Procès de l'attentat de Nice. "Plus rien n'est grave" : depuis qu'il a perdu ses parents, Mathieu n'est plus le même

Ce vendredi 14 octobre, Mathieu Bousfiha a témoigné devant la cour d'assises spéciale. Le soir du 14 juillet 2016, ses deux parents sont décédés sur la Promenade des Anglais, à Nice. Depuis qu'il a perdu une partie de sa famille, il n'est plus le même. Il a perdu toute sensibilité, il semble ne plus être capable de ressentir ni joie, ni peur, ni chagrin.

Combien de familles l'attentat du 14 juillet a-t-il anéanties ? Les témoignages qui se succèdent à la barre au palais de justice de Paris depuis plusieurs semaines montrent qu'il n'est pas possible de les compter. Ce vendredi 14 octobre, Mathieu Bousfiha a livré son histoire.

Cet homme, âgé de 27 ans aujourd'hui, était sur la Promenade des Anglais le soir de l'attentat avec ses deux parents, Céline et Adib, et sa petite sœur. "Nous étions une famille simple, décrit Mathieu à la barre. Et à partir de ce jour-là, cette famille a disparu totalement."

Mathieu décrit ses parents comme des personnes "incroyables", "des parents aimants qui ont toujours fait le maximum" pour lui et sa sœur. Leurs deux parents étaient en situation de handicap physique. La mère, Céline, était hémiplégique du côté droit depuis une opération qu'elle avait subie jeune et le père, Adib, était atteint de myopathie et se déplaçait en fauteuil roulant.

La famille était venue de Beaucroissant en Isère et logeait pour quelques jours dans un hôtel près de Nice. Lorsqu'elle a appris qu'il y avait un feu d'artifice le soir de leur arrivée, Céline a proposé à toute la famille de s'y rendre. Après avoir admiré le feu d'artifice depuis la Promenade des Anglais, Mathieu commence à se diriger avec son père en fauteuil dans la direction de Lenval où est garée leur voiture. Il voulait d'abord prendre de l'avance sur sa sœur et sa mère car cela demandait du temps à son père de s'installer dans le véhicule spécialisé. Mais finalement, le jeune homme de 21 ans à l'époque se ravise, se disant qu'elles ne sauraient peut-être pas retrouver le parking par elles-mêmes, et les enjoint de venir avec eux. Sa sœur aperçoit alors le camion qui arrive dans leur direction.

"Dans un réflexe automatique, j’ai poussé ma mère d’un côté, ma sœur de l’autre et moi, j’ai sauté du côté de ma sœur", décrit-il. Il marque une pause dans son récit avant de reprendre : "Mon cerveau me dit « et ton père ? ». J’ai le temps de me retourner et le camion tape mon père. À ce moment-là, pour moi, mon père est parti au ciel. J’ai encore le bruit de l’impact métallique sur le fauteuil de mon père."

Après le passage du camion, il voit sa sœur, égratignée aux genoux, en train de se relever. Très vite, Mathieu se dit qu'il faut qu'il retrouve sa mère. Ils commencent à marcher ensemble et en se dirigeant vers l'Est, Mathieu voit le corps de son père à terre - "je vous épargne l'état", dit-il à la cour. C'est un choc. "Pour moi, c’est inenvisageable. Pour moi, il était parti au ciel". Mathieu entend sa sœur lui dire qu'elle a mal, mais il n'en a "rien à faire". Ils cherchent leur mère pendant un certain temps avant de se dire qu'il faut se mettre à l'abri.

Finalement, le frère et la sœur partent se réfugier dans un immeuble proche de la Promenade. Un jeune couple accepte de les accueillir dans leur appartement et sa sœur peut enfin trouver du repos. Mathieu, lui, reste éveillé, devant la télévision.

Une relation avec sa sœur qui se dégrade

Depuis la perte de ses parents, Mathieu n'est plus le même. Il parle de son "ancienne vie" et de sa "nouvelle vie". A 21 ans, il a dû gérer, en plus de son chagrin, une accumulation de démarches administratives, liées au décès de ses deux parents. Une charge très lourde à porter par un très jeune adulte.

