Daniel et Christian exploraient le "tombant des Américains" le 4 décembre 1993, un site de plongée devant Nice renommé, mais dangereux avant de disparaître. Un plongeur de l’extrême a découvert une dépouille par hasard, 30 ans après. Les gendarmes vérifient l'identité des corps.
S'agit-il de Daniel et Christian, les deux plongeurs disparus il y a 30 ans ? C'est la question que se posent les familles, les enquêteurs et le petit monde de la plongée suite à publication faite par Nice-Matin.
Les faits remontent au 4 décembre 1993. Trois Niçois décident de plonger en eaux profondes entre le cap de Nice et la rade de Villefranche-sur-Mer, sur le site appelé couramment le "tombant des Américains", devant le boulevard Maeterlinck. Ils embarquent sur le bateau qui appartient au club de plongée niçois le Poséidon. Un endroit connu pour la beauté de ses fonds, mais aussi très dangereux.
Deux d'entre eux ne reviendront jamais de ces profondeurs. Daniel V. 38 ans et Christian T., 40 ans, sont portés disparus depuis 30 ans. Le seul rescapé est le plus jeune, Philippe. Il avait 22 ans au moment de l'accident.
Avec le temps, seuls les plongeurs locaux se rappellent cette tragédie.
Richard Vial, responsable du Centre international de plongée (CIP) à Nice, se souvient : "c’était pendant la période du salon nautique. Les trois hommes faisaient une plongée profonde sur le tombant "orlamonde" (baptisé le tombant des Américains, car il y avait un hôpital américain durant la guerre), il tape jusqu’à 140 mètres. Le gars qui était remonté, il avait passé un examen chez nous et il n’avait pas été reçu car il n’avait pas rempli les critères de plongée à 40 mètres."
Un accident à 72 mètres de profondeur
Selon le moniteur de plongée, l’accident s’est produit à 72 mètres. "On le sait, grâce à l’ordinateur de plongée, comme une boîte noire, on peut le connecter à un ordinateur et avoir la courbe de plongée. On sait où lui a quitté le fond… lui, il est remonté."
Mais, comme le jeune plongeur n'a pas respecté les paliers de décompression, il a perdu connaissance et a dû être placé en caisson hyperbare.
Alertés, les marins du Cross Med ont cherché les deux autres plongeurs pendant plusieurs heures, aidés par la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM) avec la vedette Catherine-Ségurane et l’hélicoptère de la Sécurité civile.
En vain. Ils ne les ont jamais retrouvés. Reportage réalisé le 5 décembre 1993 par France 3 Côte d'Azur :
"Le risque, c'est la narcose, l'ivresse des profondeurs"
Comme beaucoup, Richard Vial se pose la question de l'identification. Il remarque qu'une "quinzaine de plongeurs aurait disparu depuis les années 60, ça peut être d’autres personnes."
Pour lui, "les blocs qu’ils avaient sur le dos, c’est le seul moyen de les identifier avec la couleur et le modèle des bouteilles.(...) Ils sont en état de squelette avec tous les crustacés et les prédateurs qu’il y a là-dessous. C’est totalement macabre, mais les crabes, les langoustes... mangent tout !"
Un site particulièrement beau et dangereux.
"À l’époque, en 1993, il y avait un arrêté de 1991 qui disait qu'on ne devait pas dépasser 60 mètres, on tolérait seulement un dépassement accidentel de 5 mètres." Mais, vraisemblablement, les trois Niçois auraient dépassé les profondeurs autorisées.
Richard Vial explique : "Le risque, c'est la narcose, l'ivresse des profondeurs, et c’est sûrement ça qui s’est passé, ils ont commencé à couler." Les signes de la narcose comprennent des hallucinations, des pertes de mémoire et des comportements irrationnels.
Aujourd’hui, les plongeurs peuvent descendre plus bas en utilisant du « trimix », un mélange d’oxygène, d’azote et d’hélium. C'est ce qui s'est passé à la mi-décembre. Un plongeur a aperçu à 103 mètres une combinaison et une bouteille, il a alerté la gendarmerie maritime qui a fait appel à un robot du CEPHISMER (Centre expert de plongée humaine et d’intervention sous la mer).
Le quotidien local Nice-Matin explique le déroulement de ces recherches délicates dans les eaux profondes du cap de Nice, le 7 décembre dernier.
"Trois opérateurs guident le robot parti à la recherche du plongeur disparu. L’appareil ne peut pas voir à plus de 5 mètres. Il tâtonne pendant six heures puis finit par retrouver à 103 mètres la dépouille, un gilet stabilisateur, des palmes, des bouteilles, le tout posé sur le fond, en partie recouvert de limon. Le 12 décembre, nouvelle plongée, pour cette fois, remonter le plongeur. Le robot descend alors à 113 mètres pour faciliter la récupération du matériel. C’est alors que le second plongeur est aperçu par les opérateurs."
Recherche ADN sur les os
À Nice, le directeur d’enquête, M. Bessac, est en charge de ce "cold case". Il explique que l'identité est en cours de confirmation avec des analyses ADN. Comme la décomposition est très avancée, impossible de prendre les empreintes dentaires. Les dépouilles remontées à la surface sont des squelettes. La seule possibilité, c'est la recherche ADN sur les os.
Sur le matériel, l'enquêteur est plus circonspect. Il faudrait avoir un nom sur les bouteilles.
"On en est au début de l’identification. Les analyses sont très complexes à réaliser, les corps étant très détériorés", souligne le directeur d'enquête. Seule certitude à ce stade, il s'agit de deux hommes.
"On a contacté les familles pour les prévenir qu'il s'agit peut-être de Daniel et Christian. Mais vis-à-vis des familles, on ne peut pas se permettre de se tromper, il faut attendre les résultats pour confirmer, fin février, début mars 2024."
Mais M. Bessac est "relativement confiant" sur leur identité, car l'autopsie réalisée confirme d’autres éléments et seulement deux personnes sont portées disparues sur ce site.
Si les analyses génétiques sont confirmées, il restera à expliquer les circonstances de la tragédie. L'examen des corps pourrait permettre de lever les dernières zones d'ombre sur cette funeste palanquée.