Affaire Legay : "Vous êtes remis en cause assez sévèrement", la présidente face au commissaire Souchi

Ce jeudi 11 janvier 2024 s'ouvre à Lyon le procès du commissaire Rabah Souchi, poursuivi pour avoir provoqué par ses ordres les violences dont a été victime Geneviève Legay à Nice pendant une manifestation des "gilets jaunes".

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Nous suivons le procès qui se tient au tribunal correctionnel de Lyon. Les débats se sont prolongés tard jeudi soir. 

23h00 : suite du témoignage du policier

Ni lui ni sa section au sein de la compagnie d'intervention (CDI) n'ont jamais été auditionnés dans le cadre de l'enquête. Alors qu'il dirigeait l'une des 3 sections de la CDI qui a participé à la charge au cours de laquelle Généviève Legay a été blessée.
"Dans les jours qui ont suivi, avec ma section on est allés voir le major Vouriot (celui qui a poussé Madame Legay) pour le soutenir, il nous a suppliés de ne rien faire."
Me Liénard prend la parole : "Vous lui en voulez au commissaire Souchi ?"

Au final, l'avocat du commissaire "charge" le major qui a poussé Geneviève Legay et ce chef de section de la même compagnie, cité par la défense mais qui torpille le commissaire. 

La salle d'audience est sidérée par ce témoignage. 

21h13 : témoignage d'un policier cité par la défense de Rabah Souchi, Me Liénard. 

Le policier reprend le déroulement des faits ce jour-là : "Place Garibaldi, on a reçu l’ordre d’engager un groupe de manifestants. C’était bon enfant, pacifique. Vers 11h30 on a été remplacés par un escadron de gendarmerie mobile, nous nous sommes dirigés au milieu de la place, pour faire une vague de refoulement sur l’attroupement de Madame Legay. Instruction a été donnée d’inviter les gens à quitter les lieux. On se retrouve avec le commandant de la compagnie départementale d'intervention (CDI) Bastien et Souchi : « C’est pas comme ça qu’on fait une charge, vous la refaites, il faut les défoncer ».

"Je discute avec mes effectifs, vu le caractère pacifique je leur dis : pas question de charger. On arrive devant le Café de Turin. Ordre est donné de charger. Avec mes hommes on n’a touché personne. Tout s’est passé extrêmement vite, on n’a pas entendu les ordres du commandement. Pour moi c’était une vague de refoulement. Je considère que nous n’avons pas obéi à deux ordres illégitimes : effectuer des violences et de la part d’un commissaire qui ne commandait pas la force publique."

16h30 : la présidente s'intéresse à l'ordre donné par le commissaire. Était-ce proportionné et nécessaire ? 

La présidente : "Vous ne donnez pas d’exemple d’exaction, vous ne faites pas état de violences. Les mots qui reviennent c’est « calme ».
Rabah Souchi s'explique : "dans la mesure où le trouble existe, c’est nécessaire. Il faut libérer définitivement l’emprise. Tactiquement pour mettre un terme, la charge était le moyen le plus adapté, et il y a la réalisation de l’ordre. La charge n’est pas rentrée au contact des manifestants. C’est le geste du major qui est à l’origine de la chute."
La présidente reprend les conclusions de l’IGPN : "la stratégie et les ordres du commissaire se caractérisent par un manque de clarté et un aspect directif. Les ordres qu’il a donnés sont avérés inadaptés". Elle conclut : "Vous êtes remis en cause assez sévèrement".

14h30 : reprise de l'audience. La cour revient sur la personnalité du commissaire.

Rabah Souchi, 54 ans, est entré dans la police nationale en 1993 comme gardien de la paix. En 2003, il a réussi le concours de commissaire. En 2015, il est devenu commissaire divisionnaire, chef du service de la voie publique à Nice. Il rappelle le contexte des faits : "Les autorités avaient toutes en tête les exactions qui avaient lieu à Nice. Cette manifestation était un appel national et se faisait dans le cadre de la visite des présidents Chinois et Français à Nice. Il y avait une vraie inquiétude sur cette préparation."