Ma vie s’est arrêtée. Ma tête me fait comprendre ça : ton âme est partie, on te récupère, on te met dans ce monde et fais du mieux que tu peux. Débrouille-toi, essaie de te construire. À partir de ce moment-là, j’ai grandi seul.

Mathieu Bousfiha

Il organise les funérailles de son père au Maroc, son pays de naissance, puis le rapatriement du corps de sa mère de Nice à Lyon pour que sa famille puisse se recueillir et enfin l'enterrement de sa mère aux côtés de son père. Il vient aussi apporter son soutien à sa petite sœur de 18 ans qui doit faire sa rentrée en classe préparatoire à Orléans. Mais leur relation se dégrade rapidement. Elle semble vouloir couper les ponts avec son frère pour aller mieux tandis que lui aimerait se rapprocher davantage d'elle. Aujourd'hui, ils ne se parlent plus, ne se voient plus. Il insiste en regardant la cour : "Vous voyez, c'est pour ça que je vous disais que cette famille a disparu".

"Plus rien ne peut avoir un impact sur moi"

Mathieu poursuit ses études d'ingénieur. Obtenir son diplôme, il le doit à ses parents à qui cela tenait beaucoup à cœur. Mais après, que faire après ? "Ils nous avaient parlé des études mais on n'avait jamais parlé de la suite, explique-t-il. Je suis perdu." Après un stage, on lui propose un CDD, puis un CDI. Il accepte mais admet qu'il s'en "fout" du travail. La perte de ses parents, de sa famille, l'a rendu comme insensible à tout.

Je vais vous parler de ma "vie" actuelle, je mets vie entre guillemet. Tous les jours, j'entends les témoignages et je me dis "tu n'es pas comme tous ces gens". Je n’ai pas de reconstruction, je me construis autrement. J’entends parler d'"avant/après", il n’y a pas d’après. Dans ma vie, rien n'est grave parce que j'ai associé ce mot à cet événement. Plus rien ne peut avoir un impact sur moi.

Mathieu Bousfiha

La vie semble glisser sur lui, sans le toucher. Mathieu explique ne pas avoir peur de la mort. "Si quelqu'un rentre et tue tout le monde, soit, c'est un constat." Il se fiche si les accusés sortent libres ou condamnés.

Comme c'est "un moment de joie qui a basculé dans le malheur et l'horreur", Mathieu ne s'autorise plus à ressentir de la joie. Son grand-père décède le premier jour de l'année 2022, quelques jours après que Mathieu ait demandé sa copine en fiançailles. Il semble avoir interprété cela comme un signe qu'il ne devait plus se laisser aller vers le bonheur. Il quitte sa compagne, sans lui donner de raison. "Ce n'est pas moi qui ai pris la décision, c'est mon esprit, dit-il. Mon cœur a dit stop."  

Au procès, Mathieu met un point d'honneur à parler à chacune des parties civiles qui vient témoigner. C'est ainsi qu'il a pris conscience du décalage qu'il a avec celles-ci. Toutefois, il semble trouver un apaisement en parlant avec d'autres victimes, les seules personnes qui étaient avec lui "au mauvais endroit, au mauvais moment". Il ne veut parler "qu'à des personnes qui ont vécu cela". "C'est la seule chose qui m'apporte quelque chose", explique-t-il.

Alors qu'il ne cesse de raconter sur un ton stoïque, à quel point il ne comprend pas pourquoi il n'a "pas de réaction", qu'il n'est "pas traumatisé", impossible de ne pas penser que son témoignage semble montrer tout l'inverse. Le chagrin, la tristesse et la détresse ne se traduisent pas forcément en larmes, cris et épanchements apparents.

Pour terminer son témoignage, Mathieu montre quelques photos. L'une d'elle est un selfie. Sa sœur au premier plan sourit. Derrière elle, on voit les deux parents et dans le coin en haut à gauche, la tête de Mathieu, dont on devine le sourire également. "Cette photo a été prise à 16h53, le 14 juillet 2016, explique-t-il. C’est la fin de mon ancienne vie, cette photo." Même si la relation avec sa sœur a atteint "un point de non-retour", c'est le seul reliquat de bonheur de sa famille perdue, qu'il a choisi comme fond d'écran sur son téléphone, qu'il ne remplacera "jamais".

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