Procès de l'attentat de Nice : "Le bonheur d'une famille a éclaté ce jour du 14 juillet"

Ce mercredi 28 septembre, Caroline Villani et sa belle-sœur Olfa Villani ont témoigné devant la cour au procès de l'attentat de Nice. Le soir du 14 juillet 2016, ils étaient 7 membres de la famille sur la Promenade des Anglais. De leur groupe, seules trois personnes ont survécu.

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Ce devait être une belle soirée en famille. Caroline Villani est venue sur la Promenade des Anglais pour regarder le feu d'artifice avec ses deux fils, André, 16 ans, et Léo, 14 ans, sa mère Christiane, son beau-père, Hugues, son frère Bruno et sa belle-sœur Olfa. 

Après le feu d'artifice, la famille est "dans l'insouciance totale", raconte Caroline. Ils marchent sur la Promenade en direction du Vieux-Nice, profitent de la musique, sa mère Christiane danse. "Ma seule préoccupation était de ne pas se perdre, se remémore Caroline. Au cas où, nous avions convenu que le point de rendez-vous était le Palais de la Méditerranée. Etrange coïncidence... C'est là que j'ai retrouvé les survivants de ma famille".

Caroline ne raconte pas le passage du camion. Elle se souvient de son réveil sur le bitume lorsqu'un homme lui demande si ça va. Elle lui demande ce qu'il se passe, il lui répond "c'est un attentat".

Un an après l'attentat, elle nous avait fait un récit déjà très personnel.

Investie d'une mission

Avec le témoignage d'Olfa, une partie du puzzle se reconstitue. Olfa a repris conscience juste après le passage du camion. 

Malgré des douleurs atroces au niveau de mon crâne, le saignement dans ma bouche et ma vision trouble, j’ai essayé de marcher mais je n’y arrivais pas. Je me suis giflée plusieurs fois pour me concentrer. J’avais une mission : aller chercher mon mari et mes proches. Je devais les sauver. Je suis complètement assommée mais je reste focalisée sur ma mission. Je finis par tomber sur Caroline. Elle était allongée au sol, blessée, pas consciente. J’ai essayé de la réveiller mais elle ne répondait pas.

Olfa Villani

Olfa réalise qu'elle est entourée de "corps allongés" : "Je découvre une scène de guerre". Elle veut absolument trouver son mari. Elle le trouve quelques mètres plus loin. Elle constate "des blessures graves au niveau de sa tête, il était complètement écrasé au niveau de son bassin aussi" . En voyant ses vêtements, elle comprend que c'est bien de son mari dont il s'agit. 

"Je me suis rapprochée et j’ai commencé à lui parler mais il ne réagissait pas", raconte-t-elle. Olfa décide d'attendre les secours mais un homme vient lui dire qu'il est décédé et qu'elle doit partir. Elle poursuit : "J’ai repris mes forces pour lui faire mes derniers adieux. Je tenais ses mains j’ai fait une prière pour que son âme parte en paix au paradis. Avec le coeur brisé, j’ai dû quitter les lieux où se trouvait mon mari pour aller chercher le reste de la famille."

Quelques mètres plus loin, elle voit sa belle-mère, Christiane, la mère de Caroline. Elle voit qu'elle est grièvement blessée, elle n'arrive pas à savoir si elle est vivante ou non. Elle continue à chercher les autres membres de sa famille pour "finir la mission" qu'elle s'était fixée.

Elle trouve Léo, le plus jeune des deux fils de Caroline. "Je lui demande s'il est conscient, relate-t-elle. Il me répond : "j’ai mal au cœur, je n’arrive pas à respirer." Je lui dis de se calmer, de ne surtout pas dormir. Pour le rassurer, je lui dis ta maman est là et tonton Bruno aussi." Elle trouve une personne qui accepte de rester auprès de lui le temps qu'elle aille chercher son autre frère. Olfa ne retrouve pas André et retourne voir son mari sur la chaussée. Elle se fait alors "évacuer de force au Palais de la Méditerranée" où elle retrouve Caroline.

