"Clairement à droite !" Grâce à l'intelligence artificielle, ce chercheur de Nice analyse le discours des voeux de Christian Estrosi

Un chercheur niçois a utilisé l'intelligence artificielle pour mieux comprendre ce qu'il se cache dans les mots choisis par Christian Estrosi lors de ses vœux en janvier dernier. Et aussi sûr que 1+1 font 2, on comprend vite que Christian Estrosi tient bien un discours de droite plus "sarkozyste" que "macroniste".

Chercheur au CNRS, professeur à l'Université Côte d'Azur et membre d'une unité de recherche sur le corpus du langage, Damon Mayaffre étudie le discours politique depuis sa thèse. Il publie en 2021 Macron ou le mystère du verbe (aux éditions de l'Aube).

Pour France 3 Côte d'Azur, il a comparé avec ses outils le discours prononcé par Christian Estrosi à celui des discours du Président de la République. Le constat est formel : Estrosi/Macron même combat mais Estrosi/Sarkozy encore plus ! 

Nathalie Layani de France 3 : Quand on entend ça dans la bouche du maire de Nice : "Donc le vœu que je veux formuler cette année, ce n'est pas celui de dénoncer. Parce que aujourd’hui on vous invite à des vœux, on vous invite à des fêtes patronales, c'est pour taper. Moi, quand j’invite à des fêtes ou quand je vous convie aux vœux, c'est pour nourrir quelque chose de puissant pour l’avenir."

On s’attend plutôt à des vœux lisses et consensuels, mais en fait pas du tout non ? 

Damon Mayaffre : "En effet, c’est ce qui ressort de la machine ! Habituellement, les vœux sont un peu à l’eau tiède, un peu consensuels, on souhaite une bonne année et une bonne santé à tous. Et chez Christian Estrosi, malgré ce qu’il dit, c’est au contraire presque une campagne électorale qui s’ouvre et avec des mots très forts, un positionnement politique et idéologique très marqué."

Plutôt à droite ?

Damon Mayaffre "Clairement à droite ! Son discours est pris dans une contradiction. Il doit à la fois donner des gages au macronisme et à son ralliement avec Emmanuel Macron. Et en même temps, il force le trait du côté droit avec des mots très très puissants, très forts, presque à la limite du républicanisme."

France 3 : "Justement, on va voir ces mots. On voit apparaître sur cette image ces mots en rouge qui sont comme des mots-clés. On lit « communautarisme » on lit « peste » « puritanisme » « métastase ». Vous ne vous attendiez pas un tel champ sémantique, d’ailleurs, il parle de quoi à ce moment-là ? Il parle de la gauche… Tout simplement, de son opposition à la gauche, un peu de l’écologie et du wokisme. 

Et effectivement, c'est des mots que l’on ne retrouve pas dans le discours politique habituel, tout simplement parce que traiter l’adversaire de "métastase" de "cancer" ou de "peste", c’est très rare.

Damon Mayaffre, professeur à l'Université Côte d'Azur

"C’est loin du discours consensuel qu’il prétendait tenir. Et c’est vrai que ce sont des mots qui peuvent désobliger quand même un électorat de gauche, mais aussi de droite puisque là, nous sommes sur des discours qui font plutôt penser lointainement à un discours de Jean-Marie Le Pen."

Selon vous, il va très loin dans le champ lexical, de droite jusqu’à l’extrême droite, dans la nature des mots ?

"Tout à fait ! Par exemple, quand il traite de l’écologie, il utilise d’autres mots désobligeants. « Lézard » ce n’est pas à propos de l’écologie, mais c’est pour dire que les écologistes sont complètement irresponsables de s’opposer à quelques projets immobiliers au nom de la protection de lézard. Par exemple, lorsqu’il traite de la politique internationale, il a des mots très très forts pour disqualifier Mélenchon ou les positions qui ne sont pas les siennes. Très sionistes, très « défense d’Israël » en dépit des résolutions de l’ONU. Il cherche par son vocabulaire, c'est ça qui ressort de la machine, à marquer les esprits plutôt du côté droit de l’échiquier."

Sur ce graphique, un nuage de mots, on peut voir des mots regroupés en haut, en bas, plutôt à gauche, plutôt à droite ! Qu’est-ce que ça dit sur le fond de son discours ?


"Cela dit que c’est un discours qui cherche une sorte d’équilibre. Il est un peu enfermé dans ce cercle-carré du macronisme et du positionnement très à droite. Il va utiliser un certain type de vocabulaire susceptible de plutôt faire écho à une position plus centriste, plus consensuelle. Et puis en même temps, comme on le voit sur le graphique, une grappe de mots qui sont là au contraire pour marquer du côté droit voire du côté de l’extrême droite. Et ça, c’est assez habile, c’est un discours un peu du « en même temps » où ça peut ressembler à du Macron… 

Mais le vrai point commun avec les vœux d’Emmanuel Macron, c’est que l’intelligence artificielle chiffre à 61 % pour Macron son discours comme étant de droite et à 66 % chez Christian Estrosi comme étant de droite. Donc la tonalité générale des deux locuteurs est identique.

Damien Mayaffre.


 
Est-ce que vous diriez que Christian Estrosi est malgré tout macroniste dans le verbe ?

"Il y a des points communs, mais il y a aussi des différences. En ce sens, on peut sans doute plus rapprocher Christian Estrosi de Nicolas Sarkozy parce qu'il joue de l’hyperbole lexicale. Des mots forts qui ont caractérisé la prose de Nicolas Sarkozy et en même temps une syntaxe efficace, assez pauvre qui est très caractéristique de Nicolas Sarkozy. Donc il y a des points communs, mais on le sait aussi, le discours de Macron lui-même est assez proche finalement de celui de Nicolas Sarkozy."


Et lorsque vous dites qu’il utilise des mots rares qui vous ramènent très loin dans l’histoire jusqu’à Jean-Marie Le Pen, en tout cas jusqu’à l’extrême droite, est-ce que ça veut dire qu'il adopte ses idées d’extrême droite ou tout simplement qu’il est déjà en campagne et qu'il s’adresse à ses électeurs ?


"Moi, je pense qu’il y a là plutôt une stratégie rhétorique qui consiste effectivement à marquer son territoire face à un électorat niçois qui pourrait être tenté peut-être par Eric Ciotti ou peut-être par le Rassemblement national. "

Est-ce que votre logiciel est capable de créer des discours ? Est-ce que des hommes politiques vous ont déjà demandé de le faire pour eux ?

"Oui, et même des hommes politiques locaux, mais je ne peux pas dire les noms ! Mais il ne faut pas s’en offusquer. Les hommes politiques sont peut-être un peu comme nos étudiants de Master, c’est-à-dire qu’ils pensent qu’avec Chat GPT, on peut produire des mémoires ou des discours."

Vous avez dit non ?

"Évidemment, on a dit non ! On a cette éthique de faire de la science et pas de la politique. "

Interview réalisée le 5 février 2024, à revoir ici.


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