La présidente essaye de comprendre son état d’esprit par rapport aux manifestations précédentes.
Rabah Souchi répond : "après coup, effectivement, j’étais dans un état de fatigue et d’usure réelle, à travailler tous les week-ends, à encadrer les manifestations et éviter que ça dégénère."

12h20 : L’audience se poursuit avec la diffusion d'un extrait vidéo de la conférence de presse du procureur de l'époque, Jean-Michel Prêtre. Celui-ci n'est pas présent à l'audience. 

(NDLR : Le procureur avait quitté son poste en 2019 après quatre ans et demi de service. À 61 ans, il a rejoint la cour d'appel de Lyon en tant qu'avocat général. Une mutation qui est considérée comme une rétrogradation suite à l'affaire Geneviève Legay, dont sa gestion a été mise en cause.)

11h55 : Des photos tirées de la vidéo de la charge filmée par France 3 Côte d’Azur sont diffusées dans le tribunal. Le commissaire Rabah Souchi décrit ce qu’il voit sur l’image : "Quand la ligne de charge arrive à hauteur de Madame Legay, il semble qu’elle est déjà au sol."
La présidente remarque : "c’est nouveau ce que vous dites là"
Le commissaire affirme : "la ligne de charge, les porteurs de boucliers chevauchent Madame Legay qui est déjà au sol."

La vidéo de France 3 Côte d'Azur est ensuite diffusée. 

On y voit la septuagénaire bousculée par un policier qui tombe par terre, son visage est ensanglanté. 

La présidente reprend : "ces images sont tout de même éloquentes."
Le commissaire se défend : "je vous confirme que la ligne de charge ne s’arrête pas. On ne le voit pas mais une personne se décale. Il faut voir la vidéo de face. Le journaliste n’a jamais donné cette vidéo mais je l’ai encore visionnée récemment sur internet. Je ne dis pas que Madame Legay n’est pas tombée lors de cette phase. Je ne suis pas un chef qui se cache derrière ses responsabilités."
La présidente souligne : "vous ne produisez pas cette vidéo."

10h30 : Maître Laurent-Franck Liénard, avocat du commissaire, dénonce l’incompétence du tribunal qui selon lui, ne peut pas poursuivre pour complicité de violences suite à un ordre illégal. 

« Nous sommes dans le cadre d’une opération de police administrative, du maintien de l’ordre. La légalité de cet ordre ne relève pas de votre tribunal, elle relève de la compétence du tribunal administratif », explique l'avocat. 

Quelques jours avant l'audience, Me Liénard avait déjà défendu "l'absurdité juridique" de ce procès. 

Me Alimi rétorque : "tout acte, y compris administratif, peut revêtir une qualification pénale."

Le procureur souligne : "vous êtes saisi d’une infraction pénale : la complicité d’un délit de violence".

10h00 : Le préfet ne viendra pas à l’audience. Cité, le préfet Georges-François Leclerc a écrit au tribunal pour indiquer qu’il doit gérer la crise des inondations du nord. Il rappelle qu’il a été longuement été entendu par les magistrats et n’a rien à ajouter. 
L'avocat de Geneviève Legay, Arié Alimi, sollicite des poursuites contre lui pour ne s’être présenté à une convocation de justice.

"Un préfet, représentant de l’Etat, méprise l’institution judiciaire. Je demande qu’il soit convoqué dans la journée ou d’ici demain."

Réponse du procureur : "la présence du préfet me paraît inutile". Il explique qu'on ne juge pas l'ordre de dispersion donné par le préfet mais l'ordre de chargé donné par Rabah Souchi.

9h30 : L'audience a pris un peu de retard. Elle devait commencer à 9h30 au palais de justice de Lyon. Le procès va s'ouvrir dans la plus grande salle d'audience du tribunal, remplie de militants venus soutenir Geneviève Legay. Au fond de la salle ont pris place quelques représentants de syndicats de police, dont Laurent Martin de Frémont, le secrétaire départemental d'Unité SGP Police.

8h45 : Le commissaire Rabah Souchi, est arrivé très tôt au palais de justice de Lyon. Il est jugé pour "complicité de violences par une personne dépositaire de l'autorité publique". 

Son avocat s’est chargé de répondre à la presse, face à un dossier truffé de témoignages à charge.