Elle n'arrive pas à lui annoncer la mort de son frère parce qu'elle-même ne veut pas y croire. Les deux femmes restent silencieuses jusqu'à ce que Léo arrive en brancard. Tous les trois, ils sont amenés à l'hôpital Pasteur. 

Les deux jours qui suivent, la mort de Hugues, le beau-père de Caroline, puis de son frère Bruno sont confirmées. Puis, celle de sa mère.

"Perdre un enfant, il n'y a rien de plus grave"

Pour son fils André, Caroline continue de garder espoir. Le quai d'Orsay lui indique d'abord qu'il est à l'hôpital L'Archet, mais c'est une erreur. Puis, "un officiel nous dit qu’il possède la liste exacte des enfants décédés et il n’y a pas le nom d’André".

Ils repartent faire le tour des hôpitaux et vont porter plainte pour disparition d'enfant. Pendant ce temps, son autre fils Léo se bat pour sa vie en réanimation. Il aura une ablation de la rate. Finalement, la terrible nouvelle de la mort d'André est annoncée à Caroline. On lui rend son téléphone et la montre qu'elle venait de lui offrir.

Perdre un enfant il n’y a rien de plus grave, douloureux et pénible.

Caroline Villani

Son témoignage fait écho à celui d'une mère, elle aussi endeuillée, passée plus tôt dans la journée à la barre. Cette Estonienne a elle aussi perdu un fils le soir du 14 juillet sur la Promenade. Elle a déclaré : 

On appelle orphelin les enfants qui ont perdu leurs parents, on appelle veuves les femmes qui ont perdu leur mari mais il n’y a pas de mot pour les parents qui ont perdu leur enfant. Il n'y a pas de mot parce que ce n’est pas naturel. Perdre son enfant c’est le pire qui puisse arriver à un parent. Ceux qui ne connaissent pas cette perte-là ne peuvent pas comprendre les sentiments de ceux qui l’ont connu.

Anneli Kruusberg

Pour Caroline, la perte de son fils a tout anéanti. "Le bonheur d'une famille a éclaté ce jour du 14 juillet", déclare-t-elle. Pour Olfa, c'est "l'être le plus cher" qui est parti, lorsque Bruno son mari est mort sur la Promenade. "J'ai eu la chance de vivre une très belle histoire d'amour avec lui", sourit-elle avec mélancolie. Elle ajoute : "Je suis convaincue qu’un jour on se réunira pour recommencer une vie meilleure que celle-ci, dans les yeux de Dieu."

Olfa avait déjà vu le terroriste

Elle conclut son récit. Mais redemande la parole au président immédiatement après. "Je voulais vous raconter quelque chose", dit-elle. Olfa Villani travaillait au consulat général de Tunisie à Nice en 2016. Quelques mois avant, elle dit avoir rencontré "le tueur", Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, au consulat. Le président visiblement intrigué lui demande plus de détails. 

Olfa explique que Mohamed Lahouaiej-Bouhlel est venu au consulat pour demander un extrait de casier judiciaire pour son employeur, à peu près "trois mois avant" l'attaque terroriste. Elle est restée une dizaine de minutes avec lui car la demande prenait du temps. Elle se souvient d'un homme qui s'était montré agressif avec ses collègues du consulat. Il avait mentionné des problèmes avec sa femme par rapport à la garde de leurs enfants car il serait en instance de divorce. 

Après l'attentat, l'oncle et le père de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel se sont rendus au consulat pour demander un acte de naissance, un acte de décès et le rapatriement du corps du terroriste en Tunisie.

C'est encore Olfa qui devait s'en occuper. Après avoir compris pour qui était faite cette demande, "j'ai dit des mots que je regrette, je suis rentrée dans le bureau en larmes et angoissée", se rappelle-t-elle. Elle parle de ce moment comme d'une "double peine".



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