Procès de l'attentat de Nice : le témoignage bouleversant d'Audrey Borla qui a perdu sa sœur jumelle Laura à 13 ans

Le soir du 14 juillet 2016, Audrey Borla a perdu sa soeur jumelle dans l'attentat sur la Promenade des Anglais à Nice. Six ans plus tard, la douleur d'avoir perdu "la moitié" de sa vie est toujours aussi intense. Ce mardi 27 septembre, elle a confié sa peine et sa colère à la cour d'assises spéciale à Paris.

Audrey Borla a choisi de ne pas témoigner le même jour que le reste de sa famille. Pour elle, "chaque témoignage est unique". Sa peine est unique. Le terroriste qui a tué 86 personnes le 14 juillet 2016 sur la Promenade des Anglais à Nice a tué sa sœur jumelle, Laura Borla. Elles avaient alors 13 ans et demi.

La jeune femme de 20 ans s'est avancée avec assurance jusqu'à la barre de la cour d'assises spéciale ce mardi 27 septembre au palais de justice de Paris. Les cheveux longs et blonds, de grands yeux bleus... En jetant un oeil à l'écran qui diffuse des photos des deux sœurs, on ne peut s'imaginer que trop bien à quoi ressemblerait Laura aujourd'hui. "On se ressemblait comme deux gouttes d'eau, confirme Audrey Borla. C'était mon miroir."

"13 ans et demi, c'est court" pour être avec celle qu'elle considérait comme "l'amour de [sa] vie, la moitié de [sa] vie". Les deux sœurs partageaient tout : leurs secrets, leur passion pour la danse, leur rêve de monter un salon de coiffure et d'esthétique ensemble, chaque minute de leur quotidien. 

Une dernière image apaisante

Audrey Borla se souvient de cette soirée avant le drame : "C’était extraordinaire, on passait une soirée incroyable, pas de prise de tête." Alors que le groupe marche sur la Promenade au retour du feu d'artifice, la dernière image qu'elle voit est celle de sa mère et sa sœur, bras dessus bras dessous, qui se réconcilient d'une dispute survenue la veille. "Je me souviens encore de mon sourire, j’étais rassurée de voir qu’elles n'étaient plus en train de s’engueuler", raconte-t-elle.

Dans son champ de vision, il y a aussi le camion meurtrier au fond : "J’entends ces cris, ça me résonne encore dans la tête, ça fait 6 ans. Je vois ce camion tout feu éteint, il zigzaguait sur nous. On était dans son axe. J’ai pris ma copine, je l’ai poussée parce qu'elle était dans son axe et les secondes qui suivent je sens encore le camion, cette ferraille qui résonne à côté de moi." Audrey Borla ferme les yeux.

Les instants qui suivent, ses parents les ont déjà racontés mardi 21 septembre. Audrey et son amie sautent sur la plage, elles enjoignent les parents à faire de même et c'est une fois sur la plage que tout le monde se rend compte que Laura est absente. "Je vois encore les gens sur la plage, des gens qui étaient rassurés d’être tous ensemble, et nous on était là à se demander où elle était."

Les deux sœurs inséparables s'étaient quittées quelques instants pour marcher et elles ne se retrouvaient plus. Audrey Borla confie ressentir de la culpabilité de ne pas avoir été avec sa jumelle à ce moment-là.

La "pire nuit" de sa vie

La jeune femme revit la scène par bribes devant la cour. Elle se souvient des draps "déjà sur les corps", "même plus blancs", quand la famille est remontée sur la Promenade des Anglais, de "l'odeur de sang", des "gens avec des téléphones qui rodaient autour des corps"... 

Audrey appelle son frère resté à la maison pour savoir si Laura est rentrée. Une incompréhension lui fait croire que oui, elle est bien rentrée à la maison : "L’espace d’une seconde, j’ai eu un baume sur le cœur. J’étais pas toute seule." Mais très vite, elle comprend mieux ce que lui dit son frère et là "tout s’est réaccéléré, cette peur, cette crainte, cette culpabilité".

