Alors que s'ouvre, ce jeudi 11 janvier à Lyon, le procès du commissaire Rabah Souchi, poursuivi pour avoir provoqué par ses ordres les violences dont a été victime Geneviève Legay en 2019 à Nice, son avocat, Maître Laurent-Franck Liénard, dénonce une procédure "absurde" engagée contre son client.
Il est connu comme "l'avocat des flics". Pénaliste spécialiste de la légitime défense et des forces de l'ordre, Maître Laurent-Franck Liénard, du barreau de Paris, sera aux côtés du commissaire Rabah Souchi la semaine prochaine devant la 16ᵉ chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Lyon.
Avocat de la défense dans la très médiatique "affaire Legay", du nom de cette militante d'Attac et du mouvement des Gilets jaunes grièvement blessée lors d'une manifestation interdite à Nice le 23 mars 2019, il devra répondre aux accusations portées contre son client.
Deux juges d'instruction, au terme de plusieurs mois d'enquête, ont en effet décidé de renvoyer le commissaire Souchi devant un tribunal pour avoir, par ses ordres, provoqué des violences par dépositaire de l'autorité publique (un policier de la compagnie départementale d'intervention des Alpes-Maritimes) ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) de quatre mois.
France 3 Côte d'Azur : Est-ce, comme l'affirme Geneviève Legay, la première fois qu’un policier "donneur d’ordre" est poursuivi ?
Maître Laurent-Franck Liénard : "pas le moins du monde, les donneurs d’ordres sont poursuivis régulièrement. La cour de cassation a déjà eu à trancher cette question d’ailleurs sur un commissaire de police qui avait donné un ordre de lancer des grenades de désencerclement. Le débat judiciaire a déjà eu lieu."
(Fin 2018, un commissaire de police a été condamné à cinq mois de prison avec sursis pour blessures involontaires ayant entraîné une incapacité de plus de trois mois après avoir ordonné de disperser un attroupement à Grenoble en 2007. Lors de l’opération, une étudiante qui passait à proximité des lieux avait été grièvement blessée à l’œil pour une grenade de désencerclement. NDLR)
Cela reste une situation exceptionnelle. Les juges d’instruction ont conclu qu’il était à l’origine des violences commises sur Geneviève Legay, car il a donné un "ordre illégal" de charger les manifestants…
Maître Laurent-Franck Liénard : "l’ensemble de cette procédure judiciaire est une hérésie, c’est une absurdité juridique ! Vous avez un policier qui a commis des violences sur Madame Legay. On sait que son acte n’était pas légitime : il a poussé Madame Legay alors qu’il n’aurait pas dû le faire. Ce policier n’est pas poursuivi, parce qu’il bénéficie d’un fait justificatif, une exonération de responsabilité pénale."
(Il s'agit du major Michel X, qui a été entendu comme témoin assisté dans la procédure, NDLR)
"Il n’a jamais donné d’ordre de commettre des violences"
Maître Laurent-Franck Liénard : "mon client est poursuivi pour être complice de ce policier parce qu’il aurait donné un ordre. Mais il n’a jamais donné d’ordre de commettre des violences, il a donné un ordre de charge qui est un acte régulièrement donné par les commissaires de police dans le cadre de manifestations. Et il ne peut pas être complice d’une infraction qui n’existe pas puisque l’auteur principal n’est pas poursuivi."
"J’espère que le tribunal va faire une analyse sérieuse et juridique de cette situation en constatant qu’on ne poursuit pas la bonne personne en essayant d’engager la responsabilité à tout-va du commissaire de police alors que celui qui est responsable des blessures de Madame Legay c’est celui qui a commis un acte… Désagréable, qu’il n’aurait pas dû commettre."
Nous déposerons des conclusions écrites visant à la relaxe pure et simple de ce commissaire de police qui n’a rien à faire devant ce tribunal.
Maître Laurent-Franck Liénard, avocat du commissaire Rabah Souchi.
Les témoignages sont pourtant accablants. Un colonel de gendarmerie parle de "consignes à l’emporte-pièce", le commandant de l’escadron présent sur la manifestation décrit une charge policière "instantanée, brutale et violente (…) en totale disproportion face à une foule d’une trentaine de personnes assez âgées, très calmes"…
Maître Laurent-Franck Liénard : "nous avons des témoignages qui sont accablants concernant la personnalité ou le comportement de mon client... Est-ce que ces témoignages confirment l’existence d’une quelconque faute pénale ? Pas du tout !
Ça veut dire quoi "ordonner une charge brutale ou violente" ? Il n’est pas poursuivi pour avoir commis une charge, il est poursuivi pour l’avoir ordonnée. Il n’a pas ordonné une charge brutale ou violente, il a ordonné une charge.
Après, la manière dont on procède à cette charge, c’est ceux qui y procèdent qui sont responsables et Monsieur Souchi a simplement donné l’ordre d’évacuer ces gens. Le premier stade, le plus minime, c’est celui de la charge. Qu’il l’ait donné avec un ton qui ne plait pas aux gens, peu importe !
La question, c'est de savoir si on peut être condamné pénalement parce qu’on utilise un ton qui ne convient pas aux autres. Je suis désolé, mais on est très loin de la constitution d’une infraction."
Il est ici question de manifestants décrits comme "très calmes"...
Maître Laurent-Franck Liénard : "la question du comportement des gens qui occupent illicitement un espace public et qui troublent l’ordre public n’entre pas en ligne de compte dans la charge ou pas la charge (la manifestation se déroulait dans un périmètre couvert par un arrêté interdisant toute manifestation ce jour-là, NDLR)
Charger des manifestants c’est les repousser et les faire évacuer de l’endroit qu’ils occupent. Ça s’oppose à une vague de refoulement qui consiste à emmener des manifestants d’un point à un autre ; la charge, c’est les faire partir."
Les manifestants refusaient de plier aux injonctions policières, on a le droit d’évacuer les gens. On utilise la force quand c’est véritablement nécessaire, et en l’espèce c’était nécessaire puisque madame Legay avait à plusieurs reprises invoqué le fait qu’elle ne partirait pas, sauf usage de la force.
Maître Laurent-Franck Liénard, avocat du commissaire Rabah Souchi.
Plusieurs gendarmes, dont un colonel, contestent la légitimité de l’usage de la force. C'est également la conclusion de l'enquête de l'IGPN…
Maître Laurent-Franck Liénard : "il y a trois militaires de la gendarmerie qui parlent de mon client en des termes négatifs; j’ai beaucoup de policiers et gendarmes qui sont à son soutien également...
Le fait qu’il ait eu une interaction désagréable avec des officiers de gendarmerie et qui leur ait dit ce qu’il pensait de leur manière de faire ça n’a pas plu aux gendarmes, qui se sont sentis frustrés ou blessés dans leur orgueil. C’est une querelle d’égo, ça n’a strictement rien à voir avec une analyse juridique de la situation.
Propos recueillis vendredi 5 janvier.