "j'ai perdu tous mes amis, heureusement que ma famille s'est montrée présente." Pour lui, le problème c'est l'isolement que la séropositivité crée, "d'autant plus que nous n'avons pas réellement de structures pour nous accompagner, tout est fait pour la prévention seule."
Sur ses réseaux, il reçoit des dizaines de témoignages voire d'appel à l'aide chaque jour. Il y a deux ans, il aidait un ressortissant russe venant d'être dépisté positif et menacé par une obligation de quitter le territoire français, pour un pays homophobe où les traitements VIH sont inadaptés.
Avec son aide, le jeune homme a obtenu son titre de séjour et peut poursuivre son traitement, "mais depuis j'en ai eu trois autres des histoires comme ça" déplore-t-il. Nicolas réclame une ligne d'écoute "SOS sérophobie" auprès des grandes associations et leur reproche une absence de visibilité des personnes concernées par le VIH dans leurs campagnes et leurs événements. Car pour lui tout est lié, "si les gens ont peur des séropositifs, ils ne se feront pas dépister par peur du résultat, or le risque aujourd'hui ce ne sont pas les séropositifs qui eux, une fois détectés, suivent des traitements, mais la séro ignorance."
Un constat partagé par Charlotte Valandrey, rare personnalité du cinéma à avoir révélé sa séropositivité. Lors de sa dernière interview avant son décès en 2022, elle se demandait pourquoi elle n'a jamais été invitée au Sidaction.
Prendre la parole en tant que femme
Des témoignages de sérophobie, Pascale Bastiani aussi en reçoit beaucoup. Dépistée séropositive à ses 24 ans dans les années 1980 elle fait partie de l'ancienne génération, celle qui a milité pour que la médecine se penche enfin sur leurs cas et développe des traitements. Avec son groupe d'anciens toxicomanes, c'est justement le militantisme qui l'a sortie de l'isolement, "j'ai milité dès les premiers instants, je n'ai jamais craint de prendre la parole, puis ça fait aussi du bien à soi-même d'aider les autres." Aujourd'hui présidente d'A.C.SIDA, elle effectue essentiellement un travail d'écoute et d'orientation vers les bons médecins, les bons avocats etc.
Il n'y a pas si longtemps encore, une femme séropositive me racontait qu'on lui réservait un verre spéciale, rien qu'à elle, dans le bar où elle va, pour ne pas qu'il soit mélangé aux autres
Pascale Bastiani, Présidente de l'association A.C.SIDA
Aujourd'hui, 46% des nouvelles infections concernent des femmes, mais elles sont peu à oser en parler. Pascale, elle, ne manque pas de saisir l'occasion de témoigner de son expérience, du chemin parcouru par la recherche, de ce qu'il reste encore à faire pour lutter contre la discrimination.
L'année dernière, après une intervention dans les médias au moment du Sidaction, elle a retrouvé son véhicule rayé, mais un an après, elle enchaîne les interviews, car il ne faut pas arrêter le combat et jamais cesser de rappeler l'importance du dépistage.