Alors que ses parents poursuivent les recherches jusque très tard dans la nuit, Audrey Borla est raccompagnée chez elle par son amie et sa mère. Elle décrit une scène qu'elle ne peut pas expliquer : 

Pendant quelques instants, j’ai eu cette incapacité à respirer. J’ai eu cette douleur qu’une seule fois dans ma vie, je n'ai plus jamais eu ça depuis. J’ai eu l’impression de ressentir son dernier souffle. Quand elle n'allait pas bien, je le savais et c'était pareil pour elle. Là, je ne la sentais plus. Aujourd'hui, je ne la sens plus. Cette douleur, c’est comme si on me saignait le cœur. Cette douleur a duré 5 secondes, c'était les 5 secondes les plus dures de ma vie.

Audrey Borla

Malgré cela, Audrey garde espoir de revoir sa sœur. Elle passe la "pire nuit" de sa vie à se repasser les images en boucle de l'attentat, à rêver de sa sœur qui ne revient pas. 

Une annonce terrible

Trois jours passent avant que la famille Borla ait enfin des nouvelles. "C'était une éternité" pour Audrey. Quand leur présence est requise à la maison des victimes avec son frère et sa grande soeur Lucie, Audrey avait "un petit espoir". Le commissaire les appelle dans son bureau et leur annonce la nouvelle d'une manière regrettable. "Il dit "j’ai une bonne et une mauvais nouvelle, la bonne c’est qu’on a retrouvé votre sœur, mais la mauvaise nouvelle c’est qu’elle est sans vie." Je ne suis même pas restée une minute dans ce fichu bureau, je suis sortie j’ai claqué la porte. J'ai crié, j'ai tellement crié, je ne voulais pas y croire."

Audrey voulait qu'on lui "fiche la paix" mais on lui demande d'aller à l'hôpital avec son frère et sa grande sœur. 

On nous a dit "vous n'êtes pas seuls" mais dans ce moment là, j’étais seule. On ne peut pas nous comprendre.

Audrey Borla

Le lendemain matin, une psychiatre demande aux trois enfants d'aller voir leurs parents, installés dans une autre chambre du service psychiatrie de l'hôpital Pasteur. "Je me souviens encore de voir ma mère assise sur le lit, elle pleurait. Je suis rentrée dans la chambre, je n'ai même pas fait un pas que ma mère m’a regardé et elle a crié tellement fort : "regardez, c’est ma fille, elle est là, elle est pas morte, c’est Laura !" Un docteur est venu et m’a dit que je devais laisser mes parents tranquilles un moment, le temps qu’ils acceptent."

Rongée par la peine et la colère

Audrey est partie vivre un mois et demi chez une amie à elle. Depuis, elle se dit "détachée" de sa famille. Sa grande sœur, son frère et ses parents sont "ce qu'il y a de plus important au monde" mais "on est une famille détachée", dit-elle.

La jeune femme de 20 ans confie avoir "beaucoup de mal à avancer dans la vie". Elle a eu "des pensées suicidaires", qu'elle a su surmonter mais elle prend toujours des médicaments pour dormir et doit se battre contre la boulimie.

La peine et la colère prennent énormément de place dans son cœur. "Ma colère ne me quittera jamais et la peine me ronge tous les jours. La colère me ronge encore plus que la peine", explique-t-elle. La peur aussi la poursuit chaque jour. "Je crains tout, décrit-elle. La foule, les regroupements, les manifestations... J’ai peur du canon de midi. Tous les jours, à Nice, ça me fait penser aux coups de feu qu’on a entendu ce soir-là."

Aujourd’hui, vivre, pour moi, ce n’est pas gratuit.

Audrey Borla

Pour terminer son témoignage, Audrey Borla s'adresse à son "soleil" : "Laura, pour toi, nous nous battons et tu me manques terriblement." 

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