L’artiste Thu-Van Tran présente “Nous vivons dans l’éclat” au Musée d’Art Contemporain de Nice - MAMAC. Une mise en lumière pleine de poésie d’une matière rare dans le monde muséal : le caoutchouc. Il s’agit là d’un univers qui fait la part belle à la double culture franco-vietnamienne de l’artiste.
Saigon. Le Mékong. Les plantations d’hévéas. Il était une fois l’Indochine… Ce n’est pas encore Ho Chi Minh ni le Vietnam.
Des marins français importent des plants d’un arbre qui fera la richesse des colons, également français, installés dans ce pays d’Asie du Sud-Est. C’est à eux que la majorité des terres fertiles sont cédées en concessions. Ce caoutchouc est compétitif. Des petites et de grandes plantations hévéicoles voient le jour.
Les populations locales y travaillent, main-d’œuvre docile et peu coûteuse. C’est le début de l’épopée du caoutchouc, l’emblème de la présence française en Indochine.
Lorsque je l'ai découvert, j'ai compris que je me retirais du monde analytique et linéaire pour vivre un monde de sens et de mystères. Ce matériau est incroyable. Quand on voit une saignée, quand on voit un tronc délivrer goutte par goutte cette sève blanche, on est pris d'un sentiment de beauté très, très fragile. On se dit que c'est comme vivre l'expérience de la forêt tropicale, une expérience sensorielle. On en oublie presque l’objet de notre quête quand on cherche une plantation parque qu'on est pris, d’une façon physique, par la moiteur, l'humidité, l'odeur du caoutchouc.
Thu-Van Tran, artiste.
Thu-Van Tran est née au Vietnam.
Même si elle l’a quitté à l’âge de 2 ans pour être élevée et grandir en France, elle réalise, à son retour sur le sol originel, faisant l’expérience des forêts tropicales, qu’elle a toujours rêvé en vietnamien…
Il y a eu cette révélation que la langue vietnamienne était encrée, loin en moi, et que la forêt tropicale avait toujours dessiné mon paysage intérieur.
Thu-Van Tran
Le bois qui pleure
Sa double culture s’enracine autour de cet “arbre à larmes” dont on entame au couteau la tendre écorce. Une blessure en spirale par laquelle perlent et s’écoulent des gouttes de latex.
Une saignée, plusieurs jours par semaine, toute l’année, ou presque.
“Quand on voit une saignée, c’est-à-dire un tronc délivrer, goutte par goutte, la sève blanche, on est pris d’un sentiment de beauté très très fragile."
Thu-Van Tran
Dans la culture vietnamienne, tout dans la réalité est interprétée. Les signes, les gestes, les symboles bâtissent une relation au monde qui oscillent entre émoi et enchantement.
"L'arbre nous offre cette matière qui est d’abord très blanche, laiteuse, pure . Pas noire comme on l'imagine quand on l'associe aux pneus de voiture. Ma sensibilité de sculpteur et d'artiste a voulu investir cette matière de façon abstraite. "
“Nous vivons dans l’éclat”
Sur plus de 1000 m², l’exposition “Nous vivons dans l’éclat” mêle et entremêle les récits historiques et les mythologies intimes de l’artiste.
Thu-Van Tran revient de rêves en allégories sur les liens entre la France, l’Occident et le Vietnam. La surexposition à la brûlure du soleil se déploie sur les immenses fresques.
Ici une peau de caoutchouc sur laquelle se fondent et s’entrecroisent des symboles : le crépuscule et la mort, la parole volée, la quiétude de la lune.
Là, des moulages de troncs d’hévéas en cire comme autant de cercueils alignés. L’arbre saigne encore et l’incandescence de ses cicatrices brûle les yeux. Une sourde violence que ce tronc rouge qui convoque les ambiguïtés de l’Histoire.
Un peu plus loin, un onirique paysage de feuilles et d’ailes d’oiseaux pétrifiées. Une mystérieuse légende. Celle du désarroi des paysans qui changea les roches en oiseaux. S’envolant à tire d’ailes, leur chant permis aux miséreux coolies de retrouver sommeil et quiétude à la lueur de la lune.
Une expo de l'artiste est aussi visible en ce moment à Paris :
Voir cette publication sur Instagram
L'exposition “ Nous vivons dans l’éclat ” Thu-Van Tran est à voir jusqu’au 1er octobre 2023 au MAMAC à Nice.