Devant les journalistes, Me Liénard s'est expliqué : "on va débattre du caractère erroné de l'ordonnance de renvoi. On ne fait pas le procès de la police, on juge un homme cité devant le tribunal correctionnel". Pour lui, ce procès n'est pas celui des violences policières. 

Sur la charge des policiers ordonnée par son client, il déclare : "Le commissaire donne un ordre dans l'application de la loi, il n'est pas responsable de l'ensemble des actes individuels des actes des fonctionnaires qui sont sous ses ordres."

L'avocat compte plaider l'incompétence du tribunal et la relaxe de son client. 

"On n'oublie pas, on ne pardonne pas, Geneviève, Geneviève !"

Le commissaire a fui les micros et les objectifs, menaçant même de poursuites certains journalistes s’ils le filmaient. Une attitude contrastant avec celle de Geneviène Legay, aujourd'hui âgée de 77 ans, entourée de plusieurs dizaines de soutiens dès son arrivée. Des militants ont scandé : "On n'oublie pas, on ne pardonne pas, Geneviève, Geneviève !"  Ou encore : « on est là même si Souchi ne veut pas, nous on est là ! ».

L'un d'entre eux porte un immense panneau : "Justice pour Geneviève Legay".

La retraitée militante a répondu aux questions des nombreux journalistes présents sur place. "J'aurais aimé que ça n'existe pas (...) Ce que je veux, c'est que justice soit rendue et on va essayer d'être sereine", a-t-elle déclaré. Geneviève Legay était la porte-parole d'Attac dans les Alpes-Maritimes. "À travers mon affaire, je veux attirer l'attention sur les violences policières", dit-elle, en espérant que des victimes issues de quartiers populaires soient reconnues à leur tour.

Rappel des faits

Les faits se sont déroulés il y a 4 ans, dans un contexte de manifestations du mouvement des "gilets jaunes" en France. 

Le 23 mars 2019 à 11 h 42, Geneviève Legay, 73 ans au moment des faits, a été grièvement blessée lors d’une charge policière place Garibaldi pendant un rassemblement des "gilets jaunes". Une charge ordonnée par le commissaire de l'époque, Rabah Souchi.

Cette charge était-elle proportionnée ?

La retraitée niçoise est sur le banc des parties civiles face au commissaire Rabah Souchi. Il est poursuivi pour avoir, par ses ordres, provoqué des violences par dépositaire de l'autorité publique (un policier de la compagnie départementale d'intervention des Alpes-Maritimes). Les blessures de Geneviève Legay ont entraîné une incapacité totale de travail (ITT) de quatre mois. 

Un rapport de l'IGPN (l'inspection générale de la police nationale) pointe du doigt les actes du commissaire Souchi. Selon plusieurs témoignages, il a exigé une charge policière, alors que les manifestants ne présentaient pas de danger.

La gendarmerie aurait refusé d'engager son escadron

L'IGPN met aussi en avant un rapport de la gendarmerie en date du 25 mars, soit deux jours après l'accident de Geneviève Legay. Le capitaine de la gendarmerie aurait refusé d'engager son escadron, soit 70 hommes, estimant que la charge décidée par le commissaire Rabah Souchi, responsable des opérations était "disproportionnée" face à "une foule calme" c'est-à-dire des manifestants calmes ne présentant aucun signe d'hostilité envers les forces de l'ordre, et en l'absence de dégradation à déplorer.

Le procès a été dépaysé à Lyon. Un dépaysement demandé par les avocats de Geneviève Legay, Maîtres Mireille Damiano et Arié Alimi.

Le tribunal correctionnel doit examiner le déroulement des faits, minute par minute, pour déterminer les responsabilités.

5 ans de prison encourus

Le commissaire encourt jusqu’à 5 ans de prison pour complicité de violences par ordres. Demain vendredi 12 janvier, la parole sera donnée au procureur et à la défense.

Le procès étant prévu sur deux jours, il se peut que les réquisitions et la défense concluent vendredi, selon les informations obtenues auprès des avocats.
La France a été plusieurs fois rappelée à l'ordre par l'ONU et le Conseil de l'Europe pour "usage excessif de la force" par ses gendarmes et policiers, ce que Paris a systématiquement contesté.

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