11h42, le 22 mars 2019, le commissaire Rabah Souchi ordonnait une charge contre des manifestants gilets jaunes à Nice, la septuagénaire Geneviève Legay en garde aujourd'hui les séquelles et blessures. A 54 ans, Rabah Souchi sera jugé ce jeudi 11 janvier à Lyon pour complicité de violence par une personne dépositaire de l'autorité publique.
Reporté, le procès de l'affaire Legay s'ouvre ce jeudi au tribunal correctionnel de Lyon, ordres disproportionnés ou légitimes ? Le commissaire divisionnaire des Alpes-Maritimes, Rabah Souchi devra répondre de ses injonctions.
Rappel des faits
En mars 2019, des Gilets jaunes déambulaient lors d'une manifestation interdite par la préfecture. Tout près, de la place Garibaldi, à Nice, Geneviève Legay militante de 73 ans, recevait une charge de la part des policiers. Ses blessures ont entraîné une incapacité totale de travail (ITT) de quatre mois.
A un moment, je pivote et je vois des CRS casqués, la mine patibulaire, franchement quand je les ai vus j’ai pris peur. Et là, je me dis « Geneviève, qu’est-ce qui va t’arriver ? », et puis je me dis « mais non, il ne va rien t’arriver, tu as un drapeau de la paix et tu ne fais rien à part dire Liberté de manifester », et là, c'est le trou noir.
Geneviève Legay
Le donneur d'ordre, Rabah Souchi alors commissaire, encadrait les policiers surveillant la manifestation. Pour son avocat, Maître Laurent-Franck Liénard, Rabah Souchi n’a jamais donné d’ordre de commettre des violences, "il a donné un ordre de charge qui est un acte régulièrement donné par les commissaires de police dans le cadre de manifestations. Et il ne peut pas être complice d’une infraction qui n’existe pas puisque l’auteur principal n’est pas poursuivi". L'auteur principal, le major Michel X, qui a été entendu comme témoin assisté dans la procédure.
C'est bien Rabah Souchi, son supérieur qui est poursuivi pour avoir, par ses ordres, provoqué des violences par dépositaire de l'autorité publique.
Des ordres inadaptés à la situation
Cette charge était-elle proportionnée ? Un rapport de l'IGPN (l'inspection générale de la police nationale) pointe du doigt les actes du commissaire Souchi. Selon plusieurs témoignages, il a exigé une charge policière, alors que les manifestants ne présentaient pas de danger.
L'IGPN met aussi en avant un rapport de la gendarmerie en date du 25 mars, soit deux jours après l'accident de Geneviève Legay. Le capitaine de la gendarmerie aurait refusé d'engager son escadron, soit 70 hommes, estimant que la charge décidée par le commissaire Rabah Souchi, responsable des opérations était "disproportionnée" face à "une foule calme" c'est-à-dire des manifestants calmes ne présentant aucun signe d'hostilité envers les forces de l'ordre, et en l'absence de dégradation à déplorer.
Le 5 janvier dernier, l'avocat de Rabah Souchi, répondait à une interview de France 3 Côte d'Azur concernant l'attitude très calme des manifestants, il justifiait :" les manifestants refusaient de plier aux injonctions policières, on a le droit d’évacuer les gens. On utilise la force quand c’est véritablement nécessaire, et en l’espèce, c'était nécessaire puisque Madame Legay avait à plusieurs reprises invoqué le fait qu’elle ne partirait pas, sauf usage de la force."
Des policiers entendus par l'IGPN ont, eux aussi, pointé des dysfonctionnements : en ordonnant lui-même la charge au mégaphone, le commissaire aurait à la fois surinterprété "l'ordre de dispersion" donné par le préfet et court-circuité les chefs d'unité.
Il y a trois militaires de la gendarmerie qui parlent de mon client en des termes négatifs ; j’ai beaucoup de policiers et gendarmes qui sont à son soutien également...
Maître Laurent-Franck Liénard, avocat de Rabah Souchi
"Procès des violences policières"
De son côté, la militante altermondialiste, voit dans son procès une forme de jurisprudence pour les victimes de violences policières : "Je me bats pour l’affaire Legay, mais je me bats aussi pour toutes les violences policières… Il y en a marre que les violences policières ne soient pas reconnues par l’État ! L’État donne des ordres implicites, et il y a beaucoup de morts… Donc, je voudrais faire de ce procès un procès des violences policières, qu’on les condamne une fois pour toutes !", avait-elle déclaré en automne dernier.
Dans cette interview, elle donnait également des nouvelles sur sa santé, presque 5 ans après les faits : "J’ai toujours zéro odorat, je n'ai pas tous les gouts, j’ai 30 % de moins à l’oreille droite, quand je marche, je titube, et ça fait plus de quatre ans que je suis chez un psy."
Quant à Rabah Souchi, ce procès sera déterminant pour la suite de sa carrière. Resté à son poste jusqu'à fin 2023, il espère aujourd'hui rejoindre la police municipale de Nice. Sa candidature pour un poste de directeur adjoint a été retenue en septembre, la mairie de Nice nous avait confié en décembre dernier "la ville attend la confirmation du détachement demandé au ministère de l'Intérieur et l'avis de la commission de déontologie avant d'entamer son recrutement".
Un avis qu'il sera sans doute remis, une fois le procès passé.