Redonner vie aux victimes. C'est à ça aussi que peut servir un témoignage devant la cour d'assises spéciale au procès de l'attentat de Nice qui a causé la mort de 86 personnes le 14 juillet 2016. Les parents de Camille, décédée ce soir-là à 27 ans, ont choisi cette voie pour leur témoignage.
Un sourire si grand et sincère qu'il est communicatif, même lorsqu'on le voit sur les photos diffusées dans le cadre froid de la salle grand procès du palais de justice de Paris. La musique d'Ennio Morricone du film Il était une fois dans l'Ouest, un air calme et apaisant, résonne quand défilent les photos d'une vie.
Camille, toute petite au début du diaporama, grandit devant nos yeux. Toujours ce grand sourire aux lèvres. Parfois, on peut même imaginer son rire. On devine sa personnalité. On devine sa bonne humeur constante, sa joie communicative, sa générosité, son côté aventurière lorsqu'elle porte un sac à dos plus gros qu'elle devant une montagne, sa gentillesse, ses démonstrations d'affection.
On se demande ce que ça aurait été de lui parler, de sympathiser avec elle, devenir son amie peut-être.
Les parents de Camille sont là ce jeudi 29 septembre devant la cour d'assises spéciale du procès de l'attentat de Nice pour lui rendre hommage, parce que Camille a perdu la vie le soir de l'attaque.
Plusieurs jours "entre espoirs et faux espoirs"
Quand le drame survient, Anne et Philippe Murris sont sur un bateau près des fjords suédois pour célébrer leurs 30 ans de mariage. Dès qu'ils apprennent qu'il y a eu un attentat, ils font leur maximum pour rentrer au plus vite à Nice. Ils tentent de la joindre mais leurs appels et leurs messages restent sans réponse. Son frère Mathias rentre lui aussi de Royan aussi vite qu'il peut pour la chercher.
Les jours qui ont suivi l'attentat ont été très difficiles pour la famille Murris. Anne, Philippe et Mathias restent dans leur appartement à Nice dans une "anxiété effroyable" et ce sont des proches qui se chargent de faire le tour des hôpitaux pour savoir si elle est blessée quelque part.
Anne Murris fait plusieurs crises de tétanie "très spectaculaires" qui effraient son fils. "Une lueur d'espoir" nait le 17 juillet lorsqu'on les appelle pour leur dire qu'il reste une personne blessée qui n'a pas été identifiée. Une jeune femme, d'une vingtaine d'années, de sa corpulence. Mais celle-ci a un tatouage dans le dos.
"Ce n'est pas Camille, ce n'est pas son genre d'avoir un tatouage", se désole sa mère.
Je rêvais qu’elle soit blessée, confie Philippe Murris. Si elle était paraplégique, je me disais que j’allais arrêter de travailler et que je m’occuperais d’elle à plein temps. L’objectif c’était qu’elle soit vivante.
Le père de Camille.
Le soir du 17 juillet, la Maison des victimes appelle Philippe Murris pour lui demander de venir. Anne Murris fait une nouvelle crise de tétanie ce qui les empêche de s'y rendre. Philippe Murris insiste au téléphone pour qu'on lui dise ce qu'il en est. L'officier lui confirme sa crainte la plus grande. Ils ont identifié le corps de Camille. Philippe ressent une "douleur très vive, atroce".
"Mais enfin, nous en avions fini avec ces montagnes russes entre espoirs et faux espoirs", déclare-t-il l'air grave.
La famille Murris, comme la famille Borla et comme d'autres familles de victimes, a fait les frais d'un manque de tact à la Maison des victimes. Après avoir récupéré les quelques effets personnels de Camille dans une enveloppe kraft dont l'inventaire est fait avec une "voix dénuée d’empathie", la famille se voit demander si elle veut voir le corps de Camille.
Sa mère et son frère refusent mais son père commence à dire qu'il le souhaiterait. Il raconte :
On me coupe la parole et on me dit "on ne peut vous montrer que deux mains derrière une vitre". Ma femme s’effondre. Nous étions atterrés qu’on puisse nous annoncer cela de cette façon. J’en voudrai éternellement à ces personnes qui auraient dû faire autrement.
Philippe Murris.
