La 6ᵉ journée d'audience du procès en appel de l'attentat de Nice ce 29 avril s'est concentrée sur la personnalité des deux accusés, qui comparaissent pour association de malfaiteurs terroriste. Mis face à ses contradictions et à ses arrangements avec la loi, Mohamed Ghraieb, répète qu'il n'a rien à voir avec le terrorisme.
Détendu, le bras appuyé sur la vitre du box, Mohamed Ghraieb est prêt à répondre aux questions de la cour. Toute la journée, l'accusé de 48 ans a écouté les enquêtrices de personnalité, experts psychologues et experts psychiatre, venus à la barre pour éclairer la cour sur son parcours et sa personnalité. Son voisin de box Chokri Chafroud vient de s'expliquer très sobrement ; lui sera bien plus prolixe.
"J'ai grandi dans une famille laïque. (…) Pour moi, le ramadan, ça reposait plus sur l'ambiance qu'autre chose," confie Mohamed Ghraieb, qui a vécu "une enfance agréable" dans une villa de Sousse (Tunisie). Vêtu d'un épais pull écru, le plus âgé des deux accusés de ce procès en appel de l'attentat de Nice raconte être arrivé en France en 2004 et avoir rapidement décroché un poste de chef réceptionniste dans un hôtel niçois.
"Tout va mieux avec elle"
"J'avais de la famille ici, j'avais des tantes. Je parle bien français, j'avais mes diplômes de tourisme, relate celui qui aime insister sur sa nature de travailleur. J'aime bien le contact avec les gens, c'est un travail facile, propre. Je parle français, arabe, allemand, et un peu finnois grâce à ma femme." Cette Finlandaise, mère de deux filles nées d'une précédente relation, il l'a rencontrée "en 2005 sur la plage à Nice".
"Ses belles filles décrivent de très bons rapports avec lui, rapporte l'enquêtrice de personnalité entendue plus tôt. Il est tolérant, elles apprécient les conseils qu'il peut leur donner."
C'est une descente en enfer. Je suis en prison, ma femme ne peut plus travailler. Ma mère est très malade, mon père est décédé il y a deux ans. Pour moi, il est mort de chagrin. Jamais il n'aurait imaginé que son fils soit accusé d'une affaire de terrorisme.
Mohamed Ghraiebaccusé
Mohamed Ghaieb était en instance de séparation après son interpellation, mais "tout va mieux avec elle" à présent, assure-t-il. L'avocate générale Naïma Rudloff souligne néanmoins que celle-ci ne demande aucun parloir à la prison de Grasse dans les Alpes-Maritimes où son mari est incarcéré.
"Vous êtes déconcertant sur tout, même les choses les plus simples," résume Me Sylvie Topaloff. Et l'avocate de parties civiles de rappeler que l'accusé a raconté avoir flirté avec sa future compagne dans un hôtel où il travaillait à Sousse. "J'avais raconté ça parce que j'avais un peu honte de dire que j'avais rencontré ma femme dehors, dans la rue. À l'hôtel, ça faisait plus classe. C'était une connerie," concède Mohamed Ghraieb.
Le diable dans les détails
Pourquoi revenir sur ce genre de détail ? "Parce que le diable se cache dans les détails," garantit l'avocate générale Naïma Rudloff, dont les questions viennent désarçonner un Mohamed Ghraieb jusque-là paisible. Face à cet accusé au-dessus duquel plane une association de malfaiteurs terroriste, la magistrate du parquet appuie sur les contradictions qu'il a pu livrer dans ses récits aux enquêteurs et experts.
"Vous avez un petit problème avec la loi," constate la parquetière antiterroriste. Naîma Rudloff énumère les petits arrangements avec la loi que Mohamed Ghraieb a pu accumuler au cours de sa vie : une fraude aux allocations logement, un congé maladie passé en Tunisie - "votre passeport acte que vous y étiez" - ou encore la présence de ses deux chiens à son domicile niçois alors "qu'aucun animal n'est accepté" dans son contrat de location.
"Mais il n'y a que vous qui faites attention à ça ! s'emporte alors Mohamed Ghraieb. Ce ne sont que des choses quotidiennes, des choses de la vie ! Mais qui fait attention à ce genre de détail ?" La magistrate poursuit : "Vous avez acheté une Mercedes pour votre propre activité de taxi avec l'argent de l'entreprise de votre femme. Ce n'est pas une infraction pénale ça ?" L'accusé, indigné, plaide des défaillances de comptabilité.
"Trop calme" en prison
Dans son récit à la cour, Mohamed Ghraieb insiste sur sa situation carcérale. "Quand j'ai été condamné, j'ai été choqué. J'ai décidé de faire appel deux jours après, quand j'ai retrouvé mes esprits. Je n'ai aucune envie suicidaire, mais j'ai voulu commencer une grève de la faim. J'ai subi une injustice extrême," explique-t-il. À Fresnes, puis à Grasse, il raconte avoir été agressé par des détenus.
Moi en prison, je suis quelqu'un qui dérange personne. Je fume pas de shit, je cause pas de problème. Et en prison ça plaît pas trop ceux qui causent pas de problème. (...) Les gens honnêtes en prison, ils me disent que je suis trop calme.
Mohamed Ghraiebaccusé
En réponse, les avocats des parties civiles rappellent que trois codétenus de Mohamed Ghraieb ont signalé des menaces à l'administration. Il aurait refusé de s'adresser à une surveillante parce que femme. "Mais c'est n'importe quoi, ce sont des mensonges ! Fulmine Mohamed Ghraieb. Ma femme est chrétienne, elle est libre et indépendante. Moi, je signale ce qu'il se passe en prison. Voilà ce qui se passe quand on brise l'omerta. Je suis une victime en prison".
Il a respecté son contrôle judiciaire pendant trois ans, souligne Me Brengarth en défense. "Quand on habite Marseille, quand on a l'argent... J'aurais pu partir quand je voulais, assure Mohamed Ghraieb. J'étais au procès pendant les trois mois et demi, j'étais à l'heure, j'ai loué un appartement à Bastille. Je ne suis pas terroriste, je ne suis pas islamiste, il a fait ça tout seul."
Bouhlel, "un jeune de cité"
Quant à Mohamed Lahouaiej Bouhlel, le terroriste qui a provoqué la mort la mort de 86 personnes au volant d'un camion sur la promenade des Anglais le 14 juillet 2016, Mohamed Ghraieb persiste à affirmer qu'il n'était qu'une simple connaissance. La téléphonie assure le contraire : il est l'un des principaux contacts par SMS et téléphone du tueur.
"Ma relation avec Bouhlel, c'était par intérêt : pour des cigarettes, pour l'achat de son camion... C'était quelqu'un de toujours pressé, il va à des cours de salsa, il mène son trafic. Pour moi, c'était un jeune de cité," soutient l'accusé, presque méprisant.
Pour le reste du procès, Mohamed Ghraieb promet de paraître moins "lisse" qu'en première instance. "Maintenant, je suis là pour dire la vérité, rien que la vérité, s'engage-t-il. J'ai jamais été au courant de ce qu'il voulait faire. Je me demande encore pourquoi il a fait ça."