Procès en appel de l'attentat de Nice. "Je voulais vivre comme un Européen" : la vie de l'accusé Chokri Chafroud épluchée

La 6ᵉ journée d'audience du procès en appel de l'attentat de Nice s'est concentrée sur la personnalité des deux accusés. Chokri Chafroud, accusé d'association de malfaiteurs terroriste, s'est défendu d'être violent ou sensible aux thèses islamistes. "C'est un fou, un maboul," assure-t-il, à propos du terroriste Mohamed Lahouaiej Bouhlel.

Qui étaient les deux accusés avant le 14 juillet 2016 ? La sixième journée d'audience du procès en appel de l'attentat de Nice, ce 29 avril, s'est attelée à répondre à cette question, à travers les auditions d'experts et des intéressés, Chokri Chafroud et Mohamed Ghraieb.

Le premier est né en Tunisie en 1979, rapporte une première enquêtrice de personnalité, chargée d'interroger les proches et dresser le curriculum vitæ de Chokri Chafroud. "Ses frères ont expliqué que leurs parents étaient relativement tolérants et modérés. (…) Ils ont indiqué qu'ils ne l'avaient jamais vu [leur frère] aller à la mosquée ou en prière," rapporte l'agente.

J'ai grandi dans une famille en Tunisie, entouré des autres membres de ma famille avec qui je n'avais pas de problème, on s'aimait bien. J'ai arrêté l'école jeune, je voulais aider mon père. À 27 ans, je suis parti en Italie et après je suis venu en France. (...) L'Italie, parce que ce n'était pas éloigné de la Tunisie. 

Chokri Chafroud

accusé, interrogé par la cour

Lorsqu'il arrive en Italie en 2006, Chokri Chafroud travaille dans des restaurants. "Je voulais vivre comme un Européen" confie Chokri Chafroud. Il apprend l'italien, fait des rencontres. Interrogés, ses employeurs "n'ont jamais remarqué de pratique quelconque, comme des visites à la mosquée." À l'un d'eux, il dérobe mille euros avant de partir en France car celui-ci lui devait une telle somme. Le président interroge l'accusé sur la légalité d'un tel acte : "oui, ce n'était pas moral. Oui, légal non plus, explique celui qui s'exprime à l'aide d'un traducteur en arabe. Mais je n'ai jamais eu de problème. J'ai pu revenir ensuite en Italie sans être inquiété." Il gagne ensuite la France et Nice, parce qu'"un ami y habite".

L'homme ne souffre d'aucune pathologie psychologique. "Je pense qu'il a toute conscience de ce qu'il écrit, estime Corinne Descamps, l'expert-psychologue qui a rencontré M. Chafroud. Il existe un clivage entre l'image qu'il veut renvoyer - lisse, socialement sans problème - et ce qu'il aurait en filigrane dans la tête."

Traumatisé par la mort d'un ami ?

À l'enquêtrice de personnalité, Chokri Chafroud évoque un traumatisme d'enfance : il aurait assisté à la mort de son meilleur ami, renversé par une voiture. "J'avais 12 ans, je l'ai vu mourir devant moi. C'était un ami à moi, il ne pouvait pas entendre ni parler. Je pense être resté 15 jours à la maison, on était très proches," assure l'accusé.

L'avocate générale Naïma Rudloff doute de la véracité de l'événement : "C'est un événement que vous dites traumatisant, mais comment se fait-il que vous n'en n'ayez pas pas parlé aux experts, aux psychologues et psychiatres ?" L'accusé dit ne pas se rappeler pourquoi. "Le deuxième événement traumatisant que vous mentionnez tardivement, c'est le fait que vous ayez perdu un ami dans l'attentat de Sousse en 2015. Or, la seule victime de cette attaque est le kamikaze. Vous pouvez nous en parler ?" poursuit la magistrate. "Je m'en souviens : on m'avait dit à l'époque que j'avais perdu un ami. - C'est qui cet ami, Monsieur ? - Je ne me souviens plus, je ne le connais pas. - Vous ne vous rappelez plus de l'ami, vous ne vous rappelez plus de l'attentat, ni d'avoir dit ceci en mars 2024," souffle la représentante du ministère public.

Un vocabulaire violent

L'avocate générale aborde ensuite le parler bien particulier de Chokri Chafroud, relevé dans ses échanges avec Mohamed Lahouaiej Bouhlel, le terroriste au volant du camion. "Vous utilisez des verbes et un vocabulaire extrêmement violent : exploser, niquer. D'ailleurs, vous "niquez" à peu près tout le monde. (...) Pourquoi ce vocabulaire violent ou sexuel ? C'est comme ça qu'on parlait chez vous ?" Oui, j'ai utilisé des mots crus, pas beaux," répond l'accusé, sans pour autant les justifier.

Conseil de parties civiles, Sylvie Topaloff interroge l'accusé. "Vous considérez que vous n'avez pas de problème d'addiction. Néanmoins, vous consommez de l'alcool. Pensez-vous que ce soit en contradiction avec votre religion ?Oui, c'est en contradiction," estime Chafroud. Les conseils de victimes pointent du doigt un recueil de prières coraniques, retrouvé dans ses affaires lors de son interpellation. "Quand ma grand-mère est décédée, ils distribuent ce genre de supports, et je l'ai gardé. Elle est décédée en 2015," soutient Chokri Chafroud.

Sa vie carcérale, en quartier d'évaluation de radicalisation (QER), Chokri la décrit comme "une période très difficile, car on ne fréquente personne dans ce quartier". "On m'a placé avec des personnes qui sont difficiles, avec des barbus. (...) Je ne peux pas écouter de la musique, ça fait partie des choses qu'ils n'aiment pas. J'évitais de sortir là où ils se trouvaient," assure-t-il.

En conclusion, son conseil Me Chloé Arnoux lui demande si l'acte de Mohamed Lahouaiej Bouhlel est "courageux", un mot qu'un traducteur aurait mal interprété lors de son audition avec le Dr. Descamps. "Lorsqu'il a été mis sur écoute, Chafroud a parlé des auteurs en disant qu'il les maudissait," rappelle-t-elle. Et son client de répondre du tac au tac : "Ce n'est pas courageux. C'est un maboul, un fou."

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