Une souffrance différente pour chacun
La période qui a suivi a été très difficile pour Anne.
Longtemps, j’ai été déstructurée, désorientée, apeurée. J’ai composé avec la douleur, le chagrin, la fatigue immense, l’impossibilité de me nourrir, la culpabilité de vivre alors que l’ordre de la vie n'était pas respecté. La mort, mon corps l’a demandée. Mon esprit aussi. Un jour, j’ai vu la souffrance dans les yeux de mon fils. Pas celle de la mort de sa sœur, mais celle de me voir partir dans un monde dont je ne reviendrais plus. Ça a eu l'effet d'un électrochoc. Mon égoïsme m’a sauté aux yeux. Avais-je le droit de leur faire encore plus de chagrin ? J’avais un devoir : vivre pour mon fils, mon mari et Camille. Elle n’aurait jamais supporté de nous savoir malheureux à cause d’elle. Elle n’aurait jamais supporté de nous détruire. Par amour pour Camille, je devais avancer. Par amour pour mon fils, je devais aller de l’avant.
Anne Murris
Mathias et Camille n'ont même pas un an d'écart. Elle était l'aînée. "Quand ils étaient petits, ils aimaient se faire passer pour des jumeaux, raconte leur mère Anne à la barre. Ils étaient confidents, meilleurs amis, une paire indissociable, partageant le même cercle d’amis, les mêmes passions et une complicité hors norme."
Au mois de septembre 2016, Camille et Mathias devaient se mettre en colocation à Paris.
La perte de sa sœur a été très difficile pour lui aussi. Pendant quelques temps, il ne voulait plus voir de photo d'elle, ne voulait plus en parler. Il ne voulait pas non plus entendre parler de l'attentat ou de l'association Mémorial des Anges que ses parents ont créée. Il disait être fils unique quand on lui demandait sa situation familiale. Finalement, "petit à petit, c'est redevenu possible", explique son père. Il y a peu de temps, "mon fils nous a annoncé que l’entreprise qu’il créait s’appelait Camille et Mathias", dit-il avec le sourire.
Philippe Murris, lui, a réussi à surmonter les pires difficultés en retournant travailler en tant qu'instituteur. "J’ai repris mon travail avec appréhension, mais heureux de me retrouver avec les enfants, détaille-t-il.
Avec eux, on n'a pas un instant de répit, donc ça me permettait de ne pas penser à tout ça. Ça a été très bénéfique de reprendre le travail, je ne regrette pas du tout."
Elle a essayé de "rendre ce monde meilleur"
La famille souffre tous les jours de la perte de Camille.
Mais tous préfèrent se souvenir de sa vie pour lui rendre hommage. "Je ne veux pas que sa mort éclipse sa vie et cette personne merveilleuse qu’elle a été et qu’elle restera à tout jamais", déclare Anne Murris.
C'était une femme "toujours joyeuse, pleine de vie, toujours très enthousiaste, toujours de bonne humeur", dit son père. Pour sa mère, "Camille c’était la vie personnifiée, avec un rire communicatif, un sourire magnifique, les yeux pétillants, la co-auteure avec son frère des plus belles pages de ma vie".
Ce qui la rendait heureuse c’était de voir les autres heureux.
Philippe Murris
Il se demande "si ce terroriste l’avait connue, peut-être qu’il n’aurait pas commis cette abomination".
Camille avait réalisé son rêve trois mois avant l'attentat. Elle était partie en voyage humanitaire. Un projet qui effrayait un peu son père au départ, inquiet à l'idée de la laisser partir seule avec son sac à dos dans un pays inconnu. Il avait compris que c'était "quelque chose de très viscéral pour elle". Là-bas, elle a aidé des enfants qui n'avaient rien.
La plupart d’entre nous rêvons d’un monde meilleur. Camille est vraiment sortie de sa zone de confort pour essayer de rendre ce monde meilleur.
Anne Murris
Depuis son décès, son école de commerce a créé une bourse en son honneur qui récompense un étudiant méritant et engagé dans l'humanitaire, "afin de lui rendre hommage et promouvoir ses valeurs".
Pour son père, Camille "restera pour toujours mon rayon de soleil".
Un symbole de lumière pour une personne lumineuse.